Prologue
Elle ne comprenait pas. Son père et sa mère lui cachaient la vérité. Les adultes lui cachaient la vérité. Tout le monde lui cachaient la vérité. Elle ne serait pas sensée s'en préoccuper. Les jeunes de son âge se moquaient bien des problèmes du Continent. Ils se croyaient à l'abris, au fond de leur forêt.
Mais elle savait que la réalité était tout autre.
Cela avait commencé, il y a quelques mois. Les adultes et les vieillards changeaient imperceptiblement. Dans leur minuscule village, lorsque l'on prenait le temps d'analyser chaque personne, chaque visage, chaque personnalité, la différence était flagrante. Les silhouettes se recourbaient, les rides apparaissaient. Les adultes si confiants, sursautaient au moindre bruit. Ils s'échangeaient des messages à voix basse, et impossible de les entendre. Les personnes âgées prenaient les jeunes dans leurs bras leur murmurant que tout allait bien, qu'il ne fallait pas s'inquiéter.
Ah! La bonne plaisanteries! Ils étaient donc tous aveugles? Il était évident que les Élémentaires avaient leurs mots à dire. Les Élémentaires avec leurs pouvoirs. Les Élémentaires qui, d'un simple geste de la main, pouvaient créer de la lumière, apaiser le vent, transformer l'eau et modeler la terre. Voilà qui étaient ces gens. Chez eux, aucun Élémentaires. Seulement des « Élus ». En effet, les autres avaient beau les appeler les « Destitués », les « Indignes » ou les « Intouchables », il ne fallait pas oublier que leurs pouvoirs avaient été confié, à la base, aux plus faibles d'esprit et de corps. Jamais elle n'avait vu d'Élémentaires et elle ne comptait pas en voir de sitôt.
« Allons, Sayaki, lui disait-on lorsqu'elle ne s'efforçait pas de cacher son dégoût, Les Élémentaires peuvent être très utiles! Ils sont capables de rendre fertile une terre infructueuse!
— Tout cela est contre nature! » Crachait-elle à l'instar de de ses camarades qui osaient contredire les enseignements de la vieille Béatrice.
Les Élémentaires étaient tous mauvais, lui disait Béatrice. Des la naissance, ils devenaient maudits, disait Béatrice. Ils ne fait pas les approcher, lui répétait-elle. Sans oublier qu'il ne fallait en aucun cas leur accorder notre confiance.
Elle était fidèle à la sage du village. Les autres qui voyait les Élémentaires comme des personnes pouvant être utiles — cette pensée la fit frissonner de dégoût —, ces personnes devraient être condamnées à mort pour leur infidélité.
« Ma chère petite Sayaki, lui dit sa mère, Béatrice demande audience aux jeunes du village. »
Le sage réclamait souvent les enfants. Elle leur prodiguait ses précieux enseignements et autres divers conseils. C'était son moment préféré de la journée.
« D'accord maman, j'y vais de ce pas. »
La vieillle dame habitait à quelques pas de sa maison. Lorsqu'elle entra dans la demeure de Béatrice, elle remarqua un infime changement. L'odeur n'était pas la même. C'était une odeur de mort, tel un voile qui, peu à peu, s'affaissait sur eux.
Béatrice commença son discours; le même que celui des adultes. Face à ces paroles, elle sentit sourdre en elle une fureur incontrôlable. Les prenaient-ils donc tous pour des idiots? Une série de mots emplis de mensonge, voilà ce qu'était le fameux discours de Béatrice, pourtant si sage! À ses côtés, Marine, une camarades de classe, avalait le tout comme une vérité pure.
Elle ne se ferait pas avoir. Ni par les mensonges des adultes, ni par les odieux Élémentaires. Tout était de leur faute.
Tout-à coup, un hurlement la fit sortir de ses pensées. Elle jeta un regard dehors. Du feu. Les bâtisses étaient en train de se brûler.
Ce fut la cohue générale. Les enfants se précipitaient hors de la demeure en criant le nom de leurs parents. Béatrice tentait tant bien que mal de les rassurer, en vain.
Soudain, elle comprit. Le village était assailli. D'étranges hommes et femmes de tous âge apparurent, vêtus d'armure et sur leurs bras dénudés, serpentait une sorte de protection, du haut de leurs épaules jusqu'aux poignets.
Ils allaient tous mourir. Les mystérieux soldats tuaient tous les villageois d'un simple geste de la main. Comme les Élémentaires avec leurs pouvoirs... Sous ses yeux, une folie destructrice. Voilà l'étendu du potentiel de ces monstres!
Elle se mit à courir. Elle voulait fuir. Qu'allait-il advenir de ses parents? Elle n'en avait aucune idée. Fuir, fuir, fuir...
Devant ses yeux terrifiés se tenait Béatrice. Le regard hébété, elle scandait la même phrase: « Comment ont-ils... ? »
Elle s'approchait de la vielle femme lorsque celle-ci tomba par terre dans un bruit sourd, morte. Une lance ornée de pierres lui avait transpercée l'abdomen.
Elle se mit à crier, à hurler. Elle se laissa tomber sur le corps inerte de Béatrice, les larmes coulaient le long de ses joues. Elle avait mal, tellement mal! Elle avait mal à la tête, à force d'entendre les gens agoniser. Elle avait mal aux pieds à force d'enjamber les cadavres qui jonchaient le sol et surtout, elle avait mal au cœur à force de voir son univers — sa vie! — s'écrouler comme un château de cartes sans qu'elle ne puisse pas agir. Impuissante, voilà ce qu'elle était! Elle allait mourir, comme tous les autres.
« Toi la fille blonde! »
Elle se retourna et écarquilla ses yeux, abasourdie. Un soldat. Un petit garçon. Sa voix contrastait étrangement avec son allure menue.
« Béatrice est morte, murmura-t-elle, qu'attends-tu pour me tuer? »
L'enfant la fixa, indécis. Elle remarqua que ses mains tremblaient.
« Je n'ai jamais fait ça, participer à un massacre, chuchota-t-il plus pour lui-même que pour lui répondre, Papa dit que les Élémentaires devraient protéger les Destitués, pas les éliminer.
— Voyons cela! Vous, odieux Élémentaires, vous osez prétendre que votre devoir est de nous protéger? La bonne blague! »
Le garçon se redressa, vexé
« Je commence à croire que papa a tort et que c'est le Maître qui a raison! Vous n'êtes que des méchants!
— Puisque c'est ainsi, achèves moi...! »
Sa voix se brisa sous l'effet de la peur. Il ne fallait pas oublier que ce garçon pouvait la faucher à tous moments. Elle tentait de dissimuler ses sentiments sous des répliques cinglantes, mais le jeune soldat avait dû s'en rendre compte; son visage s'était détendu, du moins, elle le croyait.
« Je ne peux pas faire cela, gémit-il proie à un conflit intérieur, Tu n'as jamais demandé ça, tu vivais ta vie tranquillement et moi, je devrais venir te prendre ton avenir? C'est insensé! »
Il se prit la tête entre les mains.
« Mais si je ne te tue pas, le Maître sera furieux contre moi et papa m'abandonnera pour de bon... »
Elle l'observait, décontenancée. Qui était ce pauvre enfant enrôlé dans une pareille tuerie? Les Élémentaires n'avaient donc aucune morale?
Soudain, il se retourna vers elle, les yeux baignés de larmes. Elle eu un mouvement de recul. Quelque chose ne tournait pas rond chez se garçon. Une étrange et sinistre énergie émanait de lui.
« Va t'en! Va t'en! » hurla-t-il.
Impossible de savoir à qu'il s'adressait.
Terrifiée, elle se releva prestement et, doucement, commença à s'éloigner. Elle tenta de graver son visage juvénile dans sa mémoire. Des grands yeux mauvâtres, des cheveux bruns foncés dont les mèches du dessus formaient une longue longue frange devant son expression effrayé.
Elle continuait de reculer. Finalement, le petit garçon cessa de la regarder. Elle continuait de reculer. Il se retourna et se mit à courir. Elle continuait toujours de reculer, l'esprit ailleurs. Ce fut seulement lorsqu'elle trébucha sur le cadavre d'une fille — Marine? — qu'elle retrouva toute sa tête. Sa peur et sa douleur rappliquèrent si brusquement qu'elle en eu le souffle coupé.
Et alors, à cet instant, les paroles désespérées du jeune garçon lui revinrent en mémoire. Elle courut, pour sauver sa vie. Elle se cacha derrières les débris des maisons calcinées. Elle se coucha près des cadavres pour feindre la mort. C'est uniquement lorsqu'elle eu atteint la lisière de la forêt que sa respiration redevint régulière. Après avoir jeté un dernier regard sur le village, elle s'enfuit dans la forêt.
Elle courait depuis un bon moment déjà. Elle ignorait où elle était. L'odeur de la fumée devait être inexistante, sans doute, cependant, elle continuait de la sentir. Peut-être était-ce elle qui empestait?
Ses jambes la faisaient souffrir. Elle avait envie de se laisser tomber par terre pour ne plus jamais se relever. Elle ralentit le pas; la tête lui tournait.
Ce fut lorsqu'elle s'écroula d'épuisement qu'elle se rendit compte de sa bêtise.
Elle n'avait même pas remercié le petit garçon.
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