II
Le repas dominical s'est passé exactement de la même façon que la messe. J'ai joué le jeu imposé par père.
Sourire quand il le faut.
Répondre aimablement.
Être douce.
Être attentive.
Et surtout ne pas paraître profondément ennuyée quand la plus âgée des dames de foi me parle de ses innombrables problèmes de santé.
Je joue le jeu du paraître, je le fais pour glaner quelques minutes de tranquillité, et pour fuir certain regards qui me mettent mal à l'aise. Des regards beaucoup plus éloquents que de grands discours fade et sans vies que j'entends à longueur de temps.
Si, ici bas, un défaut réunit les gens c'est bien la curiosité. Curiosité malsaine qui plus est.
Je profite d'une trêve pour être encore plus invisible qu'il m'est possible de l'être, je me dirige vers une des fenêtres de notre hôte, la fameuse aux multiples problèmes de santé, si on me demanderait mon avis je lui dirais tout simplement que ce n'est pas en se faisant plaindre que cela s'arrangera et qu'à presque quatre-vingt onze ans elle ne se porte pas si mal que ça. Mais puisque personne n'a l'idée de me le demander je me tais.
Cachée par les doubles rideaux taupe et poussiéreux, je me penche et m'appuis contre le mur de la même teinte. Au travers du verre je vois un chat qui se nettoie consciencieusement, il est blanc et gris et transpire de liberté.
Seigneur, pardonnez-moi mais je vais pécher.
Je l'envie, oui j'envie cet animal qui, d'une seconde à l'autre, peut s'en aller aux quatre vents.
Une voix outrageusement stridente me fait faire un bond et me hérisse les poils.
Laurine, une "amie", elle aussi choisie, non fortement conseillée nuance, par père car sa famille et la nôtre sont voisines de banc de chapelle. Rien que ça, remarquez l'honneur.
A peine le temps de retenir un souffle exprimant tout mon agacement qu'elle s'approche de moi à grands pas. Ses cheveux châtain parfaitement entretenus rebondissent au fil de sa marche.
Elle n'est ni jolie, ni moche, juste terriblement quelconque, on en croise des dizaines par jours des comme ça. Tellement, terriblement fade.
Il est temps pour moi de jouer de nouveau, j'affiche un masque de sympathie profonde, profondément faux oui ...
- Alors n'êtes-vous pas excitée? Sa voix arrive à mes oreilles et me donne envie d'étrangler des petits chats, elle a le don de faire ressortir le pire qu'il y a en moi. Au moins elle sait faire quelque chose.
Je sais pertinemment de quoi elle parle, mon stage, le fameux, que bien sûr père s'est venté sans aucune retenue, en même temps de quoi ne se retiendrait-il pas ? Cette ... mascarade est de lui, c'est lui qui tire les ficelles.
- Vous parlez de mon stage ? Je feins l'ignorance pour ne pas paraître présomptueuse. Je n'ai pas besoin de jeter un regard circulaire, je sais pertinemment que père et mère m'observent. Il ne faut pas que je fasse de fausses notes, pas que je leur fasse honte. Et surtout que je n'oublie pas le vouvoiement !
Les règles, Jeanne, les règles !
- Bien sûr ! Alors ? N'êtes-vous pas dans tout vos êtas ? Follement heureuse ?
Follement heureuse ? Je manque de m'étouffer avec ma salive. Follement heureuse de rencontrer des monstres qui ont foulé notre ville et à qui la vie va leurs être enlevées et de faire un papier dessus ?
Car oui le but final de ce Ô combien merveilleux stage est une thèse sur la rédemption des blasphémateurs.
Oui j'ai suivi des études catholiques. Passons.
Les gens polis s'abstiendront de tous commentaires, quant aux autres...
Joue, Jeanne, joue ne laisse pas déborder par tes émotions.
- Follement, oui. Il me tarde d'être lundi. Je termine avec le plus faux et beau sourire que j'ai en réserve.
La quelconque se met à sautiller et à prétendre qu'elle aimerait être à ma place et je ne sais quelle autre idiotie, remarque si elle veut ma place je le la lui donne volontiers.
Le partage est un précepte, et cela m'arrange.
Je l'écoute et joue de plus belle, je ne me suis jamais faite attraper à feindre mes réactions. J'ai appris du meilleur : mon grand frère. Lui aussi jouait à ce jeu chaque fin de semaine j'ai mis des mois avant de le percer à jours et encore, c'est par ce que je passais mon temps à l'observer; me demandant comment un être aussi libre que lui pouvait, se sentir aussi à l'aise dans ce milieu tellement guindé. Puis, de fil en aiguille, je me suis mise à l'imiter pour gagner ces fameuses quelques minutes de tranquillité.
Mon frère est une sorte de pionnier.
Laurine, aussi gentille soit-elle, aime surtout être le centre de l'attention, sûrement dû au fait qu'elle soit une enfant unique ? Elle ramène donc tout naturellement la discussion sur sa petite personne. Elle me parle d'un garçon. Pauvre fou tu n'obtiendras jamais ce qu'un adolescent de seize ou dix-sept ans désire : un contact charnel. Du moins pas avec elle, pas ici dans notre ... Milieu.
- Jeanne vous rendez-vous tu compte qu'il m'a presque embarrassée ?
Ciel ! Un contact humain mais que l'on mène ce malotru au bûcher ! Je suis obligée de me tordre la bouche pour ne pas révéler le fond de ma pensée.
- Quelle éducation ! Je me force à lui répondre une main sur le cœur et la mine choquée, je crois que je viens de gagner un niveau dans mon jeu.
- A qui le dites-vous ! Mais ne soyons pas mauvaises, ne blâmons pas ses parents, malheureusement il y a des brebis égarées partout, même parmi les meilleurs. Ajoutez a cette déclaration, ô combien façonnée par ses aînés, une moue de profond désarroi. Cette personne n'est qu'une pâle imitation de tout et n'importe quoi. Elle s'excuse et s'en va vers je ne sais qui pour déblatérer sur je ne sais quoi.
Ne pas être mauvaise, même pas un peu, jamais cela ne m'est venus à l'esprit.
Seigneur pardonnez moi j'ai péché : j'ai menti.
Je m'efforce de ne pas relever sa fin de phrase, mais elle me reste en mémoire comme un refrain entêtant. Elle me va comme un gant.
Le temps continue sa course folle avec une lenteur exaspérante, quand enfin nous passons le seuil de notre porte le soleil décline.
- Mère, puis-je aller me reposer quelques temps avant le dîner ?
Elle se tourne vers moi et pose une main sur mon bras.
- Bien sûr, Jeanne, j'enverrai Lucie venir vous chercher pour votre corvée de soir.
Je souris poliment et tourne les talons en me retenant de courir vers ma chambre, je pense que cette attitude serait mal perçue.
Une fois la porte claquée je me dirige droit vers mon polochon tout en éjectant mes chaussures et étouffe un profond soupire dans ce dernier.
Sur le dos j'observe mon plafond, il est blanc impeccablement blanc, tristement blanc. Cette uniformité me rend nauséeuse. Elle me rappelle trop ce que je suis.
- Jeanne ? Jeanne ? La petite voix de ma sœur me sort du sommeil dans lequel je me suis installée, ses mains d'enfant me secouent avec douceur.
- Je suis réveillée.
- Tiens. Elle me tend un cookie, un énorme cookie, nous n'en n'avons pas ici, rien qui pourrait nous faire grossir et donc ne plus nous faire entrer dans le moule de la perfection. Mais Lucie a sa réserve personnelle, que je remplis au besoin. Une cachette, une fois encore faite par notre grand frère.
Pour elle, les sucreries sont le remède à tout les maux, alors je me soigne sans aucune once d'hésitation, de regret ou quand bien même de honte.
- Mère, m'a demandée de venir vous chercher pour que vous mettiez la table.
Nous finissons et éliminons toutes traces de notre méfait, puis nous descendons et je mets mon masque de parade une fois encore en entrant dans le salon.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top