Chapitre 5. L'accueil des pleurs
Début mai, 622, district de Takaichi, aux environs d'Asuka
La pensée de Nakatomi no Kamatari s'éloignait. Le jeune enfant était assis au milieu de la grande hutte de son oncle, Nakatomi no Kuniko. C'était une habitation surélevée par rapport au sol grâce à des poteaux de bois avec un toit de chaume, ne comprenant qu'une seule grande pièce où l'on prenait les repas quotidiens, où les affaires du clan était traitées. Les femmes tissaient dans un coin, pendant que les hommes discutaient. Mais aujourd'hui, la chaumière était pleine à craquer de monde. Des hommes, des femmes, des enfants et vieillards. La plupart de ces gens, Kamatari les connaissait à peine, mais il ne se doutait pas qu'il allait devoir faire connaissance avec toute cette foule qui était liée de près ou de loin avec son clan.
Ses longs cheveux mal arrangés étaient retenus par un bandeau de lin blanc et son costume composé d'un kinu* et d'une paire de hakama* blancs reflétait l'ambiance du moment. Les funérailles de son père était achevées. Il enlèverait bientôt les tatouages de couleur ocre qui ornaient son petit visage.
De temps en temps, quelques inconnus et inconnues venaient le saluer et offrir leurs condoléances. C'était la première fois qu'il devenait le centre de l'attention et Kamatari le ressentait mal. Ces soins, cette attention ne lui était prodigués que parce qu'il avait été victime d'une infortune. Sans le décès de son père, il aurait été peut-être un insoucieux anonyme. Mais le fils de Mikeko se ravisa : son père avait été le chef des Nakatomi et tôt ou tard, même jeune , « ses devoirs » envers le clan l'auraient rattrapés.
Autour de lui n'était que murmures et la vue du cercueil , déposé dans le sol lui hanta l'esprit.
Ses yeux brillaient......mais pas à cause des mêmes émotions ressenties dans les montagnes de l'est du pays.
Décidément depuis la mort du prince Umayado, on aurait dit qu'une atmosphère funeste s'était répandue dans la capitale, Asuka. La joie avait cédé à la tristesse, l'espérance à l'amertume.
Les yeux du jeune Kamatari brillaient. Ce n'était pas les rêves transmis par son paternel qui leur donnaient cet éclat si calme mais à la fois si poignant. C'était le décès de son paternel quelques jours auparavant.
À peine furent-ils arrivés à Asuka, après leurs périples depuis les terres de l'Est que le père de Nakatomi no Kamatari, Nakatomi no Mikeko se sentit mal. On attribua cette grave fatigue au fait que le chef du clan Nakatomi était vieux et que le voyage l'avait sûrement affaibli. Très vite pourtant cet fatigue se transforma en fièvre et frissons puis le chef de clan âgé se mit à expectorer des crachats colorés qui trahissaient le gravité de son état.
Nakatomi no Mikeko ordonna donc que Kamatari ne soit point admis à son chevet, craignant que la vue d'un père crachant ses poumons ne traumatise l'enfant.
Fidèle aux directives de son frère aîné, Nakatomi no Kuniko interdit donc au jeune Kamatari de voir Mikeko. Malgré les supplications du garçon, Kuniko ne céda pas. Lorsqu'il fut évident que Nakatomi no Mikeko ne survivrait pas à cette maladie, on convoqua finalement Kamatari auprès de Mikeko.
Kamatari pénétra donc dans cette chambre interdite qui abritait un vieillard aux cheveux blancs, au souffle haletant et rauque et dont les rides plus marquées que d'habitude témoignaient d'une lutte physique et mentale.
Le chef du clan semblait profondément aigri. Il avait toujours été vieux aux yeux de Kamatari, mais-là ce parent si gentil, si doux et protecteur paraissait au seuil du royaume des morts. Comme l'arrivée de Kamatari se déroulait vers le début de la soirée. Une lugubre pénombre régnait dans la pièce. L'atmosphère sinistre l'étouffait et chaque pas qui le menait au lit était hésitant. C'était donc ça, la mort. Cet étrange moment.....et cette sensation, où un être cher se trouve à la merci d'une immensité inconnue, celle qui éteint la flamme des vivants pour les amener dans le Yomi et la pollution éternelle *.
« Papa, pauvre Papa », pensa Kamatari avec des larmes qui coulaient sur sa joue.
Au fur et à mesure qu'il avançait, des sanglots se profilaient dans sa gorge, mais à chaque fois le jeune enfant se retenait. Dans ce douloureux moment, c'est l'une des rares choses à laquelle il tenait : ne pas montrer sa faiblesse et son désespoir , surtout devant son père. En effet, Nakatomi no Mikeko l'avait élevé dans les forêts du pays de Fusa durant toutes ces années et qui lui avait enseigné le goût de la curiosité et des fruits du labeur. Jamais son père ne s'était plaint de ses devoirs en tant que chef ritualiste de la cour ou en tant que chef du clan Nakatomi et ce malgré son âge. Cette immense réserve d'optimisme et d'énergie que Mikeko avait, suscita nombre de fois l'admiration de Kamatari.
Enfin arrivé au près de son géniteur, Kamatari distingua un léger sourire sur le visage de celui-ci. Une faible expression faciale certes, mais qui valait mille mots.
— Kamatari......sois sage, hmm ? , dit Mikeko prenant une pause pour bien s'exprimer malgré ses poumons en sang
Kamatari hocha de la tête.
Son père continua en ces mots :
— Tu feras un.....un excellent.... membre du clan. Tu es travailleur et attentif....c'est bien. Reste... qu'à avoir.... confiance en toi.
Une quinte de toux s'empara de Mikeko, qui ordonna à son frère Kuniko d'éloigner le môme.
De ce qui arriva ensuite, Kamatari ne s'en souvenait trop plus. La fatigue, le stress et les larmes avait eu raison de lui. Mais il en était sûr, il avait pleuré à chaudes larmes ce jour-là.
Kamatari ressentit soudain une petite main qui tirait sa chemise.C'était son cousin Kunitari, de deux ans plus jeune que lui, qui lui adressa un sourire plein d'affection. Kamatari ne put s'empêcher de le serrer contre lui. Mais cette étreinte prit fin lorsque que Nakatomi no Kuniko suivi de plusieurs hommes entra dans la hutte. Une fois arrivé au milieu de la pièce, il observa l'assemblée un moment, puis s'assit devant Kamatari et Kunitari. Les traits de Kuniko était sévères. L'homme ne souriait jamais et pouvait se montrer fort belliqueux. Son visage renfrogné arborait une petite moustache. Sa mizura* venait en plus renforcer cette impression que les gens qui le connaissaient avait de lui : celle d'un authentique chef de clan, autoritaire et respecté.
Son oncle Kuniko allait sûrement faire son discours en tant que nouveau chef et bientôt son père ne serait qu'un souvenir dans la mémoire du clan.
Kamatari n'avait plus de mère depuis sa naissance, maintenant plus de père, il était seul.
Les rêves d'Asuka se seraient-ils brisés ?
Notes :
*Kinu (衣): Ce terme en japonais désigne le vêtement qui recouvre la partie supérieure du corps. Dans notre cas, il s'agit d'« une chemise » ample qui recouvre cette même partie du corps (voir l'image en bas, le kinu est le vêtement qui recouvre le buste du mannequin).
*Le hakama (褌) est l'équivalent japonais du pantalon. Sur le mannequin en haut, le hakama correspond au vêtement qui recouvre les deux jambes. Par ailleurs le costume que vous avez devant vos yeux est l'habillement traditionnel des Japonais juste avant les grandes vagues de sinisation de l'époque d'Asuka et de Nara.
*Le Yomi est le monde des morts dans la mythologie shintoïste. On raconte qu'Izanagi (le dieu co-créateur du monde) voulant retrouver son épouse Izanami décédée, descendit aux enfers pour la récupérer. Mais une fois arriver à destination, il se rendit compte que le corps de sa dulcinée avait commencé à pourrir et empestait. Izanami , honteuse et furieuse, pourchassa Izanagi ,hors du Yomi, qui scella l'entrée en sortant. Izanami jura alors de tuer mille créations d'Izanagi. Izanagi répliqua qu'il en créera mille-cinq-cents. C'est ainsi que le cycle de la vie et de la mort fut créé. C'est aussi pourquoi la mort a une dimension sale et pourrie dans le Shinto.
*La mizura est la coupe de cheveux caractéristique des Japonais de l'Antiquité (elle remonte au 5ème siècle de notre ère) . Une partie des cheveux est rassemblée en deux chignons qui tombent de chaque côté des joues. Elle ne sera plus portée vers la fin de l'époque d'Asuka (650-700) que par les enfants par opposition aux mâles adultes qui arboreront le chignon à la chinoise (la coupe «eboshi»). Le présent mannequin l'arbore.
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