12. Stratagème
Quelques heures plus tôt, Joker dévisageait 712 pour ce qu'il venait de dire.
— Me mettre sous le lit ?
— Oui, dépêche-toi...
— Attendez, chuchota Orage en relevant le drap qui le recouvrait. Il faut désactiver nos colliers.
Il désigna Exa du menton. 712 acquiesça et s'approcha du lit de l'Agent Spécial. Il prit délicatement la main de ce dernier et en porta l'index à son propre collier. Une voix s'en éleva :
« ACCÈS AUTORISÉ. SYSTÈME DÉSACTIVÉ. »
— La vache, s'exclama Joker dans un murmure, ça en fait du boucan quand ça se désactive.
— Chuuut ! l'intima 712. À vous.
Exa baragouina dans son sommeil. Les garçons retinrent leurs souffles. Enfin, à leur grand soulagement, leur condisciple se tut et se tourna sur le côté.
Une fois leurs colliers désactivés, 712 et Joker se cachèrent sous les lits. Orage pris deux oreillers qu'il enroula de ficelles pour former deux boules. Il en prit ensuite une dans chaque main et se mis avec sous le drap.
712 vit Joker écarter les mains en signe d'incompréhension. Le rouquin se trouvait à sa droite, caché sous le lit d'Exa. 712 articula le mot « attends » en silence puis tira sur le pan du drap qui tombait du lit au-dessus de lui, afin d'être entièrement caché.
Il entendit la porte s'ouvrir puis se refermer en douceur. Orage était parti.
*
Les minutes s'écoulaient lentement et la position de 712 commençait à le faire souffrir. Son corps reposait sur le sol carrelé de la chambre. Joker aussi s'impatientait, surtout depuis qu'Exa s'était mis à ronfler.
Tout à coup, une puissante alarme retentit.
— Aïe ! s'exclama Exa.
712 se retint de pouffer. L'autre avait dû se cogner.
— Les gars, qu'est-ce qu'il se passe ?
Joker et 712 gardèrent le silence. Quelqu'un entra dans la pièce.
— Debout ! Debout ! Tout le monde descend dans la cour !
Un Examinateur. 712 releva un peu le pan du drap pour jeter un œil à la scène. Comme prévu, Exa était trop abasourdi pour regarder attentivement la chambre et il sortit en fermant la porte derrière lui.
712 attendit encore quelques minutes puis rampa sur le ventre pour s'extraire de sous le lit. Joker l'imita et bientôt les deux garçons furent debout, s'époussetant les jambes et les bras.
— C'était quoi tout ce cirque avec le drap ? demanda le roux.
— Il faut que les Examinateurs pensent que nous avons quitté la chambre en même temps qu'Orage. Les deux oreillers devaient leur faire croire que nos têtes étaient sous le drap.
— C'est n'importe quoi.
— Mais non ! Écoute : une fois hors du dortoir, Orage devait rejoindre les toilettes - où il n'y a aucune caméra – pour se débarrasser du drap. Il ressortait seul et cassait la caméra du couloir.
Il y eut un silence.
— Je pige que dalle.
712 eut une petite moue.
— Réfléchis. Les Examinateurs croient qu'on était avec Orage sous le drap et qu'on est entré avec lui dans les toilettes. Ensuite, ils supposent que l'on est sorti des toilettes, sauf qu'ils ne nous ont jamais vu le faire puisqu'Orage a cassé la caméra.
— ...
— En clair, ils pensent que nous sommes dehors, alors que nous sommes ici.
La lucarne de Joker sembla s'éclairer.
— Ah d'accord !
Il se mit à rire.
— Tu parles d'un plan.
712 allait répliquer mais le rouquin enchaîna :
— Et maintenant ?
— Maintenant, ils devraient garder Orage sous surveillance. Il est censé leur dire qu'on est parti dans la forêt. Le but est qu'ils concentrent leurs forces sur l'extérieur.
— Euh... D'accord, mais il reste quand même toujours des Examinateurs pour surveiller les Déséquilibrés à l'intérieur. Comment tu veux sortir sans attirer l'attention ?
712 sourit.
— Orage m'a raconté que peu de temps après qu'il ait intégré le Programme, des Déséquilibrés ont tenté de s'échapper. Ç'a créé une grosse panique chez les Examinateurs et tout le monde avait été regroupé dans le gymnase. La différence, c'est que les fugitifs avaient toujours leurs colliers, alors ils ont été retrouvés assez rapidement.
Joker n'avait pas l'air très confiant.
— On n'a qu'à sortir en évitant de montrer nos visages aux caméras, conclut 712.
— Sauf que si tout le monde est dans le gymnase, ça va paraître chelou que deux gars se baladent dans les couloirs, même si on ne les voit pas de face sur les vidéos. Tu n'crois pas ?
— Tu marques un point. Mais ils ne devraient pas prêter grande attention à ce qui se passe dans le bâtiment. Enfin, j'espère...
Joker fit la grimace. 712 s'empressa de lui exposer la suite du plan, de peur que son ami ne le lâche :
— Vers treize heures, Orage a prévu de faire diversion pour évacuer les quartiers des Examinateurs. On y entre à ce moment-là. Ça ne nous laisse que quelques minutes pour trouver ce qu'on cherche.
— Et qu'est-ce qu'on cherche, au juste ?
— Je ne sais pas... Des réponses. Quelque chose à trouver.
*
Six heures passèrent. 712 réexpliqua plusieurs fois le plan à Joker, afin d'être certain qu'il l'ait mémorisé.
Enfin, la sonnerie du temps de midi retentit. Les deux adolescents attendirent environ vingt minutes avant de se risquer à quitter leur chambre. Le dortoir était désert. Ils se dirigèrent vers la sortie en prenant bien garde de rester dos aux caméras et atteignirent le couloir sans encombre. Le plan semblait fonctionner comme sur des roulettes.
Têtes baissées, les oreilles à l'affût du moindre bruit, les garçons progressaient prudemment dans le bâtiment du Programme. Passer devant des pièces était plus délicat. Ils craignaient que quelqu'un ne se trouve à l'intérieur et ne les voit passer, car toutes les portes étaient vitrées. Mais ils ne virent personne.
Ils arrivèrent dans l'aile menant aux quartiers des Examinateurs. 712 consulta sa montre :
— Midi vingt-cinq. On est à l'avance.
— J'veux pas casser l'ambiance, mais ton plan c'est d'la merde. On est parti trop tôt.
— Facile de critiquer quand on ne propose rien...
Joker leva les yeux au ciel.
— Bref. On fait quoi ? demanda-t-il.
712 regarda autour de lui, réfléchissant à la question. Il fallait faire vite. Des bruits de pas se firent entendre en même temps que s'éleva une voix de femme :
— Ça ressemble à ce qu'il s'est passé il y a deux ans.
— En effet, répliqua une autre.
Les garçons se regardèrent avec des yeux terrifiés, ne sachant pas où se cacher. Finalement, Joker ouvrit une porte à sa droite et tira 712 par le poignet. Ils étaient dans une salle de classe. Ils accueillirent le bureau du professeur comme la cachette idéale et s'accroupirent en dessous. Les femmes passèrent devant la pièce et ils entendirent la suite de leur conversation :
— Je me demande si nous ne devrions pas leur dire la vérité dès le départ. Ça diminuerait peut-être le risque d'évasion et de révolte.
— Vous plaisantez ? Cette histoire de Capsules est le meilleur moyen que nous ayons trouvé pour tenir ces gamins tranquilles. Vous savez bien qu'ils ne sont pas aussi dociles que les filles.
Les voix s'estompèrent. Cependant, 712 réussit encore à percevoir quelques paroles :
— Mais ça reste un mensonge. Et puis, comment pouvez-vous prétendre que les filles sont plus obéissantes ? Vous savez pourtant ce qui est arrivé...
Les deux garçons n'en croyaient pas leurs oreilles.
— Alors tu avais raison, souffla Joker, les yeux écarquillés. Le Programme... Les Capsules... Tout est faux !
Malgré ses visions - qui aurait dû le préparer à une telle révélation - 712 était lui aussi profondément choqué. Avoir la confirmation qu'on leur mentait s'avérait bien plus terrifiant que prévu. Quelque chose ne collait pas. Si les Capsules faisaient partie du mensonge, comment expliquer qu'il se soit bel et bien réveillé, une vingtaine de jours plus tôt, allongé dans un de ces grands tubes transparents, la tête sous un casque d'électrodes et plusieurs perfusions dans les bras ? Qu'est-ce que c'était que ces engins ? Que lui avait-on infligé ? Et, surtout, pourquoi ?
— Restons planqués ici jusque treize heures, déclara 712 en tentant de chasser ces questions angoissantes.
*
Au bout d'un moment, un grand vacarme éclata dans le couloir.
— Il fait une crise !
712 et Joker passèrent leur tête hors du bureau pour voir ce qu'il se passait. À travers la porte vitrée, ils virent des infirmiers courir avec un brancard en direction des quartiers des Examinateurs. Une minute plus tard, ils repassèrent en sens inverse. Orage se tenait sur le brancard et des Examinateurs l'accompagnaient, ainsi que le docteur Bleye.
— Maintenant, fit 712 lorsque la petite troupe eut disparu de son champ de vision.
Lui et Joker retournèrent dans le couloir en essayant d'être les plus discrets possible. Ils trottinèrent jusqu'à l'entrée des quartiers des Examinateurs. Ils regardèrent à l'intérieur et constatèrent qu'il restait un Examinateur pour garder l'endroit.
— Mince...
— Je m'en occupe, annonça Joker en faisant craquer ses poings.
— Non, attends !
712 retint fermement Joker par le bras.
— Si ses copains se rappliquent, comment tu comptes expliquer que leur collègue est inconscient ?
Joker roula des yeux.
— Je croyais qu'on était pressés ?
— J'ai une meilleure idée. Retourne dans la classe où on s'est caché. Je fais diversion.
— Non, toi retournes-y.
Ses yeux pétillaient comme ceux d'un chat devant une souris.
— Je t'ai dit que je m'occupais du garde.
712 haussa les épaules et se mit à courir vers le bureau. Joker s'avança devant l'entrée et mis ses mains en porte-voix :
— Eh, c'est moi qu'vous cherchez ? s'écria-t-il.
712 entra dans la classe juste au moment où le garde se mis à poursuivre Joker dans le couloir opposé. Il attendit quelques secondes puis retourna dans les quartiers des Examinateurs. Il repéra une tablette tactile sur une table et entreprit de l'allumer pour y chercher des informations.
— Merde, souffla-t-il.
Il faut des empreintes autorisées pour la déverrouiller. On aurait dû y penser.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? fit quelqu'un dans son dos.
Le garçon se retourna et vit Exa qui se tenait contre le battant d'une porte.
— Et toi ? demanda simplement 712, ne sachant que dire.
— Moi ?
Le jeune homme eut un rire jaune.
— Je suis suspecté de vous avoir aidé dans votre petite fuite parce que vous avez utilisez mes empreintes ! Non mais, pour qui vous vous pren-...
— Je suis désolé, le coupa 712. Je sais que tu ne comprends pas ce qui se passe, mais c'est vraiment important. Tu pourrais déverrouiller la tablette avec tes empreintes ?
Exa vit rouge. Il s'approcha de 712 et leva la main pour le gifler. 712 ferma les yeux par réflexe.
— 542 ?! s'exclama la voix d'un homme.
À l'évocation de son numéro, la main d'Exa resta suspendue dans les airs, à quelques centimètres du visage de son camarade. Plusieurs Examinateurs avaient fait irruption dans la pièce. L'un d'eux tenait Joker par l'oreille. 712 leva instinctivement les mains et s'écria :
— Je suis venu ici pour me rendre !
— Quoi ? s'étonnèrent en cœur Exa et Joker.
712 lança un regard appuyé à Joker. Il songea que leur plan n'avait pas été qu'un échec, bien qu'il ne se soit pas déroulé comme prévu. S'ils ne l'avaient pas fait, ils n'auraient probablement jamais surpris la conversation entre les deux femmes. Ils n'avaient donc pas pris tant de risques en vain. Au moins, ils étaient sûrs et certains qu'on leur mentait. À propos de quoi exactement, ça restait encore à découvrir.
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