14. Se maîtriser

  

  712 n'aimait pas beaucoup courir. Ça lui rappelait la fuite qu'il avait vécue dans une de ses visions. Cependant, le cours de sport était obligatoire et il ne pouvait y échapper. Il trottinait dans le gymnase, sous les yeux du professeur et loin derrière ses camarades. Orage, qui était en tête, ralentit et laissa les autres le dépasser pour que son ami puisse le rattraper.

  — Allez, Éveil ! Tu es vraiment lent aujourd'hui.

  — Il craint ce cours.

  — Pourtant tu assurais au basket, la semaine dernière.

  — Alors c'est courir qui craint.

  Le prof siffla.

  — C'est bon tout le monde, revenez ici.

  Les élèves se regroupèrent autour de lui. Il s'appelait Mr. Josh. C'était un homme de grande taille, costaud et toujours en survêtements. Son crâne était encore assez fourni pour son âge, bien que ses cheveux grisonnassent. Il avait un tic agaçant : celui de s'humecter les lèvres, comme s'il allait utiliser son sifflet après chaque phrase prononcée.

  — 712, on peut savoir ce qui t'arrive ?

  — Je ne suis pas en forme.

  — Mensonge. Tu n'as simplement pas envie de faire d'efforts. Fais-moi 10 pompes.

  — Quoi ?

  — Exécution !

  Quelques garçons se moquèrent. 712 se mit en position et fit une pompe, puis deux, puis... Son mal de tête habituel le reprit et ses bras se dérobèrent sous lui. Le professeur lui ordonna de continuer mais il n'y arrivait plus. La douleur était trop forte.

  — Quelle chochotte, s'exclama un Déséquilibré.

  — Bon, ça suffit ! 712, relève-toi.

  Le garçon voyait flou. Il cligna des yeux plusieurs fois pour essayer de recouvrer une vision nette, mais rien n'y fit. Chancelant sur ses pieds, il se releva tant bien que mal. Joker lui donna une petite tape dans le dos.

  — Ça va, mec ?

  712 hocha la tête.

  — Je n'ai pas beaucoup manger ce matin, ça doit être ça...

  Mr. Josh le regarda avec sévérité.

  — Tu as bien de la chance que seul le bon comportement et la personnalité sont pris en compte au sein du Programme, et non vos performances scolaires.

  — Alors à quoi sert votre cours ? osa Joker.

  — À vous apprendre les sports présents dans la Société, petit impertinent. Ainsi qu'à vous donner un peu d'esprit de compétition, d'esprit d'équipe et à vous inculquer la notion de fair play.

  La cloche retentit.

  — Bien, c'est fini pour aujourd'hui. Mais avant que vous partiez, j'ai quelque chose à vous annoncer. Nous avons planifié dans quatre jours une course d'orientation dans la forêt. Votre équipe est votre chambrée

  Quelques exclamations de protestation s'élevèrent.

  — Silence ! Votre équipe est votre chambrée, un point c'est tout. Ça simplifie les choses.

  712 regarda Exa. Le jeune homme ne leur avait toujours pas pardonné de l'avoir utilisé pour leur plan. L'ambiance durant la course risquait d'être tendue...

*

  Après avoir pris le repas de midi, 712 se sentait déjà mieux. Peut-être que son mal de tête n'était vraiment dû qu'à la faim, finalement.

  Les garçons se retrouvèrent au « cours de maîtrise de soi », donné par « maître Calme ». Il tenait à ce qu'on le nomme ainsi. Personne ne savait si « Calme » était réellement son nom ou s'il l'avait choisi - ce qui aurait été farfelu, étant donné l'intitulé du cours qu'il donnait.

  — Bonjour, salua-t-il en arborant son accoutumé sourire béat. Au cours précédent, nous avons vu comment garder notre calme face à une personne qui nous mettait hors de nous. Vous vous souvenez ? Premièrement, inspirez profondément puis expirez longuement. (Il joignit les gestes à la parole.) A vous. Inspirez. Expirez. Bien.

  — Il répète ça à chaque cours, c'est relou, murmura Joker à 712.

  — Un problème, 638 ?

  Joker sourit puis inspira et expira.

  — Non, monsieur...

  — Maître Calme !

  — Maître Calme ! Il n'y a aucun problème. Je suis calme.

  — Ha ha, très drôle, dit le professeur devant les quelques rires des élèves. Vous êtes tellement immatures. Puisque mes explications ne semblent pas vous intéressez et que vous avez tous l'air si sûr de pouvoir contrôlez vos émotions, nous pouvons passer à un exercice de niveau supérieur.

  Il ouvrit un grand sac noir remplis de gros bracelets métalliques. Il en prit un et le montra à la classe.

  — Ceci est un objet de toute dernière technologie : le détecteur de rancune. Lorsque vous le portez et que vous vous trouvez face à une personne, il émet une lumière rouge clignotante si vous éprouvez pour elle un grand ressentiment. La lumière orange est pour une colère disons moyenne et la verte signifie que vous êtes en relativement bons termes.

  Encore quelque chose pour lire dans nos pensées, pesta 712.

  — Venez en prendre un et attachez-le à votre poignet. Repoussez les bancs contre les murs et mettez-vous face à quelqu'un.

  712 se mit face à Joker. La petite ampoule de leur bracelet respectif s'alluma en vert.

  — Vous, vous vous entendez bien, remarqua le professeur. C'est une bonne chose, mais le but de cet exercice est de trouver une personne contre laquelle vous êtes en colère ou que vous n'aimez pas, pour que vous puissiez apprendre à vous maîtriser. Mettez-vous face à quelqu'un d'autre.

  Les deux amis firent la moue mais obéirent. 712 se retrouva chaque fois devant des élèves différents, avec lesquels il n'avait que peu voire jamais parlé. Aucune raison qu'ils s'entendent mal, donc. L'ampoule continuait de s'allumer en vert. Il allait encore changer de personne quand Noise le bouscula.

  — Regarde où tu vas, nourrisson !

 Leurs bracelets se mirent à clignoter en rouge.

  — Oh formidable, s'exclama le professeur avec une joie déplacée. Vous vous êtes enfin trouvés.

  — Quel soulagement, marmonna 712.

  Maître Calme frappa dans ses mains pour attirer l'attention des élèves.

 — Quand vous avez votre partenaire, prenez place sur une chaise et discuter avec lui pendant le reste du cours. N'oubliez pas de rester calmes et polis. Je passe dans chaque groupe pour voir comment ça se passe.

  La mine renfrognée, Noise prit une chaise et s'affala dessus. 712 l'imita.

  — Ne t'attends pas à c'que j'te cause.

  — Justement, j'espérais bien que tu dirais ça. Je n'ai pas envie de discuter avec un type dans ton genre.

  — Un type dans mon genre ?

  — Personne ici n'est un exemple à suivre, mais toi, tu es pire. Tu n'as même pas un bon fond.

  — T'es sûr de ça ?

  — Sûr et certain, déclara 712.

  — J'veux dire : t'es sûr que j'suis pire ? (Il ricana.) Tu crois que tes p'tits potes sont mieux ? Laisse-moi t'dire une chose, nourrisson. Si tu les connaissais vraiment, tu n'traînerais même pas avec eux. Surtout pas avec Orage, ce traître.

  712 cilla, perplexe. Il se racla la gorge.

  — Laisse-le tranquille. Je sais que tu le harcelais depuis un moment. S'en prendre au faible, il n'y a rien de plus lâche. Franchement, tu me fais pitié.

  Noise était devenu rouge de colère. Il serrait le poing, comme s'il voulait frapper 712 mais pourtant il se retenait.

  — Fichus médocs, fichus médocs, répétait-il entre ses dents.

  C'était une scène très étrange. Comme si Noise n'arrivait plus à se mouvoir. Il était figé.

  Est-ce qu'il essaie vraiment de se maîtriser ?

  — Tout va bien ici ? demanda le professeur en arrivant près d'eux.

  Il observait Noise d'un air inquiet.

  — Tout va bien, répondit 712. Noise et moi sommes en pleine maîtrise d'émotions, pas vrai ?

  L'intéressé resta muet.

  — Formidable, s'exclama maître Calme en s'éloignant.

  Un silence s'installa. 712 remarqua à quel point Noise semblait frustré. Il crut même percevoir de la terreur dans ses prunelles.

  Il a parlé de médicaments...

  — Tout ça c'est de la faute de Silence, finit-il par dire. Lui aussi, c't'un traître.

  — Qui ?

  — Le gars qui nous a dénoncé, mes potes et moi. C'est lui qui a dit de r'garder les caméras de surveillance de la salle de retenue, pour montrer qu'tétais innocent. Le pire, c'est qu'vu qu'il s'est dénoncé, il n'a quasi rien eu comme punition alors qu'c'est lui qui avait commencé, en voulant écraser cette fichue mouche. Nous, on a dû se taper l'Isolement.

  — Silence, tu dis ?

  712 ne voyait plus très bien à quoi il ressemblait, mais il lui en devait une.

  — Ouais, il aurait mieux fait d'se taire et de rester terré à la bibliothèque, comme il le fait toujours.

*

  Après le cours, 712 réussit à semer les autres et décida de s'isoler dans la salle de bain de leur chambre. Il grimaça en apercevant son reflet dans le miroir. Il restait encore des traces de l'œil au beurre noir qu'Orage lui avait fait en voulant l'aider à avoir des anti-douleurs.

  Le garçon s'assit par terre et ramena ses genoux contre lui. Noise avait semé le doute dans son esprit en ce qui concernait ses amis. C'est vrai qu'il ne les connaissait que depuis peu. Pouvait-il vraiment leur faire confiance ?

  Son mal de tête était revenu et il avait des sueurs froides. Il sentait qu'une vision essayait de le faire s'évanouir mais il voulait lutter.

  — Ça suffit ! Je ne veux pas ! Je ne veux plus savoir !

  Il se prit la tête entre les mains et la serra de toutes ses forces. La douleur était si intense qu'il en sanglotait. Puis il perdit connaissance.


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