Les rires d'enfance
Elle riait. Son rire s'élevait dans la petite cuisine. Il s'élevait pour étouffer les sanglots, il s'élevait pour couvrir les larmes, il s'élevait pour apaiser les cœurs. Comme un hoplite sur le champ de bataille, vêtu d'une armure et d'un bouclier, elle repoussait la peine, la colère et la haine de sa maison.
Elle riait plus fort que ses cris et ses mots.
Les assiettes volaient. Les mains sur les oreilles, les portes claquaient. Les couteaux dans la chair, les coups pleuvaient, plus forts, plus nombreux, plus rapides que la pluie.
Mania la possédait. Elle avait vaincu Euphrosyne, laissée pour morte sur le carrelage, le nez en sang, l'œil charbonneux et les lèvres bleutées, la trace de ses doigts autour du cou. Elle n'avait rien pu faire pour se défendre, désarmée avant même que le duel ne fut engagé.
La Folie diffusait son poison dans ses veines, jusque dans ses terminaisons nerveuses et son esprit. Elle avait rejeté sa tête en arrière pour donner plus d'ampleur au bruit strident sortant de sa bouche.
Elle riait. Assise face à Athéna, elle racontait l'histoire d'une famille déchirée par la guerre. Elle racontait le sang, la sueur et les larmes, elle mimait les combats épiques et chuchotait les insultes.
L'hiver s'éternisait. Le temps gelé, les jours se ressemblaient. Les cœurs glacés ne parvenaient pas à se réchauffer. Combien de temps la neige doit-elle tomber pour que le printemps ne revienne ?
Vint le jour de l'ultime bataille. Ce jour où la tempête qui couvait éclata, se déchaîna. Ce jour où les poings s'acharnèrent avec un peu plus de fureur. Ils laissaient des hématomes sur le visage, sur le corps entier. L'esprit se brisa. La peur ravageait les blessés, dévastaient les innocents. Les femmes étaient à terre, perdant cheveux et dents sous la violence. L'écho des têtes frappées contre le sol retentissait jusque dans le lit des enfants. Cachés sous leur draps, gémissant en silence, les plus grands tentaient en vain de trouver le courage pour aller secourir leur mère. Les plus jeunes dormaient, sourds au chaos.
Elle riait. Son regard se promenait sur les ruines. Les rues étaient désertes. Les maisons abandonnées tombaient en lambeaux. Les jardins étaient en friche. Çà et là, on voyait des photos jaunies dans des cadres fissurés, des peluches éventrées, un Cupidon décapité. Dans ce désert macabre, il n'y avait ni cadavre ni squelette poignardé, fracturé ou plombé. Il n'y avait que la terre, rouge d'une lignée qu'elle avait avalé telle une assoiffée. Elle brûlait. Son feu purificateur nettoyant les souvenirs de cette nuit-là. Cette nuit où la Lune embrasa l'horizon. Cette nuit où les hommes perdirent conscience.
Une larme glissa lentement le long de sa joue jusqu'à la courbe de son menton, d'où elle chuta pour aller s'écraser sur la terre aride, imperméable aux sentiments.
Elle riait.
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