13. Châtiment
Les murs du bureau de l'Examinateur en chef étaient rose pâle, chose plutôt rare pour une pièce appartenant au bâtiment du Programme. Des bibelots étaient posés sur les meubles, des plantes sur les appuis de fenêtres et il régnait une odeur intenable de désinfectant.
L'Examinateur en chef était le seul de ses collègues à porter un costume noir. Assis derrière son bureau, il fixait depuis trente longues secondes 712, Joker, Orage et Exa sans rien dire. Les garçons se lançaient des regards anxieux. Joker fit craquer ses mains et le son que cela provoqua sembla sortir l'Examinateur de son silence.
— Il y a des visages ici qui me sont familiers. Je les reconnais en bien (Il regarda Exa.) ou en moins bien. (Ses yeux se posèrent sur Joker, puis sur Orage avec dureté. Ce dernier s'enfonça dans son siège.) Mais toi, je ne t'ai encore jamais vu, dit-il en désignant 712 d'un mouvement de tête. Je suis Mr. Opte. Tu m'as l'air bien rebelle, pour un Nouveau-né.
712 ne bougea pas d'un poil. Il toisait l'Examinateur sans rien dire.
— Ce que vous avez fait est grave, très grave.
— Monsieur, s'exclama Exa, je vous jure que je n'ai rien à voir avec cette révolte ignoble.
Joker ricana.
— C'est clair, il n'est pas assez malin pour ça, commenta-t-il.
— Répète ça ?
Le rouquin sourit, satisfait de l'effet qu'avait produit sa pique.
— Ça suffit, taisez-vous, intima l'Examinateur.
712 grimaça. Ça commençait mal.
— 542, tu mérites tout de même une punition pour avoir tenté de frapper 712.
— Mais...
— J'ai dit : ça suffit ! Non mais regarde-toi. Est-ce vraiment comme ça que doit se comporter un Agent Spécial ?
Mr. Opte secoua la tête.
— Je te retire ton titre. Vois le bon côté des choses : tu ne dois plus t'occuper de 638.
Exa se prit le visage dans les mains. L'homme toussota puis repris :
— Comme je le disais, ce que vous avez fait est très grave. J'aimerais que votre punition soit exemplaire. Cependant, aucun de vous n'est réellement allé jusque la forêt. De toute manière, avec les barrières électriques que nous avons érigées à son orée, vous avez bien fait de changer d'avis. 712 s'est rendu, 563 a dénoncé les autres et 542 est en partie innocent. Quant à 638, il semble avoir pris ça pour un jeu vu sa petite course poursuite dans les couloirs avec l'un de mes collègues. Alors, vous renvoyer du Programme serait peut-être un peu trop radical.
712 se sentit soulagé. Personne ne savait ce qui arrivait à ceux qui étaient renvoyés.
— C'est pourquoi j'ai décidé d'enlever 100 jours à votre compte à rebours.
— Vous vous fichez de nous ? lança Joker, sans agressivité dans la voix.
Exa se redressa :
— Vous ne pouvez pas faire ça, murmura-t-il.
— Mais bien sûr que si.
Le jeune homme s'empourpra, jeta un œil à ses camarades puis baissa la tête.
— Je... Il ne me reste déjà plus beaucoup de temps.
712 se rappela que le temps restant était un sujet embarrassant chez les Déséquilibrés, bien qu'il ne sût pas vraiment pourquoi. Il comprenait la peur que cela suscitait, mais pour quelle raison était-ce gênant d'en parler ?
— C'est-à-dire ?
— Vous le savez, fit Exa sans relever la tête. Ne me forcez pas à le dire devant eux.
Mr. Opte consulta sa tablette.
— Voyons... 114 jours moins 100... Il te reste 14 jours.
Exa sera la mâchoire.
— J'ai toujours été obéissant ! Pourquoi êtes-vous si sévère avec moi alors que 563 a fait bien pire il y a un an et n'a reçu que des médicaments pour punition ?
Orage lui lança un regard noir.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Mr. Opte ignora la question d'Exa.
— Ce n'est pas tout. Je vous donne également deux jours de corvées ménagères.
Joker tiqua.
— Des corvées ménagères ?
— La liste de vos tâches et les heures auxquelles vous devez les accomplir son marquées là-dessus.
L'homme leur tendit à chacun un post-it.
— J'ai des collègues qui attendent ceux qui ont désactivé leurs colliers pour les remettre en marche. Sachez qu'aucun Déséquilibré n'a désormais le pouvoir de les désactiver. Maintenant, déguerpissez. Et que je n'aie plus à vous convoquer !
*
— Ça devrait être notre temps libre, à cette heure, pesta Joker.
Il était assis sur le rebord d'une fenêtre qui donnait sur la cour de récréation. Des Déséquilibrés y bavardaient joyeusement.
— Surtout, ne nous aide pas, s'agaça Exa. Je ne comprends pas pourquoi tu as mis ce truc. (Il indiqua du menton le bandeau de sport qui barrait le front du roux.) Tu ne saurais pas transpirer ; tu ne fais rien depuis tout à l'heure !
Joker lui sourit.
— Voilà voilà, je viens, maman...
Les garçons s'attelaient à nettoyer une salle de classe. 712 balayaient le sol, pendant qu'Orage, accroupis, s'occupait de récupérer la poussière avec une ramassette. Quant à Exa, il frottait les bancs à l'aide d'une lavette.
— C'est vraiment idiot, observa 712. Ils ont des robots de nettoyage qui font tout tous seuls...
— Ils auraient pu nous fournir des aspirateurs au moins, bougonna Orage.
— Vous allez arrêter de geindre, oui ? Tout ça, vous l'avez mérité.
— T'es relou, maman.
Joker s'assit sur le banc qu'Exa venait de nettoyer.
— Enfin... Plus que 13 jours à te supporter.
Exa lui lança son chiffon à travers la pièce. Il visait la tête de Joker, mais ce dernier réussi à l'éviter.
— Facile à dire, pour toi, s'écria Exa. Tu ne veux pas obtenir l'Équilibre.
712 et Orage regardèrent Joker, surpris. Le sourire narquois du rouquin s'effaça.
— J'ai raison, pas vrai ? C'est pour ça que tu te comportes sans cesse comme une ordure ?
À présent, c'était lui qui affichait un sourire mauvais. 712 ne le pensait pas capable d'une telle expression faciale. Il avait l'air d'un psychopathe.
— C'est à cause de lui, hein ?
— Arrête, Exa, fit Joker d'une voix étrangement calme.
— Mais oui, c'est ça, je viens juste de le réaliser ! C'est parce que lui ne l'a jamais eu.
— Je t'interdis de parler de lui !
Exa secoua la tête.
— Tu es vraiment un imbécile, 638. (Il se dirigea vers la porte.) Tu as raison, il ne me reste que 13 jours. Tu m'envies peut-être... Tu rêves de disparaître toi aussi, je me trompe ? Comme ça, tu pourras le retrouver ? Mais tu veux que je te dise ? Je pense qu'ils nous tuent si on n'obtient pas l'Équilibre. Je suis un homme mort. Tout comme Smile.
Exa sembla regretter ses propos en voyant la souffrance dans les yeux de Joker. Il tourna le dos aux autres.
— Bref. Je ne vois pas pourquoi je perdrais le peu de temps qu'il me reste à nettoyer une classe avec une bande de Déséquilibrés. Salut.
Sur ce, il quitta la pièce sans un regard.
*
— Bon, on a fini ici, annonça 712, rompant le silence qui s'était installé avec le départ d'Exa.
Joker prit le sac poubelle et entreprit d'aller le porter dans la benne à ordure. 712 profita de son absence pour parler à Orage.
— C'est qui ce « Smile » qu'Exa a mentionné tout à l'heure ?
— L'ancien Agent Spécial de notre dortoir... Et le meilleur ami de Joker. Ils trainaient tout le temps ensemble.
— Ah...
— C'était un gars bien. Enfin, il avait des défauts, c'est sûr. Mais il était toujours là, à défendre les plus faibles. Joker avait l'art de se retrouver dans des bagarres. Smile l'a tiré d'affaire plus d'une fois.
— Puis il a disparu, c'est ça ?
Orage hocha la tête.
— On raconte que son temps était écoulé. Deux jours plus tard, c'est Exa qui a pris sa place d'Agent Spécial.
— Ça explique pourquoi Joker le déteste autant, releva 712.
— Oh, je ne pense pas qu'il le déteste. (Orage détourna les yeux.) Je pense qu'il ne veut simplement plus s'attacher à qui que ce soit.
— Mouais...
— De quoi vous parlez ?
Les deux amis sursautèrent. Joker venait de revenir.
— Du plan, répondit instantanément 712.
— Ah, ce désastre...
— Mais non, ce n'était pas un désastre ! Pense à la conversation qu'on a entendue.
— Quelle conversation ? demanda Orage.
712 lui en fit part et son ami fut aussi choqué qu'eux.
— J'le crois pas... Et que faisaient deux femmes ici ?
— Aucune idée, répondit Joker.
— Quoi ? C'est si bizarre qu'il y ait des Examinatrices ? s'enquit 712.
— Bah ouais. Elles ne bossent que chez les filles, normalement. Y'a jamais eu d'Examinateur femelle ici.
Orage rit.
— « Examinateur femelle ». On dirait que tu parles d'une espèce animale.
— C'est le cas, non ? S'ils n'nous considèrent pas comme humains, j'vois pas pourquoi on devrait...
712 regarda le post-it que Mr. Opte lui avait donné.
— On ferait mieux de passer à la suite. On a encore beaucoup de choses à faire et les Examinateurs doivent venir vérifier ce qu'on a fait à seize heures.
Les garçons sortirent dans le couloir et se dirigèrent vers la pièce suivante.
Chaque fois qu'ils croisaient un Déséquilibré, ce dernier les félicitait pour leur petite révolte ou les dévisageait d'un air réprobateur.
— Ils sont chiants à nous juger comme ça, se plaignit Joker. Ils se prennent pour des Balances ou quoi ?
— Regardez !
Orage montra du doigt un homme sur une échelle. Il était en train d'installer quelque chose au plafond.
— Il remplace les caméras, constata Joker avec étonnement.
Les nouvelles caméras étaient bien plus modernes. Elles s'encastraient parfaitement dans le plafond et était placée de sorte à filmer le couloir en 360°. Des capsules en verre les protégeaient des chocs extérieurs. Pas moyen de les briser, ni de les décrocher.
— Votre attention s'il vous plait, déclara une voix à travers un haut-parleur.
« Ceci est un message de l'Examinateur en Chef. Suite à la petite révolte menée par quatre Déséquilibrés hier, nous avons décidé de renforcer notre système de sécurité. Aussi, mes collègues et moi-même avons reçu l'autorisation du gouvernement de porter des armes dans l'enceinte du bâtiment, afin que les pensionnaires saisissent bien quels sont les rapports de force en présence. Merci de votre attention. »
Le couloir était soudain devenu très calme. 712 fut le premier à sortir de son mutisme :
— On est pris au piège.
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