Chapitre 22

We're setting fire to our insides for fun
Collecting pictures from a flood that wrecked our home
It was a flood that wrecked this home


Un silence pesant plane sur la chambre d'hôpital à l'instar d'un manteau de plomb. Même Lauren, qui, d'habitude, ne perd pas une occasion de faire entendre les intonations sarcastiques de sa voix, a pincé les lèvres et planté sur sa collègue un regard grave. Debout en demi-cercle autour de son lit, les trois adolescents font de même. Azura jette des coups d'œil nerveux tout autour de lui. Il espérait les croiser, mais Tori et Jack ne sont nulle part en vue. Leur absence laisse dans sa gorge un âpre goût de malheur. Assise les jambes croisées sur la même chaise que l'autre fois, Gina se passe une main sur le visage. Son teint est plus pâle que d'ordinaire.


« Donc, Johnny Gunn est mort, commence Gaël.

- Comment c'est arrivé ? demande Morgane. Vous l'avez vu ? »


Gina secoue la tête. Elle ferme les yeux un instant et décroise les jambes.


« Il a réussi à maîtriser un des hommes chargés de son interrogation, dit-elle à mi-voix. Il lui a volé son arme, a tiré sur l'un d'eux, et ensuite ... »


Du majeur et de l'index, elle fait mine de se tirer dans la tempe. Azura grimace. La facilité avec laquelle il imagine la scène a quelque chose de dérangeant.


« Qui ... qui est-ce qui s'est fait tirer dessus ? s'enquiert-il, appréhendant la réponse.

- Jack (Azura sent un poids quitter ses épaules et s'en veut aussitôt). Tori est vivant, mais dans un sale état. Johnny lui a broyé la tête contre la table avant de se flinguer. Si on ajoute le traumatisme ...

- Il se remettra, interrompt Lauren. C'est pas le canard en sucre pour lequel il veut qu'on le prenne. Et Jack, il va bien ? »


Accoutumée au comportement de l'autre femme, Gina se contente de hausser un sourcil fatigué. Mal à l'aise, Gaël se frotte le bout du nez.


« La balle lui a frôlé le cœur, explique la détective. Ils l'ont opéré cet après-midi, mais il s'est pas encore réveillé. Je comptais aller le voir tout à l'heure.

- Je suis désolé pour vos collègues, dit Gaël. Mais ... ça veut dire que c'est fini ? Vraiment ?

- Il y a de grandes chances, confirme Gina. Sunnyside va enfin pouvoir respirer à nouveau.

- Et je suis à l'hôpital, grommelle Lauren. Tu parles d'une célébration.

- T'inquiète, on a prévu une surprise-partie pour quand tu rentreras. Le commissaire parle même de nous décorer.

- Merci d'avoir ruiné la surprise.

- Reste toujours la partie.

- Vous allez faire une annonce officielle ? demande Morgane. Dire que Johnny Gunn était responsable de tout ?

- Bien sûr, fait Gina en hochant la tête. La crédibilité de la police en prendra un coup, mais c'est toujours mieux que laisser un innocent porter le chapeau. »


Songeur, Azura croise les bras. Ils avaient raison depuis le départ. Burk n'était au final qu'une victime de plus. Bon Dieu, il n'aimerait pas être à la place de sa famille. Qui sait ce qu'ils ont traversé depuis ses aveux factices ? Comment ils sont traités ?


« Vous voulez venir voir Jack avec moi ? propose Gina un moment plus tard. Tori doit déjà y être. Ça lui ferait plaisir.

- Bien sûr, répond Azura avant même que ses amis puissent y réfléchir. On fera tout ce qu'on peut. »


De part et d'autre de lui, Gaël et Morgane hochent la tête. Ils s'éclipsent de la chambre de Lauren sans un mot de plus. Celle de Jack est dans un autre service.


« Hey » s'annonce Gina en y entrant.


Tori ne prend pas immédiatement conscience de leur présence. Il leur tourne le dos, les mains dans les poches du même manteau que d'habitude, et sursaute lorsque sa collègue lui tape l'épaule. Le regard ecchymosé qu'il pose sur eux fait déglutir Azura. Une demi-lune de chair à vif lui déchire la tempe. Lorsqu'il prend la parole, sa voix est méconnaissable ; dénuée des intonations qui la rendaient à ses yeux si sympathique. Azura réalise seulement à quel point il ignore tout du détective. Était-il toujours ainsi, avant qu'une balle frôle le cœur de son partenaire, ou l'a-t-il croisé dans ses bons jours ? Il aurait voulu se poser la question plus tôt.


« Hey. C'est gentil d'être venus.

- C'est normal. Comment il va ? »


Tori doit juger sa question inutile, car il reporte son attention sur son collègue sans y répondre. Azura comprend pourquoi. Les yeux clos de Jack et le masque à oxygène dont ils l'ont affublé le font à sa place. Le garçon se rappelle de la méfiance suscitée en lui à chacune de leur rencontre et se sent accablé par un profond sentiment de honte.


« Je suis désolé » souffle-t-il sans préciser pourquoi.


Sa voix est à peine plus forte que le bruit de la machine reliée au détective inconscient. Il craint (espère ?) un instant de ne pas avoir été entendu, mais Tori finit par secouer la tête.


« Il fallait bien que ça arrive à quelqu'un. »


Azura se pince les lèvres sans vraiment saisir le sens de ses paroles. Était-ce inévitable que les choses se terminent ainsi ? Il en doute.


« Passe à la Petite Sirène un de ces jours, lance Morgane en lui frottant le bras. Je te ferai à manger.

- Elle a raison, l'encourage Gina. Tu dois pas rester tout seul. »


Les adolescents s'attendent à voir Tori refuser, mais il se contente de hausser les épaules d'un air indifférent. Ses yeux éteints caressent toujours la surface du visage de Jack. Est-ce qu'il s'en veut de ne pas être à sa place ? Azura trouve cela idiot, mais il n'a pas le courage d'exprimer sa pensée en mots.


« On va vous laisser, dit Morgane un moment plus tard. Vous savez où nous joindre si jamais vous en avez besoin.

- On sait. Merci, Morgane, souffle Gina. À vous aussi, les garçons. On a eu de la chance de tomber sur vous, tout compte fait. »


Ils s'échangent un sourire éreinté avant de se séparer. Dans le couloir, Morgane s'étire. Perdu dans ses pensées, Gaël contemple le vide devant lui. Quant à Azura, il ne sait toujours pas quoi tirer des émotions douces-amères arrivées avec les nouvelles de la mort de Johnny. Le corbeau n'est plus. L'homme qui a terrorisé la ville ces quatre dernières années vient de se tirer une balle dans la tête et, pourtant, le garçon ne ressent rien. C'est comme si Johnny avait laissé trop de morts dans son sillage pour qu'il puisse se réjouir de la sienne.


« Dis, Morgane, je me posais une question. Tes cauchemars se sont arrêtés ? »


La voix de Gaël le sort de ses rêveries. En progressant sans hâte dans le couloir désert, Morgane tourne vers eux un regard empreint de surprise. Elle s'arrête pour réfléchir à sa réponse.


« C'est dur à dire. Je les fais pas toutes les nuits et même s'ils ressemblent pas à des cauchemars normaux, avec tout ce qui est arrivé récemment, j'ai parfois du mal à les différencier ...

- Je vois. Je suppose qu'on n'a plus qu'à attendre, alors. »


Ses deux amis hochent la tête. Le regard de Morgane se perd un instant avant qu'elle reprenne la parole.


« Il y a un endroit que je ... J'aimerais vous emmener quelque part,dit-elle. Ce week-end, ça vous irait ?

- Bien sûr. Où ça ?

- Je préfère rien dire jusqu'à ce qu'on y soit. »


Le sourire que leur adresse la jeune fille est épuisé. L'assassin de sa mère s'est donné la mort, emmenant avec lui les réponses à toutes leurs questions ; elle non plus ne doit pas savoir comment se sentir.

La semaine qui s'écoule leur paraît monstrueusement normale. Azura écoute les cours d'une oreille, le menton dans la main, le regard vagabondant de l'autre côté de la vitre. La pluie se fait plus rare ces jours-ci. À côté de lui, Morgane passe plus de temps à tripoter la fermeture de sa trousse qu'à prendre des notes. Les profs ne lui en tiennent toujours pas rigueur.

Épuisé, Azura s'étire les jambes sous son bureau. Il n'arrive toujours pas à croire que leur enquête ait touché à sa fin. Même Dickson, pourtant à la tête de leur liste de suspects, poursuit ses leçons soporifiques comme si rien n'était arrivé. Azura a l'impression de se réveiller d'un long sommeil fiévreux - et, malgré lui, éprouve parfois l'envie d'aller se recoucher.

Il sort plus ou moins de sa léthargie lorsque Morgane leur désigne du bras la maison devant laquelle ils s'arrêtent le dimanche après-midi. Encore dans le gaz, Azura lève les yeux vers la façade. Il s'agit d'une banale bâtisse blanche, à l'extérieur détérioré, devant laquelle il est probablement déjà passé sans lui accorder d'attention. Les rideaux sont tirés ; le jardin, négligé. Il comprend de quoi il est question en même temps que Morgane leur annonce.


« Je vivais ici avec maman, dit la jeune fille. J'aurais voulu vous la présenter, mais ... »


Elle se tourne vers eux sans finir sa phrase. Elle n'en a pas besoin.


« Elle vous aurait adorés, reprend-elle. Et puis, maintenant que Johnny est mort, je me suis dit que ce serait une bonne idée de vous faire venir ici. Mais c'est sinistre, non ?

- Pas du tout, la rassure Azura. Ça nous touche, au contraire. »


Gaël hoche la tête pour appuyer ses propos. Morgane sourit. Elle revient à la maison et s'avance sur le porche, un trousseau de clefs argentées à la main.


« Ils ont jamais réussi à la vendre, explique-t-elle en leur ouvrant la porte. Personne veut s'installer à Sunnyside, alors dans la maison d'une morte ... »


La porte s'ouvre avec un couinement presque sinistre. La lumière filtrée du soleil plonge l'intérieur dans une semi-pénombre tout aussi inquiétante. Azura pénètre dans le hall, intimidé. Il ne respire que lorsque Morgane ouvre la fenêtre.


« Ça pue le renfermé » grogne-t-elle.


Les deux garçons entrent dans la cuisine à la suite de la jeune fille. Celle-ci s'est arrêtée au milieu de la pièce pour la contempler, les mains croisées sur la poitrine. Azura l'imite sans oser intervenir. Le mur carrelé du plan de travail porte encore les traces de ses expériences culinaires. À l'opposé, un frigo américain débranché repose contre le mur comme une carcasse (il n'a pas besoin de l'ouvrir pour le savoir vide). Les appareils électro-ménagers ont disparu. Si ce détail et le silence surnaturel ne le trahissaient pas, l'endroit semblerait habité. Logique ; Morgane ayant été recueillie par sa grand-mère, la plupart des meubles et des effets inutiles sont restés sur place. Azura avise un panier de fruits en plastique poussiéreux au centre de la table et comprend pourquoi une fille de son âge ne tenait pas à l'emmener.

Gaël et lui restent debout les bras ballants tandis que, encore un peu déroutée par ses émotions, leur amie termine la tournée des fenêtres. Une fois son œuvre accomplie, Morgane soupire bruyamment. Elle rejoint les garçons dans la cuisine et laisse ses bras tomber contre ses cuisses.


« J'arrive pas à croire que ça se salisse aussi vite. Y a tellement de poussière sur la télé que je pourrais écrire mon nom dessus. Venez, on monte. »


Ils s'échangent un regard confus avant de s'engager à sa suite. L'escalier en bois pâle grince sous leur passage. Dans l'ensemble, la maison paraît plutôt vieillotte.

Morgane leur fait signe de la suivre dans le couloir en forme de U. Les portes closes qu'ils dépassent se confondent presque avec les teintes claires des murs. Morgane s'arrête devant l'avant-dernière. Elle prend une grande inspiration, et, la mâchoire serrée, l'ouvre sous le regard préoccupé de ses deux amis. L'attention d'Azura se détache un instant de la jeune fille pour s'intéresser à l'intérieur. Surpris, le garçon hausse les sourcils. Les quatre murs multicolores semblent avoir été peints par quelqu'un qui se serait amusé à y jeter au hasard des pots de peinture ouverts. Ça et là, on y devine les traces de clous ou de pâte adhésive depuis disparus. Un lit ovale, sur lequel Morgane se laisse tomber avec un soupir, siège au milieu du tout.


« Ma chambre » dit-elle, bien qu'ils l'aient déjà deviné.


Elle tapote l'espace vide à côté d'elle pour les inviter à l'y rejoindre. Azura s'exécute en continuant d'embrasser les lieux du regard. Une commode verte à trois tiroirs, probablement vide, voit son coin collé au lit par manque d'espace. Des spirales tracées au feutre doré luisent à sa surface. Près de la fenêtre sans rideau, un bureau orange a été garni du même genre de motifs. Azura hausse les sourcils, surpris par cette facette de la jeune fille. Morgane est une vraie artiste.


« C'est la première fois que je reviens ici, avoue-t-elle à mi-voix. Je pensais que ça aurait plus changé que ça. C'est juste ... sale. »


Le garçon hoche le menton d'un air compréhensif. À son côté, Gaël sonde les alentours en fronçant les sourcils. Une question semble le tarauder.


« Pourquoi t'as pas emmené les meubles ? demande-t-il.

- Y a pas la place dans mon autre chambre. Et puis, c'est que des meubles. On finira bien par leur trouver un acheteur. »


Malgré ses paroles, les avoir laissés derrière semble la chagriner. Azura croise les mains sur ses genoux sans savoir quoi dire.


« On a refait la peinture nous-mêmes, explique-t-elle ensuite. Et c'est exactement ce de quoi ça a l'air. On a pris des pots et ... »


Elle contemple les murs avec un sourire nostalgique. Le regard des deux garçons suit le sien.


« Je crois que je me suis plus jamais autant amusée de ma vie, conclut-elle avec un soupir. Je ... »


Elle joint les mains avant de les fermer en poings sur son front. Son lit grince lorsqu'elle se penche en avant.


« Ça fait plus de six mois, poursuit-elle. J'ai enfin l'impression de commencer à me remettre, mais y a toujours quelque chose qui ...

- Qui coince ? propose Azura en voyant son amie sombrer dans le silence. Parce que Johnny est mort avant d'aller en prison ?

- Peut-être ... Je sais pas vraiment moi-même. »


À côté d'elle, Gaël baisse les yeux. Sa bouche s'ouvre plusieurs fois sans résultat avant qu'il se décide à prendre la parole.


« Quand papa est parti, j'ai détesté son assassin avec tout ce que j'avais. Il est mort avant qu'ils puissent l'arrêter. Alors, je ... je comprends, je crois. »


Morgane lui adresse un sourire reconnaissant. D'une main, elle lui frotte amicalement le bras. Un nouveau silence plane sur les trois adolescents. Tout à coup, la jeune fille se lève. Ses amis la suivent du regard tandis qu'elle contourne le lit pour s'accroupir devant une petite porte qu'ils n'avaient pas remarqué et joue des ongles pour l'ouvrir. Elle y parvient, mais, malgré leurs contorsions, sa présence empêche les deux garçons d'en voir l'intérieur.


« Oh, non, dit-elle d'un air amusé. Ils sont encore là. »


Elle plonge un bras derrière la porte pour en sortir une boîte en carton colorée. En l'identifiant, Azura hausse les sourcils.


« Une partie de Destin ? » propose Morgane.


Elle laisse la boîte tomber à côté d'elle et reprend sa fouille. Intrigués, les deux garçons la rejoignent. Ils s'assoient de part et d'autre de leur amie et plongent le nez dans la petite pièce. Entre trois murs tapissés, des boîtes à chaussures côtoient les jeux de société. Azura en tire une vers lui et plisse le nez. La couche de poussière qui la recouvre est si épaisse que ses ongles ne suffiraient pas à la gratter.


« Je peux regarder ce qu'il y a dedans ?

- Bien sûr, répond son amie. Devrait rien y avoir de traumatisant, si mes souvenirs sont justes. »


Azura esquisse un sourire et ouvre la boîte. Il est presque déçu de n'y trouver que des crayons de bois et de couleur en vrac. Lui qui espérait mettre le doigt sur un secret honteux ...


« Tu nous avais caché que t'étais une artiste, soulève-t-il.

- Tout de suite les grands mots, rit Morgane. On va dire que j'ai transféré ma passion dans l'art culinaire. La cuisine, c'est un peu un art non ? »


Il hoche la tête pour approuver. À côté de lui, Gaël contemple pensivement l'emballage cartonné d'un Monopoly Trois Petits Chats. Pourquoi ne pas les emmener ? Qui sait à quoi ils passeront leur été, sans l'affaire qui les préoccupait tant.

Azura tend le bras pour en attraper un mais s'interrompt en route. Sur un des murs de la petite pièce (qui, tout compte fait, s'apparente plus à un placard) se trouve une inscription grise, presque effacée par le temps, qu'il parvient tout de même à déchiffrer.


Morgane vit ici !


Il sourit face aux lettres rondes, aux cercles faisant office de points. Morgane devait être bien petite pour passer là-dedans.


« C'est trop mignon, commente-t-il.

- De quoi ? Oh, ça, grimace la jeune fille en suivant son index tendu. Dis pas que c'est mignon, s'il te plaît. C'est embarrassant.

- D'accord, d'accord. C'est incroyablement viril et menaçant. Contente ?

- Extatique. »


Leur rire porte loin dans la maison vide. Avec une idée en tête, Azura s'avance à quatre pattes de l'autre côté de la porte. Parfait. Il n'a qu'à y entrer jusqu'aux épaules pour atteindre l'inscription.


« Qu'est-ce que tu fais ? s'enquiert Morgane.

- Je marque l'histoire. »


Il s'empare d'un crayon de bois et, appuyé sur les coudes, la langue tirée dans l'application, fait jouer la mine sur le papier peint. Ses amis le regardent faire avec curiosité. Satisfait, il se redresse pour admirer son œuvre.


Azura est passé par ici


« Tu crois qu'on fait bien de dégrader les murs ? s'inquiète Gaël.

- On les dégrade pas, on leur donne du caractère, rétorque son ami. Et puis, ajoute-t-il en se tournant vers Morgane, c'est toujours chez toi pour l'instant. Si les futurs proprios sont pas contents, ils pourront toujours enlever la tapisserie.

- C'est clair, confirme la jeune fille. Vas-y, passe-moi le crayon. »


Elle coince ses cheveux dans le col de son tee-shirt et s'aventure à son tour dans l'espace confiné. La mine gratte le papier peint avec un bruit sec.


Morgane est passée par ici


« Allez, lance-t-elle à Gaël, à ton tour ! »


Celui-ci regarde le crayon comme s'il l'incitait à commettre un crime. Azura le pousse du coude pour l'encourager. En roulant des yeux, Gaël finit par céder.


Gaël est passé par ici


Il refait surface et écarte les bras sous les applaudissements de ses amis. Peut-être inconsciemment, Gaël a imité l'écriture d'enfant de Morgane. Ses lettres rondes sont semblables à celles qu'il traçait en maternelle.


« Oh, fait Morgane peu après. Les voilà, mes dessins. Je me demandais où je les avais fichus. »


Une dernière boîte à chaussures vient se poser entre eux. La jeune fille l'ouvre, créant au passage un nuage de poussière qui les fait toussoter. Elle bat l'air devant elle et s'empare de la pile de papiers pour la déposer au centre de leur cercle.


« T'es plutôt douée, dit Gaël en les parcourant.

- Pourquoi t'as l'air aussi surpris ? »


Le garçon rosit, mais le sourire taquin de son amie le rassure aussitôt. Azura hausse les sourcils en regardant les dessins défiler sous ses yeux. C'est vrai qu'elle est douée. Il ignore à quel âge Morgane a commencé, mais les esquisses de paysages en noir et blanc lui paraissent dignes de figurer dans une galerie.


« Hm ? »


Morgane s'empare d'une feuille au milieu de la pile et fronce les sourcils. Curieux, les garçons se penchent par-dessus son épaule. Il s'agit d'un croquis représentant une pièce à vivre en teintes de gris. Au milieu se dresse une cheminée devant laquelle on a installé un grand bureau en bois massif. Au sommet de la cheminée, un miroir en forme de soleil reflète par ils ne savent quel miracle l'ensemble de la pièce.


« Y a quelque chose qui va pas ? » demande Gaël.


Morgane hoche la tête.


« C'est pas mon dessin.

- Quoi ? fait Azura. T'es sûre ?

- Certaine. J'ai une super mémoire, surtout quand ça concerne ce que je fais, et ça ... c'est pas mon dessin. »


Les deux garçons suivent son regard sur le papier. Qui a bien pu mettre ça ici ?


« Y en a un autre qui y ressemble un peu » remarque Gaël.


Il leur tend une feuille froissée aux mêmes dimensions que la première. La jeune fille plisse les yeux pour l'observer. Cette fois, il s'agit d'un mur tapissé garni de quelques tableaux. Azura a beau chercher, il ne voit rien d'autre.


« C'est une pièce de la maison ? s'enquiert-il.

- Le bureau de ma mère, confirme Morgane. Pourquoi elle a mis ça ici ? C'est bizarre. »


Elle se frotte le menton, pensive, avant de poser les deux feuilles côte à côte. Un silence concentré s'abat quelques instants sur le trio. Gaël est le premier à le rompre.


« Le miroir ... »


Surpris, ses deux amis l'interrogent du regard avant de retourner aux croquis. Ils écarquillent les yeux. Gaël a raison. Le reflet, étonnamment détaillé, du miroir en forme de soleil ne correspond pas à ce qu'on a tracé sur le second dessin. Là où ils ne devraient trouver que la tapisserie, la glace renvoie une petite ouverture pratiquée dans le mur.

Morgane se relève aussitôt. Elle n'a pas besoin d'exprimer son intention pour que les garçons la comprennent. Ils la suivent dans le couloir, s'engageant derrière elle lorsqu'elle pénètre dans la pièce du fond. La pièce du dessin.

Elle lève les yeux vers le miroir, plissant le nez sous l'odeur de poussière et de renfermé. Derrière eux se trouve le mur tapissé. Morgane s'accroupit près de lui et, après avoir calculé sa position par rapport au dessin, commence à donner de petits coups de poing sur la partie la plus basse. Azura et Gaël se précipitent à son côté lorsque le mur finit par sonner creux. Ils s'agenouillent à terre pour tenter de l'ouvrir à grand renfort d'ongles, mais la tapisserie les en empêche.


« J'ai besoin d'un objet tranchant, lance Morgane. Devrait encore y avoir des couteaux dans la cuisine.

- J'en ai un dans mon sac » signale Azura.


Malgré l'impatience provoquée par la situation, la jeune fille interrompt ses efforts pour tourner vers lui un regard incrédule auquel se joint celui de Gaël.


« T'en as un dans ton sac ? Toi ?

- C'est pour mieux coller à mon image de délinquant, fait Azura en haussant une épaule. Tiens, ça devrait suffire. »


Il lui tend le couteau pliable, que la jeune fille accepte sans discuter. Elle tranche la tapisserie de part et d'autre avant de l'arracher totalement, laissant bientôt apercevoir une petite porte incrustée dans le mur semblable à celle de sa chambre. Elle tire sur la poignée sans résultat. Leurs yeux tombent à l'unisson sur la serrure, juste en dessous de celle-ci.


« Oh, maman, sérieusement ? »


Morgane retire les barrettes de ses cheveux tandis que les garçons se mettent à la recherche d'une clef. Le domicile ne compte plus beaucoup d'endroits où en cacher mais, heureusement, la jeune fille parvient à faire opérer sa magie pas plus d'une minute plus tard. Ils la rejoignent le cœur battant.


« J'ouvre » prévient-elle.


La porte s'écarte avec un bruit sec. Derrière elle, le trio ne rencontre que le vide. Morgane y plonge la main sans hésiter un seul instant. Elle s'empare d'une latte du plancher pour la soulever et, sous celle-ci, trouve enfin son bonheur. Ses yeux s'écarquillent de surprise.


« Alors ? » demande Azura, impatient.


Elle sort sa trouvaille pour la leur montrer. Dans sa main se trouve un fin carnet poussiéreux à la couverture kaki et frappée de l'insigne doré de la police de Sunnyside.


« C'est le carnet de maman » les informe Morgane.


Ils gardent le silence un instant. Morgane en caresse la reliure, émue. Voilà donc le fameux carnet que même la police n'a pas réussi à trouver. Qui sait ce qui se cache à l'intérieur ?

Gaël déglutit. Il semble vouloir dire quelque chose, mais y renonce en voyant Morgane l'ouvrir. Leur impatience retombe aussitôt. Sur la première page est inscrite une suite de chiffres serrés, sans ponctuation et sans espace. La jeune fille feuillette le carnet pour n'y trouver que les mêmes chiffres, chaque fois dans un ordre différent. Azura cligne des yeux sans comprendre.


« C'est un code, annonce Morgane. Il faut qu'on le perce. »


Embarrassé de ne pas l'avoir réalisé de lui-même, Azura hoche la tête. À son côté, Gaël lève les mains comme pour se défendre.


« Eh, le corbeau est mort. Je croyais qu'on était d'accord pour dire que c'est terminé.

- On l'est, répond Morgane. Mais c'est le carnet de ma mère. La dernière chose qu'elle m'a laissée. Je veux savoir ce qu'il y a dedans.

- Tu crois que tu fais bien de remuer tout ça ? Tu disais que tu commençais enfin à être en paix.

- Je le suis plus ou moins. Mais maman a découvert quelque chose qui a mené à sa mort. Je veux savoir quoi exactement, même si ça a juste à voir avec Johnny Gunn. »


Gaël demeure muet un instant. Il hausse les épaules, vaincu.


« D'accord. Mais laisse-nous t'aider, au moins. T'en auras pour des mois à craquer ça toute seule. On devrait se relayer de temps en temps.

- Bonne idée, approuve Azura. On a qu'à se refiler le carnet chaque semaine.

- Ça me va. Merci, les garçons. »


Morgane leur sourit, le précieux carnet toujours serré entre ses mains. Azura baisse les yeux vers celui-ci. La voilà, leur nouvelle occupation.

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