17. Cendre

  

  Profitant de la surprise des garçons, Cendre saisit le bâton de 712 et le tira vers elle pour se relever. L'adolescent, quant à lui, lâcha son arme improvisée et tomba en avant sur le sol.

  — N'approchez pas, s'écria la jeune fille en brandissant le bâton d'un air menaçant.

  Mais aucun des garçons ne bougeaient, ils étaient bien trop stupéfaits pour cela. Même 712 resta cloué à quatre pattes sur le sol.

  — On ne te veut pas de mal, finit par dire Orage.

  — Ce n'est pas vraiment l'impression que vous donniez à l'instant, quand vous me menaciez avec ce bout de bois.

  Joker pointa vers elle un doigt accusateur.

  — C'est toi qui nous suivais, j'te signale. On n'a fait que s'défendre.

  — Moi ? Vous suivre ? N'importe quoi.

  712 fronça les sourcils.

  — On t'a prise sur le fait, alors à quoi ça sert de nier ?

  La jeune fille posa les yeux sur lui et une expression étrange traversa son visage ; un mélange entre de l'agacement et de la tristesse.

  — Très bien. Je vous suivais. J'étais curieuse. Jamais personne ne s'aventure si loin dans cette forêt.

  712 prit la main qu'Orage lui tendait pour se relever.

  — Il y en a d'autres avec toi ? C'est ici que vous vivez ? demanda-t-il.

  — Qui ça ?

  — Vous les filles.

  Cendre baissa la tête. Pendant un instant, ses yeux se perdirent dans le vague, comme si elle n'était plus là mentalement. Finalement, elle tourna les talons.

  — Où tu vas ? demanda 712.

  — Ça ne vous regarde pas.

  Elle jeta un œil derrière son épaule.

  — Ne me suivez pas.

  — Ah ! Parce que suivre les autres ça va, mais si c'est toi qui es suivie, alors là non ? s'emporta Joker.

  — C'est ça.

  Une idée vint à 712.

  — Ecoute, commença-t-il, on ne veut pas s'imposer, mais on faisait une course d'orientation et on s'est perdu. On n'a aucun endroit où dormir. Ça t'ennuierait de nous amener là où tu vis ?

  Ses amis eurent l'air surpris par la proposition. Cendre, elle, le fixa sans mot dire. 712 comprit qu'il lui fallait exposer des arguments plus solides.

  — On est haut en altitude ; il risque de faire très froid. En plus, qui sait s'il n'y a pas des loups dans les parages ? Enfin, si tu refuses, c'est ton droit. Mais on pourrait mourir, tu vois ? Alors il faut que j'insiste...

  — Quel manipulateur tu fais, releva Cendre. Et pour ton information, il n'y a ni loups ni créatures nuisibles dans cette forêt. Enfin, c'est ce que je croyais jusqu'à ce que je vous voie passer.

  Aïe. La tentative de 712 pour la convaincre avait-elle échoué ?

  Le regard de la jeune fille s'attarda sur leurs uniformes.

  — Vous êtes des Déséquilibrés, n'est-ce pas ?

  Les garçons acquiescèrent.

  — Vous me faites un peu pitié. C'est bon, venez. Mais je vous préviens : tentez de me faire du mal et vous le regretterez.

  Elle se remit en route. Les garçons la suivirent en restant suffisamment loin derrière pour pouvoir discuter à voix basse sans qu'elle ne les entende.

  — Les mecs, elle nous espionnait... J'me demande si c'est vraiment une bonne idée tout ça.

  — On n'a nulle part où aller, plaida 712.

  — On aurait pu construire notre propre abri, observa Orage.

  — Pas à cette heure-ci. Il fait trop sombre...

  — J'crois qu'elle n'a pas toute sa tête, confia Joker. Qui s'habille comme ça, sérieusement ? On dirait un ninja.

  Ils marchèrent une bonne vingtaine de minutes et s'arrêtèrent devant l'entrée étroite d'une grotte. Les garçons échangèrent des regards perplexes. Cendre sortit une torche de derrière un buisson et l'enflamma à l'aide d'un briquet qu'elle gardait dans sa poche. Ensuite, elle se plia en deux et s'engouffra dans l'orifice sans mot dire.

  — Attendez... Éveil, t'es vraiment sûrs qu'on devrait passer la nuit là-dedans ? s'enquit Orage.

  — Pourquoi, tu as une meilleure idée ? répliqua l'autre sans attendre de réponse.

  Il suivit la jeune fille le long d'un court boyau et déboucha dans une caverne dont il n'aurait pu déterminer la grandeur, faute d'une luminosité suffisante. Comme si elle lisait dans ses pensées, Cendre approcha sa torche d'un amas de bois entouré de pierre qui prit feu aussitôt. Les flammes éclairèrent les lieux qui se révélèrent très vastes. Le haut plafond était percé en certains endroits, dévoilant des morceaux de ciel étoilé.

  Les voix de Joker et Orage résonnèrent dans le boyau derrière lui et bientôt ils les rejoignirent.

  — Vous auriez pu nous attendre un peu, se plaignit le roux. On a dû avancer dans le noir !

  — Faites moins de bruit, somma Cendre. Nous ne sommes pas seuls ici.

  — Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Orage, visiblement inquiet.

  Sans répondre, la jeune fille s'assit près du feu et tendit les mains pour se réchauffer.

  — Elle doit parler des chauves-souris, avança 712. Il y en a parfois dans les grottes.

  — Oui, je ne parle pas des Examinateurs. Ne vous en faites pas. Ils ne viennent jamais par ici.

  — Tu les connais bien ?

  Cendre ne répondit pas. Ce silence chronique irritait un peu 712. Il avait tant de questions à lui poser. Par exemple : que savait-elle du Programme ? Comment se faisait-il qu'elle vivait dans cette grotte ? D'où venait-elle ? Était-elle seule ? Ne les avait-elle vraiment suivis qu'afin de satisfaire sa curiosité ?... Mais pour l'heure, il valait mieux ne pas trop l'interroger.

  — Vous n'avez qu'à vous installer là-bas pour dormir, déclara-t-elle en désignant un coin sombre un peu à l'écart.

  Joker ne masqua pas son désaccord :

  — C'est mieux près du feu.

  — Sauf que c'est moi qui dors près du feu.

  — Ouais vaut mieux, ça te réchauffera peut-être. T'es pas très chaleureuse comme hôte.

  — Arrête, mec ! Désolé, Cendre, s'excusa 712. Il n'est jamais de bonne humeur.

  Joker pesta entre ses dents. Cependant, Cendre se moquait bien de l'humeur du rouquin, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Elle avait à nouveau l'air absent, le regard perdu dans les flammes.

  Les garçons s'assirent à même le sol, à l'endroit que la jeune fille leur avait indiqué. 712 ferma les yeux, la tête contre la paroi rocheuse de la grotte. Cette position n'avait rien de confortable, mais le crépitement du feu le berçait et il se sentait léger. Sa fatigue était telle que son esprit bascula rapidement aux portes du sommeil.

  — J'peux en avoir ? s'écria soudain Joker, faisant sursauter son ami.

  — Qu'est-ce qui te prend de hurler ainsi ? J'allais m'endormir !

  — Elle a d'la bouffe.

  712 tourna immédiatement la tête en direction de Cendre. Son estomac s'était tenu tranquille jusqu'à présent, mais le simple fait de mentionner la nourriture le fit gargouiller.

  — Quel genre de personnes part faire une course d'orientation sans prévoir de casse-croûte ?

  — On en avait, mais on l'a mangé, rétorqua Joker du tac au tac.

  Cendre glissa vers eux un paquet de biscuits. Orage se leva pour le ramasser et plongea vivement sa main à l'intérieur.

  — On n'sera jamais rassasiés avec ça, se plaignit le roux.

  La jeune fille expliqua qu'elle n'avait pas beaucoup de vivres en réserve. Elle s'appliquait à les économiser, car en trouver était difficile.

  — Où est-ce que tu as eu les biscuits ? demanda 712. Ça ne pousse pas sur les arbres...

  — Chaque matin, un camion traverse la Muraille pour livrer de la nourriture aux cuisines du Programme. Quand les portes de la Muraille s'ouvrent, des Examinateurs vérifient l'identité du conducteur et le camion est alors à l'arrêt. C'est à ce moment-là que je pique ce dont j'ai besoin.

  — Ah, je vois...

  — Euh... J'veux pas casser l'ambiance, mais c'est quoi « la Muraille » ?

  — Je me posais la même question, déclara Orage. Tu pourrais nous expliquer ?

  712 les regarda avec étonnement. Il pensait que ses amis le savaient et qu'il aurait eu l'air idiot s'il avait demandé à être éclairé.

  — Les belles choses ne s'expliquent pas, répondit Cendre, elles se contemplent.

  Joker voulu insister mais les autres lui firent signe de se taire.

*

  — Elle dort ? chuchota Orage.

  — J'pense bien.

  712 ouvrit les yeux et vit ses amis observer la jeune fille qui s'était assoupie.

  — Eh vous deux, murmura-t-il, arrêtez de la fixer comme ça.

  — C'n'est pas elle que j'fixe, c'est le couteau qu'elle a dans la main.

  712 fit la grimace en voyant qu'elle en tenait effectivement un.

  — J'imagine que n'importe qui dormant avec de parfaits inconnus voudraient avoir de quoi se défendre... Après tout, on pourrait être dangereux.

  — C'est plutôt elle qui a l'air dangereuse, objecta le roux.

  Orage, qui était plongé dans ses pensées, passa du coq à l'âne :

  — À votre avis, c'est quoi la Muraille ?

  — C'est sûrement un mur qui sépare la Société de cette forêt paumée, dit Joker.

  712 réfléchit un instant. Le mot "muraille" lui évoquait bien l'image d'un immense mur séparant un territoire d'un autre. Il songea au fait qu'il puisse se souvenir de mots et de ce qu'ils signifiaient, sans pourtant savoir quoique ce soit de sa vie d'avant. Comme tous les Déséquilibrés, il avait cru aux explications du Programme stipulant que leurs connaissances basiques leur avaient été transmises par le biais des Capsules. Mais à présent, il était persuadé que c'était faux. Ils ont dû sélectionner mes souvenirs, ou quelques choses dans le genre... Mais pourquoi ?

  — Vous l'imaginez comment, la Société ? demanda Orage.

  — Dis, c'est ton quart d'heure questions ? railla le roux.

  — Je n'arrive pas à dormir.

  — Moi, j'm'attends pas à un monde merveilleux. Une société qui accepte que le Programme existe... J'sais pas c'que ça vaut.

  — J'espère que tu te trompes. Tu en penses quoi, Éveil ?

  — Hein ? Oh, la Société ?

  Il repensa aux scènes de ses visions.

  — Je suis plutôt de l'avis de Joker.

  Orage fit la moue et le silence revint. 712 étant assis entre ses deux amis, il sentit bientôt leurs têtes d'endormis basculer sur ses épaules. Super. Comme si ce n'était pas déjà assez inconfortable.

  La lueur des flammes projetait des ombres sur les parois de la grotte. 712 les regardaient danser. Il crut même percevoir une mélodie qui les accompagnaient. Une mélodie chantée par un enfant. La petite fille de la vision. Il rêvait, bien sûr. Mais le chant le berça et le fit sombrer dans un sommeil de plomb.

*

  Quelqu'un secoua son épaule et il ouvrit péniblement les yeux.

  — Mec, 'faut te lever. Elle nous jette dehors, maugréa Joker.

  — Je ne vous jette pas dehors, se défendit Cendre, mais vous n'allez pas rester ici éternellement.

  À présent qu'il faisait jour, 712 constata que les ouvertures du plafond éclairaient tout à fait les lieux.

  — On peut manger avant ? demanda Joker.

  La jeune fille leur tendit un autre paquet de biscuits.

  — C'est tout ce qu'il me reste. Si vous en voulez plus, il va falloir venir avec moi chercher de la nourriture.

  — Tu veux qu'on t'aide à en voler aux Examinateurs ? s'étonna 712.

  — Pas spécialement. Si vous avez faim, venez. Sinon, partez.

  En proie aux caprices de leur estomac, les garçons décidèrent de l'accompagner. Aussi voulaient-ils en savoir plus sur Cendre et la fameuse "Muraille".

*

  — Je me demande où est Exa en ce moment, dit Orage tandis qu'ils progressaient en file indienne entre les arbres, la jeune fille en tête.

  Derrière lui, Joker fit la moue.

  — On s'en fiche.

  — C'est bon, arrête de jouer les durs.

  — Je ne joue pas les durs. J'en suis un.

  Orage pouffa.

  — Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

  — T'es vraiment bête.

  — Répète un peu ?

  — Laisse tomber. Je plaisantais.

  — C'est bien ce qui m'semblait. 'Me cherche pas, minus.

  Orage se retourna et lui lança un regard noir.

  — Toi, ne me cherche pas.

  — Les gars, dit 712 d'une voix lasse, ne vous cherchez pas l'un l'autre et ça ira.

  Orage s'arrêta et tout le monde fit de même.

  — Non, j'en ai plus qu'assez de lui et de ses réflexions débiles. Je ne suis pas un minus !

  — Qu'est-ce que t'as ? T'as retrouvé une dignité, tout à coup ?

  La scène se déroula si vite ; 712 n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait que déjà Joker était à terre. Orage se tenait au-dessus de lui, les bras et les jambes dans une étrange position de combat. Le rouquin tenta de se relever mais son agresseur le plaqua à nouveau au sol avec un coup de pied. Cendre resta pétrifiée sur place tandis que 712 saisit Orage par les bras et le tira en arrière.

  — Lâche-moi !

  Orage effectua un mouvement rapide et ce fut au tour de 712 de mordre la poussière. Il tomba très mal et sentit une vive douleur remonter le long de sa mâchoire.

  — Tu es vraiment malade, articula-t-il malgré tout.

  À ces mots, Orage devint livide et empoigna ses cheveux noirs.

  — Désolé, désolé... Mes médicaments...

  — Quoi tes médicaments ? s'agaça 712.

  — Je ne les ai pas.

  — Et c'est grave ?

  Vu l'expression sur le visage de Joker, ça l'était.

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