2. Le Nouveau-né

  

  712 monta dans une voiture qui le conduisit jusqu'à un immeuble. Ce dernier, assez imposant et d'architecture minimaliste, se situait au beau milieu d'une forêt dense dont on avait l'impression qu'elle s'étendait à l'infini.

  Le hall de l'édifice était plutôt vaste. Il respirait la pureté avec ses murs et son carrelage blancs.

  — Voici tes affaires, 712.

  Un Examinateur, une sorte de « gardien du Programme » toujours habillé en blanc, lui tendit un sac en plastique contenant des vêtements de rechange et des affaires de toilette.

  — Suis-moi, ordonna-t-il, je vais te conduire à ton dortoir.

  En traversant les couloirs tout aussi blancs que le hall, 712 croisa le regard d'autres Déséquilibrés - uniquement des garçons - dans leur uniforme scolaire gris clair. Certains murmuraient sur son passage mais il ne pouvait entendre ce qu'ils disaient.

  — C'est ici.

  L'Examinateur poussa une double porte transparente. Ils pénétrèrent dans une cour intérieure surmontée d'un toit de verre et au centre de laquelle se trouvait une grande fontaine entourée de plantes exotiques. Les murs étaient recouverts d'une rangée de portes s'ouvrant sur des chambres. Il y avait deux étages munis de balcons et accessibles par des escaliers ainsi qu'un ascenseur.

  Partout, des adolescents s'activaient, discutaient joyeusement... 712 trouva cela étrange. Il s'attendait à quelque chose de plus sinistre.

  — Ta chambre est la 82. L'ascenseur n'est réservé qu'au personnel. Aussi, sache que le dîner est servi de 18 à 20 heures et que le couvre-feu est à 21 heures. Respecte ces horaires si tu ne veux pas être sévèrement puni.

  L'Examinateur semblait attendre une réponse mais 712 restait muet. Il regardait autour de lui, troublé.

  — C'est compris ?

  712 le dévisagea sans ciller.

  — Eh ! Que vois-tu, là ? demanda l'Examinateur en désignant un objet en forme de balance sur sa poitrine.

  — L'insigne des Examinateurs.

  — Exact ! Et on obéit aux Examinateurs. Me suis-je bien fait comprendre ?

  — Oui, répondit le garçon à contrecœur.

  — Bien.

  L'homme tourna les talons et quitta les lieux.

  Près des escaliers, un panneau indiquait que les chambres 81 à 170 se trouvaient au premier étage. 712 y monta et trouva la porte de la sienne entrouverte. Des voix s'élevaient de l'intérieur.

  — Alors, comment ça va aujourd'hui, p'tite merde ? demanda l'une d'entre-elle avec malveillance.

  Un bruit sourd se fit entendre.

  — Ben alors, t'as rien à dire ?

  Quelqu'un ricana. 712 hésitait à entrer. Une bagarre semblait sur le point de se déclencher et il n'avait pas envie d'y être mêlé. Cela dit, cet échange venait de piquer sa curiosité... Il ne put s'empêcher de jeter discrètement un oeil à l'intérieur.

  Trois garçons se tenaient devant un autre, plaqué contre un mur.

  — Laissez-moi tranquille, dit-il d'une voix qui se voulait assurée.

  À nouveau, un des garçons ricana.

  — T'es plus ce que t'étais, mon vieux ! Tu fais vraiment pitié.

  Il frappa sa victime dans le ventre et elle glissa sur le sol.

  — Arrêtez !

  712 venait de crier. Il était entré dans la pièce, poussé par un élan d'héroïsme. Mais il regretta aussitôt son geste en voyant les trois harceleurs se tourner vers lui.

  — T'es qui toi ? demanda l'un d'eux. J'ai jamais vu ta sale gueule.

  — Vous êtes dans ma chambre, dit 712, ignorant la question.

  — Ah, un Nouveau-né.

  Le trio échangea des regards entendus puis se dirigea vers la porte.

  — Regarde, princesse, fit l'une des brutes en s'adressant à leur souffre-douleur, ton défenseur est arrivé.

  Il se tourna vers 712

  — J'te plains mon gars. Elle craint cette piaule.

  Une fois que le trio fut parti, 712 se dirigea vers celui qui était apparemment son camarade de chambre.

  — Merci, dit ce dernier tandis qu'il l'aidait à se relever. Et désolé pour ça...

  712 ne dit rien. Il se contenta de déposer ses affaires sur la couchette supérieure d'un des deux lits superposés.

  — Moi c'est Orage et toi ? fit le garçon en remettant de l'ordre dans ses cheveux noirs.

  — Orage ? s'étonna 712.

  — Euh, oui...

  — Je croyais que, sans l'Equilibre, on n'avait pas le droit à un prénom.

  — Oh, ce n'est pas mon prénom, juste mon surnom. C'est quand même mieux qu'un numéro.

  Une sonnerie retentit dans tout le dortoir.

  — C'est quoi, ça ? s'enquit 712.

  — Ça veut dire qu'il est 18 heures. Tu as faim ?

  712 haussa les épaules.

  — Viens, je vais te montrer la cantine, euh... 712 ? lu Orage sur le collier électronique que portait l'intéressé.

*

  La cantine n'avait rien d'extraordinaire. Elle était grande et bruyante. Au fond, une file de jeune gens tenaient des plateaux sur lesquels des employés leurs servaient un repas.

  — Pour recevoir sa portion, il faut montrer son collier aux serveurs, expliqua Orage. Ils le scannent avec une sorte de télécommande.

  Tandis qu'ils recevaient leur part de nourriture, 712 remarqua que bon nombre de Déséquilibrés les observaient. Certains paraissaient vraiment très jeunes, âgés d'une dizaine d'années tout au plus. D'autres, plus rares, tendaient vers l'âge adultes.

  — Qu'est-ce qu'ils ont tous ?

  — Hein ?

  — On dirait que tout le monde nous regarde.

  Orage balaya la pièce de ses grands yeux gris puis les reporta sur son plateau.

  — Ne t'en fais pas, ça va leur passer. Tu es nouveau, c'est pour ça.

  Ils s'installèrent à une table inoccupée, un peu à l'écart.

  — Dis, commença 712.

  — Oui ?

  — Non, laisse tomber.

  — Si, vas-y...

  Une question lui brûlait les lèvres mais il en redoutait la réponse.

  — Ça fait longtemps que tu es ici ?

  Une ombre passa sur le visage d'Orage. Il baissa la tête vers sa nourriture.

  — Plus ou moins trois ans. J'avais douze ans quand je suis arrivé.

  712 avala de travers. C'est bien ce qu'il craignait. Il eut l'impression qu'il n'était pas près de sortir d'ici.

  — Et il te reste encore combien de temps pour obtenir l'Equilibre ?

 Orage pris un air choqué, comme si 712 venait de l'insulter.

  — J'ai dit quelque chose de mal ?

  — Ah, les Nouveau-nés... (Il secoua la tête.) Ecoute, ne parle pas de ce genre de chose ici. Le temps restant est... un sujet tabou. Surtout que certains ne commencent déjà qu'avec très peu de temps.

  — C'est-à-dire ?

  — Plus ta Capsule t'a retenu longtemps, moins tu as de temps.

  — Et si on dépasse le temps ?

  — On disparaît, répondit Orage sur un ton solennel.

  — Eh, Orage, ferme-la un peu, tu veux ? Tu fais peur au p'tit nouveau.

  Un garçon aux cheveux d'un roux flamboyant venait de se joindre à eux. Il était couvert de taches de rousseur et ses yeux noisette semblaient révéler un caractère espiègle.

  — Salut, dit-il en s'adressant à 712. T'as l'air un peu perdu, mon pote.

  — Non, je...

  — Laisse-moi deviner, le coupa-t-il. Comme tous les nourrissons, tu rêves de te tirer d'ici ?

  712 fronça les sourcils. C'est qui ce type ?

  Le rouquin continua son monologue.

  — Si t'as des plans tordus, laisse tomber. La seule façon d'te barrer, c'est de devenir le chouchou des Examinateurs. Un vrai mouton.

  — Joker ? interpella un adolescent au visage angélique.

  Avec sa grande taille, il avait l'air plus âgé que les autres. Ses cheveux châtains étaient attachés de façon stricte en une petite queue de cheval.

  — Ah tiens, Exa ! En parlant de mouton...

  — Que fais-tu ici ? Et avec... eux ?

  La façon dont il avait prononcé le mot « eux », sonna d'une manière particulièrement désagréable aux oreilles de 712.

  — Eh calmos, maman, répliqua Joker. Et puis, j'fais connaissance avec notre nouveau camarade de chambre.

 — Vous êtes dans la 82 ? demanda 712.

  Joker acquiesça d'un signe de tête. C'est vrai qu'elle craint cette piaule.

  — Oh, désolé d'avoir été si impoli ! (L'arrivant tendit la main à 712 qui la serra, bien qu'il trouvât cela un peu trop formel) Enchanté. On m'appelle Exa.

  Après le repas, Orage s'éclipsa sans mot dire. Exa insista alors pour faire visiter les lieux à 712, et Joker les suivis.

  — Ici, c'est la salle de détente.

  Une porte vitrée donnait sur un grand salon au sein duquel des petits fauteuils et des tables basses créaient un environnement chaleureux.

  Joker désigna du menton l'autre bout du couloir.

  — Là-bas, c'est la meilleure des pièces.

  Il s'agissait d'une salle de jeux. De multiples consoles et tablettes y étaient installées. 712 se demanda comment elles pouvaient bien fonctionner.

  — Ce couloir mène au dortoir 1, déclara Exa. Nous, nous sommes dans le 2ème. Le 3ème est dans l'aile C, comme les salles de classe.

  Les salles de classe... 712 savait quel genre de leçons était donné ici. Il s'agissait essentiellement de cours de bonne conduite.

  Soudain, 712 ressenti un intense mal de tête et sa vue se brouilla. Les voix de Joker et d'Exa se mêlèrent à ses pensées paniquées. Qu'est-ce qui m'arrive ? Il posa une main sur le mur, pour éviter de s'écrouler.

  Puis le monde autour de lui disparu pour de bon.

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