Chapitre 21. Point de vue Iblis



— Mais elle fait quoi là au juste ?

Je fronçais les sourcils sans comprendre ce que cette femme faisait. C'était incompréhensible même à mes yeux. Se mettre à danser sans raison était déjà une étrangeté, le faire au beau milieu de morceaux de cadavres, encore plus.

— Eh bien, elle danse.

— Ça, je le vois bien. Mais pourquoi ?

Bien sûr que je voyais la scène tout comme eux, et j'avais beau passer ma vie à voir des choses étranges, qu'une femme se mette à danser juste après avoir elle-même commis un massacre... C'était une vision que je pouvais qualifier d'unique.

— Parce que c'est la patronne.

Je tournais un visage interrogatif vers un de ses hommes. Santana je crois. Il se contentait d'observer cette femme, sans même envisager de paraître surpris de la situation. Apparemment faire des choses dingues sans aucun sens était une habitude pour elle, je ne voyais que cela comme explication.

— Quand elle peut juste faire les choses comme elle a envie de les faire, cela la rend vraiment heureuse. Et ici elle peut juste être elle-même. C'est dans ces moments-là qu'elle est le plus libre et juste elle... Vous vous demandez si elle parvient encore à nous surprendre après tout ce temps ? Tout le temps. Ça par exemple... C'est la première fois. Et ça arrive parce qu'elle est pleinement elle-même. Sans artifice. Sa version la plus pure. Dans ces cas uniques là, elle est une source de surprise sans limites. Alors on ne bouge pas, et on observe.

Mon regard détailla les personnes avec nous, observant la scène dans son ensemble, et je ne pouvais que constater qu'en effet l'ensemble des regards étaient posés sur cette étrange femme. Mes hommes aussi d'ailleurs, même si pour eux l'explication de ce grand intérêt se trouvait être plus terre à terre sans aucun doute. Aussi tarée que soit cette femme, je ne pouvais pas nier qu'elle était sacrément bien foutue, et cela se devinait encore mieux avec un tissu imbibé de sang qui venait recouvrir les parcelles de son corps caché jusqu'à présent.



Oui je pouvais bien le reconnaître pour moi-même. Cette danse sans musique, au milieu de ce carnage était une scène fascinante. Ses pieds nus foulant un sable recouvert de sang, laissant le mélange étrange se coller à sa peau alors qu'elle souriait avec les paupières closes. Elle semblait si vulnérable à mon sens en termes de sécurité. N'importe qui pourrait la tuer sans difficulté. C'était dingue. Tellement loin de tout ce qu'elle était habituellement. Elle qui paraissait toujours sur ses gardes, ses sens aux aguets comme un animal sauvage. Impossible à surprendre, même avec ses propres hommes. Mais pas là. Là elle était juste... Dans son propre monde. C'était étrange. Elle était vraiment étrange.

Depuis bientôt deux mois, une même question semblait se poser quand j'observais ces personnes : mais c'était quoi au juste cette femme les rassemblant ?

Pour ce que je pouvais savoir de ce fameux clan dont elle était la dirigeante... Ce n'était vraiment pas des anges ces mecs. Ils avaient un code d'honneur bien précis. Et s'il y avait une chose qu'on devait leur reconnaître, c'étaient bien qu'ils étaient très inventifs pour donner la mort, dans ce clan. Et une seule personne foutait la trouille vraiment à ces mecs-là : leur propre patronne. La réputation de cette femme se tenant aussi innocemment devant moi la précédait.

Je n'avais pas eu à beaucoup chercher après la proposition de contrat. Et quand je l'avais vu débarquer de son avion.... J'avais tellement été déçu de voir que la « grande » femme au dragon c'était juste cette chose d'un mètre soixante-dix, bien gaulée, mais aussi froide qu'un putain de glaçon. La chose devant me donnait plus envie d'en faire ma chienne que ma patronne pendant deux mois. J'avais de quoi être perplexe sérieusement ! Mais elle avait réussi à piquer ma curiosité au final... Alors j'avais accepté, je m'étais fait avoir comme un gosse trop curieux.

Voilà pourquoi nous nous trouvions deux mois plus tard... en plein milieu du désert. Devant une quantité assez impressionnante de morceaux de corps humains avec cette chose dansant en plein milieu.

— C'est quand même n'importe quoi cette mission. Marmonnais-je

Le fameux Santana se contenta de rire avant de hausser les épaules avec désinvolture.

— C'est ça l'impression qu'elle vous donne ? Croyez-vous vraiment que tout ça, c'est juste n'importe quoi ?

Je détaillais son sourire mystérieux, ce mec se foutait clairement de moi en cet instant précis. Semblant pour une fois, dans toute l'équation de sa vie, être celui qui en savait plus que moi.

— Chaque chose a une raison d'être pour elle. C'est ça que l'on comprend quand on la connaît depuis aussi longtemps que nous. Quand le hasard la surprend, elle l'intègre aussi vite à ses constantes. Vous pourriez tenter là de la tuer, qu'elle a déjà envisagé cette situation et son remède avant même que vous ne pensiez à ça. Et ce serait elle, qui vous tuerait. Sans qu'on ait le temps de s'inquiéter. Elle ne connaît pas le hasard, la surprise. Elle envisage tout. Voilà la femme qu'elle est.

— Qu'est-elle pour vous ?

— Qu'est-ce que la Patronne pour nous ? Oh ça... C'est une question aussi vaste que... qu'est-ce que le diable ? Si vous le demandez à chacun des hommes de ce clan, peut-être que les mots pour la décrire ne seront pas les mêmes. Mais si le diable devait avoir son incarnation parfaite sur le monde... Aucun doute pour vous dire qu'elle en est son incarnation en tout point. Et qu'elle nous fascine. Tellement.

Il me la désigna du doigt en souriant doucement, posant le doigt sur sa bouche ensuite.

— Regardez-la. Là, elle ne pense à rien. Son esprit est vide. La seule chose pour laquelle elle existe là... C'est pour cette danse. Laissant son corps dire ses mots muets. C'est aussi cela son langage à cette femme. Son corps entier est un élément de son langage. Comme deux entités.

— C'est de l'ordre du divin alors... Ricanais-je

— Elle ne croit en rien de divin. Elle ne croit qu'en son clan. Mais oui sûrement qu'il y a de cela pour nous en elle... Elle est de l'ordre du divin pour nous. Notre déesse...

Comment... Comment une simple humaine pouvait se positionner à cette place sans qu'aucun conteste ne soit fait ? Face à elle, ses ennemis devenaient ses alliés ou des cadavres. Aussi redoutable que... Oui. Aussi redoutable dans son genre que le diable, je le reconnaissais.



Je me déplaçais en cercle autour d'elle, passant derrière les hommes. Ne la lâchant pas du regard alors que je continuais d'écouter les alentours. Il aurait suffi d'un claquement de doigts pour illuminer l'air que ses gestes brassaient. Révélant l'étrange tableau de cette danse. En fait, il est vrai qu'en se concentrant un petit peu, c'était assez facile à deviner. Un mélange si fascinant de couleur, une nuance enveloppante, hypnotisant.

Je regardais ma montre avant de la fixer de nouveau. Si elle ne faisait rien au hasard, alors pourquoi danser là ? Quel était l'intérêt de cette manœuvre précise ?

Elle ouvrit les yeux, croisant mon regard. Son sourire s'étirant avant qu'elle ne referme les yeux. C'était ça. Une provocation. Elle me provoquait pour estimer ma réaction. Elle me testait. Cette foutue chieuse se permettait encore de me tester en me provoquant. Owh... Sacrée petite emmerdeuse démoniaque...

Elle passait décidément son temps à faire cela : me provoquer, me tester. Encore et encore... Me laissant comprendre que si moi je la disséquais constamment, elle aussi. Sur un autre terrain de rencontre... Nous nous serions entre-tués après avoir baisé, c'était certain. Mais l'un des points étant surtout parce que je n'aimais pas gâcher la bonne bouffe. Cette rencontre de nos deux mondes, c'était comme quelque chose d'assez similaire... En étant totalement différent.


Je pouvais comprendre pourquoi du point de vue de certains elle était la reine du monde du crime. Au premier regard, elle ne payait pas de mine, mais je pense que le problème c'était son regard. Oui, le piège même de cette femme-là c'était son regard.

Oui je l'avouais, j'avais fait de cette femme ma curiosité. Elle était vraiment très amusante et fascinante.



Mais c'est le lendemain même qu'elle atteignit de nouveaux sommets afin de me surprendre. Nous courions dans les montagnes brûlantes, bien des batailles derrière nous, et encore à venir. Elle nous avait entraîné dans une partie de chasse avec le groupe afin d'aller débusquer nous-mêmes un groupe armé assez nombreux, et assez remonté. Je ne savais dire depuis combien on était là, mais plusieurs heures s'étaient écoulées. Ainsi vous pouvez aisément deviner l'état de la chose gambadant partout comme un chien fou. Un chien fou avec une machette entendons-nous bien. Mais un chien fou parlant, puisqu'elle profita d'un passage entre deux parois pour se mettre à parler.

— Il reste beaucoup d'hommes à tuer devant ?

— Je dirais qu'il en reste trois d'après nos informations. Murmurais-je

Je l'entendis soupirer, me laissant perplexe sur cette question étrange, mais elle continua d'avancer, ne rouvrant la bouche que quelques minutes plus tard.

— Et tu crois que... Tu pourrais aller régler ça sans moi ?

— Pourquoi ferais-je une connerie pareille au juste ? M'étonnais-je

On déboucha sur une petite cavité naturelle et je l'observais s'appuyer contre le mur en ricanant doucement, haussant les épaules avec un sourire crispé. Ok, elle avait quoi encore celle-là ?

— Bah parce que je vais rester là à vous attendre tiens.

Ouais t'as raison, et moi je vais cueillir des pâquerettes. T'as raison.

— Pardon ? Non je crois pas non. C'est quoi ce caprice de merde encore ? Je vais pas te laisser là !

— Ah bah pourtant si, désolé de te contredire, mais je vais rester sagement là moi. Voilà voilà. Ricana-t-elle

— Mais pourquoi ? Merde je veux aller jouer moi, pas rester là. Pourquoi tu restes planté là ?

— Eh bien parce que dans dix minutes mon corps refusera, de toute façon, de bouger. Et que si je parviens à me calmer suffisamment, je peux encore tenir vingt bonnes minutes sans perdre connaissance. Donc bon... Vaut mieux que j'attende là hein.

Elle ricana en époussetant ses cuisses, se laissant glisser le long de la paroi. Un sourire crispé sur les lèvres avant de hausser les épaules face à ma tête consternée. Je découvris surtout la traînée de sang qu'elle venait de faire sur la paroi rocheuse. Putain faite que ce ne soit pas le sien... Ça serait quand même bien emmerdant là.

— Pourquoi y'a du sang sur la paroi au juste ? Demandais-je

— Alors ça... Tu vas rire. C'est le second problème amenant directement à provoquer l'évanouissement évoqué en premier problème. Je... Je me suis peut-être... Je dis bien peut-être, blessée. Et du coup... Bah faire la gazelle en perdant son sang... C'est pas super conseillé on dirait...

« Ce n'est pas conseillé de continuer de courir et sauter partout en perdant du sang en plein soleil d'Afrique » .... Fin c'était pas une règle logique dans le crâne humain ça, normalement ?

— Tu n'es quand même pas en train de me dire que l'énoncé étrange du contrat c'était ça ? Ce mec s'attendait à ce que tu fasses précisément ce genre de chose ? Tu le fais souvent ? Genre t'es à deux putains de doigt de crever et tu te dis tien je vais peut-être donner l'alerte moi ? Nan, mais j'ai jamais vu personne un minimum sain d'esprit faire une connerie pareille ! Explosais-je

— Ah bah... J'ai jamais prétendu être saine d'esprit moi. Mais en fait... Ce serait cool quand même avant de partir si tu pouvais appeler les secours... Parce que j'ai mal... En fait... Et c'est pas super bon signe si je commence à avoir mal dans mon échelle de résistance...

Si le destin ne s'occupait pas de son cas... Je vous jure que c'est moi qui allais le faire sans souci.


Je grommelais en me saisissant du talkie, prévenant mes hommes avant de m'approcher d'elle, la décollant du mur pour relever son haut et inspecter ses blessures.

Ah ouais, elle ne s'était pas loupée cette conne en plus. Au moins même pour se blesser elle faisait ça bien... Bien à fond.

— Mais t'as trouvé le temps de te faire ça quand au juste ?

— La troisième bataille... contre quatre gars... Pour ça que j'étais dans cet état après...

— Parce que c'est pour ça que t'étais autant hors de contrôle ? Parce que madame était blessée ?

— Ouais. Pas de ma faute si ça m'excite quand j'ai mal. Ricana-t-elle

Owh.

Je fermais les yeux en me pinçant les lèvres, la laissant ricaner quelques minutes avant qu'elle ne reprenne son sérieux. Elle posa une main plus ferme sur mon épaule en plantant son regard dans le mien. Foutrement sérieuse et dangereuse au vu de ce regard. La demande qui allait suivre avait donc une importance particulière pour elle.

— Alors par contre... Le Docteur Tourmoura Franck est le seul habilité à me soigner ou à m'approcher dans le cas présent. C'est compris ? Personne d'autre. C'est un ordre absolu.

— Ok, si ça t'amuse.

Elle hocha la tête doucement, s'appuyant sur mon épaule en se relevant avant de s'allumer une cigarette, la fumant tranquillement.

— Putain ce que je vais me faire engueuler...

Elle se mit à rire doucement de son propre constat alors que je l'observais, continuant d'halluciner je devais bien le reconnaître, observant sa main se mettre à danser dans les airs alors qu'elle papillonnait des yeux soudains. Non elle était pas putain de sérieuse là ?

Je la retins de justesse, clignant des yeux avant de prendre son pouls.

— Putain là... Là, poupée t'as vraiment déconné... Grognais-je

Elle m'a pris pour un foutu chevalier à devoir la porter pour l'emmener se faire soigner ? Sérieusement ? Putain et dire que je suis payé pour ça... Fais chier.

Je la pris sur mon épaule, grognant en faisant demi-tour, me décidant à faire le grand tour parce que la tirer entre deux parois... Ça me faisait trop chier d'avance, mais comme j'étais quand même payé à ne pas la laisser crever... Je ne fis que rejoindre un de mes hommes afin de prendre son quad. Installant la demoiselle devant moi en me mettant en route de toute urgence pour le village.



Je ne me stoppais que face au dispensaire. Portant cette foutue chieuse d'un bras tout en menaçant de mon arme quiconque tenterait de nous toucher. Déjà parce que je détestais qu'on me touche sans mon autorisation. Et aussi parce que mon sac à patates ici présent avait demandé un truc.

— Je veux le docteur Tourmoura.

— Mais on peut... commença à dire une brune

— Je m'en branle de ce que tu peux connasse. J'ai demandé Tourmoura. Ramène-moi Tourmoura et arrête d'essayer de penser. Ça te va pas de réfléchir.

Un homme arriva en courant, affichant ce nom sur son badge. Semblant encore plus blanc que sa blouse en comprenant ce que je tenais sur mon épaule.

— J'ai un colis pour vous. Je le pose où ?

Il cligna des yeux, se retournant en me faisant signe de le suivre. Me la faisant poser sur un lit alors qu'il nous entourait de parois empêchant la vue. Il découpa aussi vite son haut en me faisant l'aider puis il observa les plaies, commençant une transfusion avant de se mettre à la recoudre après l'avoir nettoyé.

— Vous préférez pas l'endormir ? Si elle se réveille pendant...

— Elle ne sent pas la douleur pour ce genre de connerie. Pour elle ce sera comme une piqûre de moustique.

Elle se réveilla en effet pendant que ce mec la recousait encore, ricanant en s'installant confortablement.

— Madame... Je voudrais profiter du fait que vous soyez immobilisé afin que nous puissions... Parler.

Je pouvais sentir l'air se refroidir avec cette simple phrase. Mon attention se décuplant en comprenant que les informations à venir allaient m'intéresser.

— Donne. Avant que je ne m'endorme de nouveau.

Il me fit un signe de tête vers un dossier, et je le donnais à la chieuse, observant son regard s'assombrir alors qu'elle lisait le dossier.

— Ok... On garde tout comme c'était prévu.

— Si c'est ce que vous voulez Madame.

— En effet.

L'homme se contenta de se pincer les lèvres en continuant de recoudre en silence. L'entourant de bandages avant de se redresser.

— Bien. Au lit pendant une semaine. Non négociable.

— J'ai le droit au...

— Non. Vous seriez capable de faire sauter vos points en faisant ça. Grogna le médecin.

— Le droit à quoi au juste ? Questionnais-je

— Bah au sexe mec ! Autant rentabiliser une semaine au lit nan ?


Elle était complètement dingue. C'était la seule explication que je pouvais trouver à cette femme. Et c'est sur mon explication silencieuse que le docteur sortit de l'alcôve alors que la dingue dans le lit s'endormait. Me laissant saisir ce dossier alors que je m'asseyais. Le posant sur mes genoux avant de reposer mon regard sur elle en le gardant fermé. Croisant son regard impassible. M'examinant comme je l'examinais. Froidement. Calculant les choses. Intéressant. Vraiment très intéressant.

— Dans ma tente, sur un meuble à côté du lit, il y a une boite. Noire. Un dragon en or gravé dessus. Peux-tu me ramener cela s'il te plaît ?

Je hochais lentement la tête, attendant de voir où elle voulait en venir et je lui ramenais la fameuse boite. Elle la prit, composant le code sur le cadenas avant de me tendre de nouveau la fameuse boite.

— Tu ne consulteras l'intérieur de cette boite qu'après cette mission... Quand je serais partie. Et tu me répondras à notre prochaine rencontre. Si jamais nous nous recroisons.

Elle laissa fleurir sur ses lèvres un sourire malicieux avant de fermer les yeux, semblant s'endormir alors que je prenais la boite sur mes genoux. J'ouvris doucement celle-ci observant son contenu tout en gardant en mémoire sa demande, et je décidais de refermer le couvercle, souriant en observant l'étrange créature dormant devant moi.

Vraiment très intéressant ce séjour décidément. Que me réservais-tu encore chère Femme au Dragon ?


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