20. Brûlures et cicatrices
712 n'était pas certain d'avoir compris ce que Cendre venait de lui dire. On lui avait pourtant désigné un immeuble à côté de celui des garçons comme étant probablement réservé aux filles...
— Le bâtiment des filles ? Alors c'est ici que... Vous vivez ?
L'adolescente baissa les yeux.
— Pas vraiment...
Elle serra la mâchoire tandis que ses doigts jouaient nerveusement avec le pan de son sweat-shirt.
712 se releva, sourcils froncés et suivi des yeux Joker. Le roux s'avança, enjambant ce qu'il restait de la barrière séparant la forêt du bâtiment.
— On dirait que c'est abandonné.
Les garçons interrogèrent Cendre du regard mais cette dernière ne dit pas un mot, gardant la tête baissée.
Tout à coup, des bruits de pas se firent entendre et une silhouette apparut, s'approchant d'eux en claudiquant.
— Orage ! S'exclama 712.
Le garçon était couvert de terre et de sueur. Il respirait péniblement et son visage était déformé par une grimace de douleur.
— J'ai... Il m'a tiré dessus, articula-t-il.
712 baissa les yeux et vit le pantalon de son ami déchiré au niveau du mollet. Là, une plaie suintait et le bleu d'un étrange liquide se mélangeait au pourpre de son sang.
Cendre s'approcha et s'accroupit pour voir la blessure de plus près.
— J'ai réussi à échapper au chauffeur, continua Orage. Mais p*tain qu'est-ce que ça fait mal.
Joker ricana et le blessé lui lança un regard plus noir que sa chevelure.
— Ça te fait rire ?
— Pas ta blessure, juste ton "p*tain".
— C'est un liquide paralysant, déclara Cendre. Ça brûle la chaire quand ça pénètre dans l'organisme. D'habitude, les Examinateurs visent les articulations, pour immobiliser leur cible. C'est une chance qu'il t'ait raté.
Orage s'assit parterre, ne pouvant plus tenir debout une seconde de plus.
— J'étais déjà dans la forêt quand il m'a tiré dessus. J'ai pu courir encore quelques mètres puis ma jambe me faisait trop mal et je suis tombé. Mais puisqu'il n'était pas loin, je me suis relevé comme j'ai pu et j'ai continué à courir...
Cendre soupira. Pour la première fois, 712 vit son visage s'adoucir, dans une expression rassurante.
— Tu devrais rester là. Il faut soigner ta plaie.
— Y'a pas d'infirmerie ici, intervint Joker.
La jeune fille se releva et passa devant lui.
— Si, là-bas.
Elle pointa du doigt le bâtiment délabré.
*
Ils pénétrèrent dans un grand hall poussiéreux. Il faisait sombre, la plupart des fenêtres ayant été ensevelies par la végétation grimpante et encrassées par les pluies.
— Suivez-moi et ne touchez à rien, intima Cendre.
— Il s'est passé quoi ici ? demanda enfin Joker, traduisant la pensée de 712.
Mais une fois de plus Cendre resta silencieuse. Elle les emmena dans un couloir dont les murs noirâtres avaient dû autrefois être blancs.
Cet endroit ressemble à notre bâtiment...Version fin du monde.
Chaque fois que 712 respirait, une bouffée de poussières s'infiltrait dans ses narines, et il éternua à plusieurs reprises.
Où sont les autres filles ?
— On y est, déclara Cendre en poussant une porte.
712 laissa échapper une exclamation de surprise. La pièce ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'infirmerie des garçons, si ce n'est qu'elle était sans dessus-dessous. Les lits étaient renversés, les rideaux blancs déchirés, des médicaments et autres objets médicaux jonchaient le sol, ainsi que des débris de verre.
— Ici, il y aura de quoi soigner votre ami.
Elle se détourna pour inspecter le contenu de l'étagère.
— Au fait, t'y connais quelque chose en brûlures, au moins ? railla Joker.
Cendre lui lança un regard perçant. Elle tendit les mains devant elle, puis releva lentement les manches de son sweat-shirt. 712 ne put réprimer une grimace de dégoût, et il s'en voulu aussitôt de l'avoir laissée paraître. Les bras de Cendre étaient zébrés de brûlures. Lentement, elle porta ses doigts au bandeau masquant la moitié de son visage et l'abaissa. Là serpentait une vilaine cicatrice, partant de son cou et remontant jusqu'au coin droit de ses lèvres.
— Mes cheveux n'ont pas été épargnés, dit-elle en montrant sa capuche remontée sur sa tête.
Les garçons restèrent cois. Joker, choqué, ne lâcha pas la moindre moquerie, au grand soulagement de 712.
— Il y a eu un incendie, devina ce dernier.
Cendre sourit tristement.
— Oui, mais ce n'est pas lui qui m'a rendue comme ça.
Elle ouvrit le sac qu'elle avait emporté pour le remplir de nourriture et y fourra divers produits pour Orage.
— Je suis sortie de la Capsule dans cet état. Les Examinatrices m'ont dit qu'il y avait soi-disant eu un problème d'électricité avec elle et qu'elle m'avait brûlée... Bref. Evidemment, ce n'est pas passé inaperçue. J'étais hideuse comparée aux autres filles. Elles me faisaient toujours sentir ma différence, aussi bien avec leurs regards qu'avec le surnom qu'elles m'avaient choisi : Cendre. Vous n'imaginez même pas à quel point elles m'ont rejetée à cause de mes cicatrices.
Elle est jolie, pourtant, songea 712. À cause du foulard qu'elle gardait toujours devant son visage, l'adolescent n'avait pas encore eu l'occasion de détailler ce dernier. À présent il pouvait voir ses lèvres pleines, son nez concave, ses quelques tâches de rousseurs... Il remonta son inspection jusqu'à ses yeux. Au-dessus d'eux, ses sourcils froncés complétaient une expression d'agacement envers Joker, qui la dévisageait tout autant que 712.
— Pas la peine de me regarder comme ça, je vais les cacher, mes cicatrices.
Le roux détourna les yeux tandis que ses joues prenaient une teinte rosée.
— C'n'est pas c'que j'regardais, marmonna-t-il.
Cendre remit son foulard. Elle s'élança vers une étagère mais 712 la retint par l'épaule. Elle se dégagea immédiatement, l'air hostile.
— Tu pourrais nous dire pourquoi tout est détruit ici ? Et où sont les Examinatrices ? Et les autres filles ?
Cendre pinça les lèvres.
— Il n'y a plus personne. Seulement moi... Il y a eu une sorte de... Révolte. Une révolte que j'ai plus ou moins déclenchée.
Elle s'arrêta pour guetter leur réaction. Les garçons l'écoutaient avec attention, pressés d'en apprendre davantage.
— Croyez-le ou non, j'avais comme des... Comme des images d'un autre monde. Des images de la Société. Ce n'était pas vraiment des rêves, on aurait plutôt dit-
— Des souvenirs, la coupa 712 dans un souffle.
Quelque chose apparu dans les yeux de Cendre. Quelque chose comme une lueur d'espoir, qui la fit ressembler à une enfant. Enfin, une enfant déguisée en ninja.
— Oui, des souvenirs. Comment tu le sais ?
L'adolescent échangea un regard avec son ami.
— J'en ai eu aussi.
— Alors tu sais que le Programme nous a menti ?
— Oui, mais je ne sais pas grand-chose. Je sais seulement que je n'ai pas grandi dans une Capsule...
Cendre hocha la tête.
— J'ai commencé à en parler à l'Agent Spéciale de mon dortoir. C'était à peu près la seule fille avec laquelle je m'entendais... Au début, elle ne me croyait pas trop, mais ensuite elle est devenue curieuse et a voulu en savoir plus. Un soir, elle est allée à une de ces réunions avec les Examinatrices, pour rendre un rapport. Je ne sais pas très bien comment elle a fait, mais elle est restée dans les alentours après la réunion et a pu entendre des bribes de conversation qui l'ont convaincue que je disais vrai. En fait, quand elle est revenue me voir, elle avait l'air paniqué. Elle n'arrêtait pas de dire qu'il fallait qu'on parte le plus vite et le plus loin possible, et que si on ne le faisait pas, toutes celles qui n'auraient pas l'Equilibre — c'est-à-dire beaucoup d'entre nous — seraient prises au piège à vie.
— À vie ? Mais personne ne reste dans le Programme pour toujours... Est-ce que ça veut dire que c'est vrai qu'ils nous tuent si on n'y arrive pas ?
Le visage de Joker s'assombrit. 712 se souvint alors que pour son meilleur ami, le Programme avait touché à sa fin.
— Je ne sais pas, répondit Cendre. En tout cas, elle a ramené des Déséquilibrées à sa cause et fait une révolte qui a mal tourné...
Il y eut un silence pesant. Cendre soupira et se tourna à nouveau vers l'étagère.
— Alors quoi ? Elles se sont entretuées et t'es la seule survivante ?
712 eut envie d'étrangler Joker pour son manque de tact.
Cendre resta immobile, une main sur les bandages.
— C'est pire que ça.
Ses doigts se refermèrent sur le tissu.
— Je les ai tuées.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top