Chapitre 20

So take me to the heavens now
As we burn down, as we are found


Les trois adolescents contemplent chacun leurs pieds dans le plus parfait des silences. Allongée sur son lit d'hôpital, Lauren s'évertue à trouver la combinaison d'un Rubik's Cube apporté par son petit ami. Gina feuillette distraitement un magazine féminin. Le bruit des pages qui tournent est seul à rompre le calme de la pièce.


« Alors ... tente Azura avec maladresse. Vous êtes sûrs que c'est lui ? »


Comme si elle n'attendait qu'un prétexte pour le faire, Gina abandonne aussitôt sa lecture. Elle jette le magazine sur la table de chevet (Morgane et les garçons, titillés par leur culpabilité, se sont cotisés pour offrir à Lauren un bouquet de fleurs colorées qui y trône depuis) et croise les mains sur ses genoux.


« Ils ont trouvé une liste de noms chez monsieur Gunn, leur explique-t-elle. Pour l'instant, il nie tout en bloc, mais l'interrogation se poursuit aujourd'hui. On espère qu'il se trahira.

- Une liste des victimes ? demande Morgane. Ça veut rien dire, si ?

- Disons que ça ne joue pas en sa faveur. L'écriture colle à celle de la lettre que vous avez reçue. Et puis ... »


Gina tourne un regard hésitant vers sa collègue. Absorbée par son énigme, celle-ci ne le remarque même pas.


« La liste ne s'arrêtait pas à monsieur Jefferson. Lauren et moi étions dessus. Il y a fort à parier qu'on aurait été les prochaines si ... »


Elle secoue la tête. Ils imaginent sans peine la suite.


« Alors c'est fini ? murmure Morgane. Vraiment ?

- On dirait bien. Merci, les enfants, ajoute Gina en se penchant au bord de sa chaise. On n'aurait jamais pu remonter jusqu'à lui si vous nous aviez pas confié cette lettre.

- On a bien fait de continuer à creuser, alors ? la taquine Azura.

- Pour le coup, oui. En tout cas, n'en faites pas une habitude. Vous ... »


Une exclamation triomphante interrompt les propos de Gina. Sa collègue brandit le Rubik's Cube terminé devant elle, fière de son exploit.


« Lauren Diaz, génie intellectuel de Sunnyside, pour vous servir » dit celle-ci de son ton monocorde.


Un sourire fatigué s'esquisse sur la bouche des quatre témoins. Lauren pose son œuvre à côté du vase et soupire.


« J'arrive pas à croire que je me fasse chier à ce point. Vous avez pas quelque chose pour moi, les jeunes ?

- Ma grand-mère a toute une pile de mots-croisés à faire, répond Morgane. Elle voudra peut-être t'en filer quelques-uns.

- Vous avez pas des jeux sur votre téléphone ? ajoute Gaël.

- J'ai pas la place pour ça. Mais je veux bien les mots-croisés. »


Morgane lève le pouce pour approuver. Gêné de ne rien avoir proposé, Azura s'ébouriffe les cheveux.


« J'ai des devoirs à faire, si vous voulez. »


Lauren rit du même rire hautain que le jour de leur interrogation - un rire sincère, il l'a compris.


« J'ai dit que je me faisais chier, pas que j'étais masochiste. Mais merci quand même. »


Le sourire d'Azura s'accentue. Il regarde par la fenêtre, songeur, et n'y trouve pas le moindre signe d'une averse prochaine. Les rayons du soleil forment une auréole sur le linoléum de la chambre.

Puisque le temps semble les y inciter, les trois adolescents poursuivent leur contemplation silencieuse au bord de la plage. Les vagues se traînent paresseusement jusqu'à leurs orteils pour mieux s'en éloigner la seconde suivante. Une brise océanique caresse leurs mollets nus. Pensif, Azura se frotte les bras pour se réchauffer. Ses réflexions le mènent à Ryan sans qu'il comprenne pourquoi. Pourra-t-il vraiment annoncer à son ami que tout est terminé, le jour où Fatima et lui leur rendront visite ? Il a encore du mal à y croire.


« Vous pensez que c'était vraiment lui ? demande enfin Morgane. Que c'était vraiment Johnny qui se cachait derrière tout ça ?

- Il nous a vus donner la lettre à la police, soulève Gaël en se touchant le menton, et il avait pas mal de raisons de faire accuser Burk. Tu disais toi-même qu'il le tenait responsable de tous les malheurs du monde.

- Je sais, mais ... »


Morgane se ramasse sur elle-même, les genoux pliés sous le menton.


« J'arrive pas à croire qu'il ait pu tuer maman. Qu'il ... que son assassin était sous mon nez tout ce temps et que j'ai jamais rien remarqué. Je me sens tellement nulle ... »

- Il devait s'en vouloir, suppose Azura. C'est pour ça qu'il nous envoyait des menaces en l'air sans jamais s'en prendre directement à nous. Pour ... pour nous protéger, dans un sens. »


Son amie hoche doucement la tête. Azura poursuit seul ses réflexions. Plus ils en parlent, plus les pièces du puzzle s'assemblent. Johnny a laissé cette lettre à la Petite Sirène parce qu'il a compris qu'Azura y vivait ; sans doute ignore-t-il l'adresse des deux autres. Et puis, l'homme doit détester Sunnyside. Morgane leur a signalé ; Johnny est un peu parano. Peut-être s'imaginait-il être la risée de la ville.

Azura fronce les sourcils. C'est pour ça qu'il aurait tué tous les autres ? Parce qu'il pensait que le monde entier se foutait de lui ? Ou pour noyer le poisson et éliminer Burk en toute discrétion, comme il l'a lui-même suggéré ?

Le garçon se masse le front. Il n'arrive pas à comprendre ce qui peut se passer dans la tête de ce monstre. Tuait-il au hasard ou échangeait-il ses services contre de l'argent en passant par les Everett ? Il suppose qu'ils le sauront tôt ou tard. Si la police fait son travail, Johnny devrait finir par avouer (à moins qu'il préfère concrétiser les cauchemars de Morgane pour s'échapper, mais ça, Azura préfère ne pas trop y penser).


« Je me sens déçue. »


Le murmure amer de Morgane met fin à ses réflexions. Il tourne la tête vers son amie, qui observe ses orteils d'un air abattu.


« Je sais pas, poursuit-elle, je pensais qu'on résoudrait l'enquête par nos propres moyens et qu'en voir la fin serait plus satisfaisant que ça. Je me sens bête d'en avoir attendu autant. C'est juste ... fini. Comme un courant d'air qui passe et ... pouf.

- Eh, fait Azura pour la rassurer, je me croyais lié au tueur par le destin ou une connerie du genre. T'inquiète pas, on se sent tous aussi cons. »


Morgane adresse au vide un sourire reconnaissant. La jeune fille n'a aucune raison de se torturer. Au contraire, leur enquête n'aurait jamais atteint ce stade sans elle ; elle n'aurait même jamais eu lieu. Johnny n'aurait jamais écrit cette lettre, et la police ne serait jamais remontée jusqu'à lui. D'accord, tout ne s'est pas soldé de manière aussi spectaculaire qu'ils l'espéraient (Azura le premier), mais Gina avait raison lorsqu'elle affirmait tout leur devoir.

Ils tourneront la page. Pas aujourd'hui, pas avant le procès de Johnny Gunn, mais le jour viendra où ils pourront le regarder dans les yeux et se dire que la terreur dans laquelle il a fait sombrer la ville n'est plus qu'un mauvais souvenir.


Mauvais, vraiment ? Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ?


Azura secoue la tête pour en chasser ces pensées égoïstes. Peu importe s'ils redeviennent des adolescents banals seulement tracassés par leur prochain contrôle de maths. Peu importe. Mieux vaut ça que passer leur vie à se mettre en danger. Le mystère de Sunnyside est levé ; leur rôle s'arrête ici. Peu importe si le rideau s'abat sur eux avant même qu'ils puissent goûter à la lumière des projecteurs. Cela n'a jamais été ce qu'ils recherchaient, n'est-ce pas ? Alors peu importe.

Peu importe.


« C'est bientôt le printemps, signale Gaël quelques instants plus tard. Qu'est-ce vous diriez d'oublier tout ça pendant quelques jours ? Si la police tient la bonne personne, on peut rien faire de plus. Et si c'est pas le cas ... on tardera pas à s'en rendre compte. Et puis, Ryan et Fatima devaient pas venir bientôt ?

- Si, confirme Azura en hochant la tête, reconnaissant d'être ramené à la réalité. Ils arrivent pour l'anniversaire de la ville samedi prochain et repartent le lendemain soir. Fatima voulait voir les spectacles sur l'eau.

- Sérieux ? s'étonne Morgane. Cool ! Vous y êtes déjà allés ? À la fête, je parle.

- On y allait tous les ans quand on était petits, raconte Gaël. On a même fini par développer une super coutume.

- Ah ouais ? Laquelle ?

- Porter les vêtements les plus moches et improbables possibles, complète Azura. Ils vont finir à la poubelle de toute façon, alors... »


Morgane part dans un éclat de rire cristallin.


« Ça, c'est une coutume qui me plaît. »




Pour Azura, sa tenue la plus laide et improbable possible consiste en un tee-shirt blanc frappé d'étoiles rouges trois fois trop grand pour lui et d'un pantalon à carreaux tout bonnement dégueulasse dont l'entrejambe lui arrive aux genoux. Ses manches, pourtant courtes, flottent sans vie sur ses avant-bras. Le vêtement est assez long pour lui couvrir les fesses. Il sourit, frottant ses baskets écarlates l'une contre l'autre. Il est parfait.

Il se détourne du miroir poussiéreux de la salle de bain pour jeter un œil par la fenêtre mansardée. Le ciel, dégagé depuis la matinée par le plus chanceux des hasards, commence à revêtir les teintes dorées du crépuscule. Les autres doivent déjà l'attendre.

Il descend au rez-de-chaussée, où Cherry l'accueille de son habituel sourire carnassier. La jeune femme, qui, sans surprise, a adopté leur coutume à l'instant où il lui en a parlé, arbore un débardeur frappé d'un gigantesque doigt d'honneur surmonté d'une chemise de bûcheron canadien. Ses doigts tripotent distraitement les trous de son jean serré. À l'approche du garçon, elle lève une main pour taper dans la sienne.


« Terrible, le complimente-t-elle.

- T'es pas mal non plus. »


Elle lui adresse une grimace complice et lui fait signe de la suivre à l'extérieur. Entre les branches d'arbres décharnés, les ampoules multicolores de guirlandes lumineuses éclairent la route jusqu'au bord de la plage. Les rues se font progressivement moins désertes. Ça et là, des enfants armés de nougats ou de barbes à papa manquent de leur foncer dans les genoux tant leurs gourmandises accaparent leur attention. L'odeur de bonbons et de grillades vient chatouiller leurs narines. Azura ferme les yeux pour mieux la humer. Bon Dieu qu'elle lui avait manqué. Sunnyside a beau être le fin fond du troisième trou de balle du monde, il ne voudrait se trouver ailleurs pour rien au monde.


« C'est eux ! s'exclame Morgane en les apercevant. Salut ! »


Comme s'ils avaient pu la rater, la jeune fille leur adresse un grand signe du bras. Son tee-shirt blanc, frappé d'une adorable licorne en pleine défécation d'arc-en-ciel, a l'air d'un pyjama, et ses collants à pois surmontés d'un short rose ne font rien pour diminuer l'impression. Sa main libre est posée sur l'épaule de Nana, dont les vêtements sont plus ou moins assortis à ceux de sa sœur. La cadette semble préférer les ornithorynques aux licornes. Azura sourit, nostalgique. Lui aussi trouvait ces animaux ridicules à en mourir dix ans plus tôt.

Derrière les Delacroix, Fatima pointe timidement le bout de son visage entouré d'un voile garni d'yeux grands ouverts. Les sourcils d'Azura s'arquent de surprise. Il ne s'attendait pas à la voir adopter la coutume elle aussi.


« Vous êtes magnifiques, dit Morgane une fois arrivée à leur hauteur. Les garçons et Holly arrivent, ajoute-t-elle en voyant Azura chercher Gaël du regard. Ils sont partis chercher à boire.

- Ils perdent pas de temps, commente Cherry. J'espère qu'ils ont encore de la bière à la cerise cette année. »


Morgane la fusille du regard.


« Je croyais que tu devais faire un effort.

- Oh, pardon maman. J'ai le droit de faire un écart aujourd'hui ?

- Un seul. »


Cherry secoue la tête d'un air amusé. Pendant leur échange, la tête blonde de Ryan apparaît à côté de celle de sa demi-sœur. Le garçon tient dans les mains un jus de fruits, qu'il donne à Fatima, et un gobelet en plastique empli d'une boisson gazeuse qu'il manque de renverser en reconnaissant son ami.


« Azu, mon pote ! Comment tu ressembles à rien !

- Content de te voir aussi. Y a quoi là-dedans ? demande-t-il en avisant son sac à dos.

- Les cookies de Fatima et mon DVD de Hot Fuzz. Tu l'as pas encore fait voir à ton amoureux, si ? »


Les joues rougies par une soudaine piqûre d'embarras, Azura est sur le point de se renfrogner. Il change d'avis en réalisant qu'il est le seul à qui la remarque de Ryan ait fait de l'effet.


« Ouais, non, dit-il. Je l'ai pas sur mon PC et on l'a pas trouvé à la vidéothèque, alors ...

- Ton amoureux ? Tu veux dire que Gaël et toi êtes en couple ? fait Morgane avec une main sur le cœur. Doux Jésus, je ne m'y attendais pas du tout.

- L'amour c'est nul, bougonne Nana.

- T'es avec Gaël ? s'enquiert Cherry. Cool. Holly arrêtera enfin de me bassiner avec ça.

- Comment ça ?

- Elle dit tout le temps que vous iriez bien ensemble et que ça te ferait peut-être rester à Sunnyside. Moi je sais jamais quoi lui répondre, du coup elle parle un peu dans le vide.

- Holly veut que je reste ? répète Azura, choqué.

- Bah, ouais ? C'est assez évident, je trouve. »


Ébahi par sa révélation, Azura contemple bêtement la jeune femme. Il oublie même de nier les propos de Ryan. Sans qu'il en ait conscience, un sourire commence à étirer le coin de sa bouche. Cherry a tort ; ce n'est pas évident du tout. Mais Dieu que ça fait plaisir à entendre.


« On est là ! annonce Gaël pas plus d'une minute plus tard. On a raté quelque chose ? »


Le garçon confie un de ses gobelets à Morgane. En tombant nez-à-nez avec Azura, il se fige un instant. Celui-ci comprend pourquoi. Là où il a choisi un ample tee-shirt blanc garni d'étoiles rouges, son ami a opté pour un ample sweat rouge garni d'étoiles blanches. Ses cheveux encadrent toujours son visage mais, derrière, leur longueur est retenue par un élastique. Le bas d'un fin pantalon crème porte déjà les marques brunes du sable mouillé. Ses lèvres s'ouvrent en un large sourire.


« On est assortis, on dirait. Tiens, ajoute-t-il en lui tendant un autre gobelet, je t'ai pris du thé glacé. J'espère que t'aimes toujours ça. »


Azura accepte le cadeau en hochant la tête. Il en prend une gorgée, mais, en remarquant sa tante, debout à côté de Cherry, manque de la repasser par le nez.


« C'est quoi ces fringues ? pouffe-t-il.

- Des trucs que j'ai achetés quand j'avais ton âge, répond Holly avec un haussement d'épaules. On prend pas tous de bonnes décisions dans la vie. »


Il la détaille en ricanant. Si Holly lui avait un jour confié qu'elle portait autrefois des horreurs pareilles, Azura lui aurait ri au nez. Sa tante ressemble au stéréotype de la quinquagénaire grunge refusant de vieillir.


« Vous savez ce que j'ai envie de faire ? lance Morgane à peine sa boisson terminée. Le jeu où il faut attraper une pomme avec sa bouche. J'en suis la championne incontestée depuis que j'ai six ans.

- C'est pas pour les enfants ? remarque Fatima.

- Justement, réplique malicieusement la jeune fille. Ils ont aucune chance.

- T'es sale » lance Nana avec tout le sérieux du monde.


Un nouveau pouffement manque de faire subir un sort malheureux au thé glacé d'Azura. Il emboîte le pas à son amie, qui les entraîne sur la plage avec entrain. Leurs chaussures s'enfoncent mollement dans le sable. La brise leur glace les oreilles, mais, si on ne tient pas compte de celle-ci, la température est plutôt agréable.

Morgane n'exagérait pas lorsqu'elle affirmait être la championne incontestée du petit jeu. Elle glisse ses cheveux derrière ses oreilles et s'accroupit devant la bassine, les mains sagement croisées dans le dos. Les autres ont à peine le temps de chercher à en voir plus qu'elle se redresse pour leur faire face, le visage trempé et une pomme verte dans la bouche.


« Ta-dah ! dit-elle en en croquant un morceau.

- Qu'est-ce que tu gagnes ? demande Cherry.

- La pomme. Et un paquet de bonbons. »


Joignant le geste à la parole, la jeune fille tend le bras pour récupérer le petit sachet transparent que lui tend gaiement un des responsables. En reconnaissant les pastilles frappées de fleurs, Azura écarquille les yeux. Bien sûr. Comment a-t-il pu oublier ? Gaël et lui défendaient eux-mêmes leur titre de champions locaux, à l'époque.


« Essayez aussi, fait Morgane comme si elle avait lu dans ses pensées. Vous verrez, c'est hyper facile.

- Je dois être un peu rouillé ... mais d'accord. Faites place. »


Gaël fait craquer ses doigts en s'avançant à son tour. Il ne met pas beaucoup plus longtemps que Morgane à revenir armé d'une pomme et de bonbons. Amusé par le sérieux avec lequel son ami aborde un jeu pour enfant, Azura sourit. Puisque le bout de son nez goutte encore, il le lui essuie du dos de la main. Le clin d'œil que lui adresse Gaël ensuite part se loger directement dans son estomac. Azura se mord les joues, muet, et part tenter sa chance comme pour les empêcher de prendre feu.


« Vas-y, Nana ! l'encourage Morgane lorsque vient son tour. Fais honneur à notre famille ! Oblige pas mémé à te déshériter !

- Mords d'un coup sec, conseille Gaël. Dis-toi que c'est le bras de ton pire ennemi. »


Ses propres paroles doivent lui rappeler l'incident survenu sur cette même plage des années plus tôt, car le garçon est pris d'un rire discret qu'il tente de garder pour lui - et qui, bien sûr, n'échappe pas à Azura. Planterait-il encore ses crocs dans la chair d'un garçon contre lequel il n'aurait aucune chance pour le défendre ? Il l'espère. Azura, en tout cas, n'hésiterait pas une seule seconde.

Ils applaudissent en cœur quand Nana se redresse avec une pomme entre les dents. Elle tire dessus pour l'en retirer et leur adresse un signe de victoire tellement empli de fierté qu'elle en oublie presque son paquet de bonbons.


« C'était facile, soutient-elle. Pas de quoi en faire toute une salade. »


Morgane hausse un sourcil sceptique. Malgré ses propos, ses joues sont roses de plaisir.

Le petit groupe part s'installer un peu plus loin sur le sable, chacun muni de son propre sachet de pastilles. Ils s'assoient en tailleur face à la mer, les yeux vagabondant sur les lumières multicolores qui s'y reflètent au rythme d'une musique électro encore discrète.


« C'est trop beau ! » s'émerveille Fatima.


Elle sort son téléphone pour enregistrer la vue sous le regard amusé de son demi-frère. Avaient-ils déjà vu l'océan avant aujourd'hui ? Azura en doute.

Ils s'achètent chacun un sandwich chaud qu'ils dégustent devant divers divertissements plus ou moins conceptuels (jongleurs, cracheuses de feu, avaleurs d'épées, diseuse de bonne aventure) avant de passer aux toilettes. La queue pour celle-ci semblant avoir rassemblé la moitié de la ville, les garçons décident de passer leur tour. Ils patientent un peu plus loin, les bras croisés. L'air commence à se rafraîchir.


« C'est quoi, la suite du programme ? demande Ryan entre deux frissons.

- Je t'avoue que j'ai pas regardé, répond Azura. Mais en théorie, devrait y avoir une espèce de mini-concert dans pas longtemps. C'était comme ça les autres années.

- Ah ouais ? De qui ?

- Un groupe local. Je sais pas, j'en connais pas trop par ici. »


Ryan hoche sagement la tête. Il jette un œil prévoyant en direction des toilettes et murmure :


« Et vous-savez-quoi ? Y a du nouveau ? »


Pris de court par sa question, Azura met un moment à rassembler ses pensées. Il savait que Ryan chercherait à savoir plus, mais, à force de s'amuser, a tout de même fini par baisser sa garde. Il aurait préféré que son ami s'abstienne.


« On sait pas trop. Ils ont arrêté quelqu'un, en tout cas. Mais ils en ont pas encore parlé à la presse, alors ...

- Oh ! OK, je vois. Motus et bouche cousue. »


Ryan fait mine de jeter une clef invisible à terre. Au même moment, une jeune femme aux bras encombrés par un grand panier en osier vient se planter devant eux avec un large sourire. Ils sursautent, surpris.


« Les jeunes ! Rappelez-vous de vous couvrir ! »


Azura baisse un regard confus vers le panier. Il rougit en identifiant son contenu. Des centaines de préservatifs, masculins et féminins, s'étendent sous ses yeux.


« Euh, ça ... ça ira » bafouille-t-il pendant que Ryan en prend toute une poignée (qui finiront sans aucun doute gonflés en ballons à eau).


La jeune femme hausse les épaules sans se départir de son sourire. Après une courte hésitation, Gaël en glisse trois dans la poche de son sweat. Azura l'interroge du regard. Il n'obtient en retour que le même clin d'œil charmeur que son ami lui a déjà adressé plus tôt.


« Je serai prêt, si jamais l'impensable arrive. »


Azura a l'impression de sentir sa répartie fuir son cerveau par tous les orifices de son visage. Celui-ci s'empourprerait, si son sang n'avait pas soudainement filé ailleurs.

Le groupe réuni se dirige vers un coin plus calme en attendant le début du concert. Leurs jambes se font douloureuses à force d'avancer dans le sable, et leurs estomacs ont encore juste assez de place pour accueillir les cookies de Fatima. Ils ont laissé derrière eux le plus gros de la foule lorsqu'une voix fluette attire leur attention.


« Vous. Vous, là-bas. »


Ils font halte, surpris. Les têtes se tournent dans toutes les directions avant de trouver la provenance de la voix. Une jeune femme blonde, vêtue d'une longue robe à fleurs assortie d'un foulard mauve, est assise en tailleur dans le sable. Devant elle est étendue une sobre nappe où se devine un petit tas de cartes. Ils s'approchent, confus.


« Nous ? répètent-ils presque à l'unisson.

- Non. Pas vous. Lui. Celui en rouge.

- Moi ? s'étonne Gaël en se pointant du doigt.

- Oui. Vous. Non ... Vous trois. C'est vous trois. Mais surtout vous. »


Azura échange avec ses amis des regards bourrés d'incompréhension. Eux trois ? Elle veut dire Gaël, Morgane et lui ? Qu'ont-ils fait encore ?


« Laissez-moi vous lire les cartes, demande la jeune femme une fois les trois adolescents arrivés à sa hauteur. J'y tiens. »


Azura se retourne pour demander leur avis aux autres. Ceux-ci se contentent de hausser les épaules, à l'exception de Ryan qui s'avance avec des yeux ronds.


« Eh, je connais ça ! s'exclame-t-il. C'est du tarot ! C'est trop fun ! Vous pouvez pas me le faire à moi, plutôt ?

- Non. »


Azura retient un rire. Malgré l'apparence et la voix fluettes de la jeune femme, son ton n'incite pas à la discussion. Ryan baisse la tête, penaud.


« Asseyez-vous devant moi. Juste vous. »


Elle adresse un signe de main à Gaël. Celui-ci s'exécute, intimidé. Il s'agenouille devant la jeune femme sans savoir quoi faire.


« Je dois dire quelque chose ? s'enquiert-il.

- Non. Je sais déjà la question que vous vous posez. Prêtez simplement votre énergie aux cartes. »


Azura paierait cher pour voir la tête que doit tirer Gaël en ce moment. Lui, en tout cas, suit les gestes de la jeune femme avec autant de curiosité que d'amusement.

Elle prend une grande inspiration et commence à manipuler les cartes. Longtemps. Beaucoup trop longtemps, au goût d'Azura dont les pieds commencent à réclamer un peu de repos. Au bout d'une éternité ou deux, la jeune femme les étale devant elle et en tire trois. Les autres retrouvent le petit tas qu'elles formaient avant leur arrivée.

La blonde place les trois cartes tournées face contre nappe devant Gaël. Il se redresse, stressé.


« Votre passé, votre présent et votre futur » lui explique-t-elle avec le plus grand des sérieux.


Le garçon hoche la tête pour ne pas la contrarier (Azura n'imagine pas Gaël croire en quelque chose d'aussi perché). Son interlocutrice retourne les cartes et, en les découvrant, ne peut retenir une grimace. Elle se mord le poing, soucieuse.


« Oh ... »


Inquiet, Azura s'approche de son ami pour voir ce qui la met dans cet état. Il n'y connaît rien au tarot. Un squelette, une balance, une tour ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?


« Elles sont toutes sorties renversées ... murmure la jeune femme.

- Peut-être que vous avez juste rangé votre jeu à l'envers » intervient Ryan.


Elle l'incendie du regard. Comprenant le message, le garçon recule d'un pas. Azura avance d'autant.


« Y a quelque chose qui va pas ? »


De nouveau plongée dans la contemplation de ses cartes, la blonde secoue la tête. Son silence commence sérieusement à peser. Lorsqu'elle reprend la parole, celle-ci ne les rassure pas non plus.


« Vous acceptez de nous laisser seuls un instant ?

- Quoi ? Mais ... »


Ils interrogent Gaël du regard, qui leur répond par un haussement d'épaules détaché. Azura est seul à remarquer la tension de son dos.


« Ça ira, dit-il. Partez juste pas trop loin, que je vous retrouve. »


Rechignant à lui obéir, le groupe s'éloigne en traînant les pieds. Ils s'arrêtent juste assez loin pour ne plus les entendre, mais juste assez près pour ne pas les perdre de vue. Azura préférerait se faire couper une main plutôt que confier Gaël à une parfaite inconnue sans les surveiller. Il mord avec hargne dans un cookie de Fatima (délicieux, mais tout de même un peu dur) et le mâche d'un air sombre.


« Elle va pas te le voler, tu sais, fait Holly.

- De toute façon tout ça c'est des conneries, renchérit Nana.

- Eh ! s'indigne Morgane. Qui t'a appris ce mot ?

- Maman. »


Sa réponse laisse place à un bref silence malaisé. Morgane secoue la tête, dépitée.


« C'est malin, soupire-t-elle.

- Wow, cool, fait Ryan avant que quiconque puisse lui faire signe de se taire. Ma mère pète les plombs dès que je laisse échapper ne serait-ce qu'un petit merde.

- La mienne est morte. »


Le blond, qui avait encore la bouche ouverte, la garde ainsi un moment avant de la refermer. Il examine les grains de sable à ses pieds comme s'ils détenaient le secret pour éviter ce genre de situation.


« Désolé, bafouille-t-il.

- C'est pas grave, balaie Nana avec un haussement d'épaules. Je m'en fous.

- C'est ça, ouais. On va te croire. »


Morgane frotte le dos de sa sœur, mais ce geste affectueux revêt un air agacé. Le mutisme s'abat sur le groupe. Bizarrement, Nana semble être la seule à l'apprécier.

Gaël revient parmi eux après ce qui leur paraît être au moins une éternité. Azura se décale de Morgane pour lui faire une place et agrippe la manche de son sweat comme un enfant demandeur.


« Alors ? demande Ryan, désespéré de rattraper sa maladresse. Elle t'a dit quoi ?

- Rien que j'aie envie de vous répéter, répond gentiment l'autre garçon. Et puis, c'est pas comme si on croyait à tous ces trucs. Vous m'avez laissé des cookies ? »


La boîte gît ouverte au centre de leur cercle. Gaël se penche en avant pour en attraper un. Songeur, Azura contemple le vide. Ils croient aux cauchemars de Morgane et aux pouvoirs surnaturels du corbeau ; pourquoi pas aux cartes ?


« Super bon, commente Gaël comme pour changer de sujet. J'aimerais bien savoir en faire des comme ça.

- C'est facile, murmure Fatima en torturant les fils de son voile, embarrassée.

- Et tes biscuits de Noël ? se rappelle tout à coup Morgane. Ils ont eu du succès ?

- Personne n'est mort, si c'est la question. »


Gaël répond avec un sourire amusé. Est-ce qu'il les a offerts aux Everett ? À ce Maxwell dont Azura ignore toujours tout ?


« Je peux t'apprendre, poussin, propose Holly. Je suis pas trop mauvaise en pâtisserie.

- Eh, vous savez ce qu'on devrait faire demain ? intervient Ryan. Un concours de bouffe ! On prépare un dessert chacun et Fatima et Nana seront nos juges.

- Je vais prendre deux kilos, se lamente la première tandis que la seconde accueille l'idée avec un sourire impatient.

- D'où tu sors ça ? se moque Azura. C'est ton estomac qui dicte tes paroles ?

- Exactement ! Vous en dites quoi ?

- Je pourrais vous faire goûter mon légendaire gâteau à la cerise ... songe Cherry.

- Oh, et je pourrais me servir de vous comme cobayes ! enchaîne Morgane. J'ai toujours voulu apprendre à faire des meringues, mais j'ai jamais réussi.

- Non ! s'exclame Nana, horrifiée. Pas les meringues !

- Oh, ça va, souffle sa sœur en levant les yeux au ciel. T'as raté deux jours d'école, de quoi tu te plains ? »


Les regards se tournent ensuite vers Holly. Morgane joint les mains dans un geste suppliant. La femme soupire, résignée.


« Je suppose qu'on fait ça chez moi ? D'accord, mais je compte sur vous pour tout nettoyer après. »


Avec une exclamation victorieuse, Ryan serre le poing. Azura et Gaël s'échangent un regard amusé avant de piocher dans la boîte à cookies. Ils savourent leur dessert, une main dans le sable, le visage tourné vers l'océan. Les vagues sombres s'écrasent paresseusement devant eux. Azura ferme les yeux pour mieux ressentir la brise. Tout lui paraît si paisible.

Un peu l'inverse du comportement de ses amis, une fois le concert commencé. Azura, Morgane, Gaël et Ryan jouent des coudes jusqu'à se retrouver en première ligne, déjà galvanisés par les premiers battements de musique électro qui retentissent sur toute la plage. Les basses résonnent jusque dans leurs cœurs. Les spots multicolores de la scène balaient la foule d'adolescents, rendant presque insupportable la vue du tee-shirt déjà épileptique de Ryan. Par-dessus la musique, Morgane pousse un cri de joie.


« Ça déchire, putain ! »


Azura approuve d'un rire. Son cerveau est trop échauffé pour produire une réponse plus éloquente.

Il remue avec la foule, son bras percutant parfois celui de Gaël - qui semble se rapprocher volontairement de lui. En levant les yeux vers la scène, Azura reconnaît l'étudiante aux cheveux bleus de l'autre fois. La jeune femme (Nadine, il lui semble) adresse un clin d'œil complice à leur rangée avant de revenir à ses platines. La musique augmente encore d'un volume. N'y tenant plus, Azura crie à son tour. Il ne s'est jamais senti aussi vivant.

Ni aussi vidé, une fois le concert terminé. Ils laissent la foule se disperser avant de se mettre à la recherche de leurs amis restés plus loin. La scène est déjà loin derrière eux lorsqu'ils retrouvent l'horrible tenue de Holly.


« Vous vous êtes bien amusés, les jeunes ? »


Ils hochent la tête, trop éreintés pour développer. Fatima étouffe un bâillement. Nana, elle, est déjà dans les vapes. Elle a fermé les yeux peu après avoir demandé à monter sur les épaules de Cherry pour mieux voir le concert et a piqué du nez dans les cheveux de la jeune femme.


« On va bientôt rentrer ? demande celle-ci.

- Déjà ? s'étonne Ryan.

- Il est minuit passé. La gamine dort et j'ai les épaules en compote. »


Le jeune homme regarde son téléphone comme s'il ne les croyait pas. Ce faisant, il écarquille les yeux.


« Ah, ouais. Bon, bah, on va se mettre en route.

- Moi aussi, ajoute Morgane en s'étirant. Je vais m'écrouler si je me couche pas bientôt.

- Je te ramène ? propose Holly.

- Je veux bien. Mes pieds risquent de partir en fumée sinon, surtout que je vais devoir trimbaler le gremlin.

- Et vous, les garçons ?

- On peut rester encore un peu ? »


En posant la question, Gaël interroge Azura du regard. Celui-ci hoche la tête.


« Comme vous voulez. Mais faites attention en rentrant, OK ?

- Promis juré.

- Merci encore de nous accueillir, madame, fait Ryan quand le petit groupe commence à s'éloigner.

- Oh, c'est normal. J'allais quand même pas vous laisser rester dans ce motel pourri. »


La suite de leur échange ne parvient pas à franchir la distance qui les sépare d'Azura. Il les regarde disparaître au coin de la rue, un sourire béat aux lèvres. Les doigts de Gaël se glissent entre les siens.


« On peut se trouver un coin tranquille ? J'ai envie de regarder le ciel. »


Le menton du garçon glisse sur son épaule. Azura tourne la tête pour l'embrasser.


« Si c'est pour toi, dit-il, je veux bien marcher encore un peu. »


Gaël sourit dans leur baiser. Ses gestes sont empreints de la même paresse ensommeillée que ceux de son ami.

La fête étant finie, trouver un coin tranquille ne nécessite pas d'aller bien loin. Ils dépassent des installations désertes, que les organisateurs ne démonteront que le lendemain, et retirent leurs chaussures pour marcher au bord de l'eau. Lorsqu'enfin leur solitude atteint un degré suffisant à son goût, Gaël remonte le long de la plage pour s'allonger sur le sable sans être mouillé. Azura se laisse tomber à son côté. Il roule sur le dos et observe la voûte nocturne dans la même position que son ami.


« J'adore les étoiles, souffle celui-ci. Elles me rappellent que l'univers est plus grand que cet endroit. »


Azura approuve d'un hochement de tête. Dommage qu'elles ne soient pas plus visibles ce soir. Noyées dans les lumières artificielles du port, elles peinent à se faire remarquer.


« Quand on aura fini le lycée, on pourra aller où bon nous semble, dit-il. On n'aura plus d'obligations.

- On partira loin d'ici. On parcourra le monde, juste toi et moi.

- Si c'est ce que tu veux. »


Gaël adresse au ciel un sourire rêveur.


« Je voudrais que ce soit toujours comme ça, songe-t-il à voix basse. Toujours comme aujourd'hui.

- Moi aussi ...

- J'ai essayé de venir tout seul, tu sais. La première année. Mais ... »


Azura pivote vers son ami. Il se sent tellement bien. Sans la chute de la température et le frottement désagréable du sable, il serait même capable de s'endormir ainsi.


« Mais c'était pas pareil » complète-t-il à sa place.


Gaël confirme en silence. D'une main légère, Azura repousse les cheveux caramel qui lui tombent sur le visage.


« Tu veux vraiment pas me répéter ce qu'elle t'a dit, la tireuse de cartes ? demande-t-il après de nouvelles secondes de flottement. Ça m'inquiète un peu. »


Surpris, Gaël tourne les yeux vers lui. Un sourire moqueur se dessine sur ses lèvres.


« Tu t'inquiètes pour ça ?

- Elle avait l'air de prendre ça super au sérieux, rétorque Azura. Et puis, le paranormal, ça commence à nous connaître, tu trouves pas ?

- Dans un sens, je suppose, oui. Je peux te dire quelles cartes elle a tirées, si tu veux.

- Je veux.

- Celle sans nom, la Justice et la Maison Dieu. C'est censé vouloir dire que j'ai eu dans mon passé un changement que j'ai mal vécu, et dans mon présent un profond sentiment d'injustice.

- C'est plutôt vrai, soulève Azura en arquant les sourcils. Et dans ton futur ? »


Gaël hausse les épaules.


« Je sais plus. Rien d'insurmontable, je crois. Mais tu sais, le changement et l'injustice, ça peut être le cas pour beaucoup de monde. Elle aurait sans doute tiré les mêmes cartes pour toi ou Morgane, voire Holly et Cherry.

- Donc t'y crois un peu ? le taquine Azura.

- Peut-être, avoue son ami avec un sourire embarrassé. Mais de toute façon ... »


Il pivote à son tour pour faire face à Azura. Ses mains, auparavant croisées sur son ventre, viennent caresser ses joues. Malgré le sable incrusté entre ses doigts, le garçon n'a jamais trouvé le contact du cuir aussi agréable.


« Je sais déjà à quoi ressemble mon présent, murmure Gaël, les yeux pétillants. J'en voudrais pas un autre. »


La bouche d'Azura s'entrouvre de surprise. Il sonde les iris luisantes de Gaël sans y trouver la moindre trace d'ironie, et son visage s'empourpre tant qu'il craint de le voir fondre. Il ne s'est jamais senti aussi amoureux.


« Je peux t'embrasser ? » demande-t-il bêtement.


Gaël pouffe de rire. Azura craint d'avoir brisé l'ambiance, mais, l'instant d'après, le garçon joint ses lèvres aux siennes sans se départir de son sourire. D'abord surpris, Azura finit par lui rendre le baiser. Ses jambes se glissent entre les siennes sans qu'il en ait conscience. D'un geste maladroit, il entoure de ses mains le visage de son ami. Même lorsque celui-ci fait glisser ses bras en bas de son dos, Gaël ne lui paraît jamais assez proche. Azura presse son corps contre le sien jusqu'à ne plus permettre entre eux l'existence d'une seule bulle d'air.

Ils interrompent leur baiser pour laisser leur cœur s'en remettre. Le son paisible de leur souffle se superpose à celui des vagues. Azura caresse d'une main le visage de son voisin, laissant sur sa joue une mince traînée de sable. L'autre garçon a un rire gêné, celui-là même qui a précédé leur premier baiser. Il presse le front contre la clavicule d'Azura, puis, d'un coup de dents, se débarrasse d'un de ses gants. Sa main nue part à la rencontre des boucles noires tandis que la chaleur de ses lèvres retrouve celle de son voisin. Gaël entrouvre timidement la bouche. Si Azura ouvrait les yeux, il pourrait voir ses cils trembler.

Sans rompre l'étreinte, Gaël pivote au-dessus de son ami. Sa main gantée glisse sous le tee-shirt ample pour caresser son ventre. Azura ne peut retenir un gémissement surpris. Il fronce les sourcils, pressant la nuque du garçon pour approfondir leur baiser. Il veut le toucher lui aussi.

À tâtons, il cherche le bord de son sweat. Lorsqu'enfin ils le trouvent, ses doigts libres se faufilent dessous sans oser le soulever et caressent le creux de son dos légèrement cambré. Gaël essuie un frisson. Plus haut, là où il s'attendait à rencontrer un quelconque sous-vêtement, Azura ne trouve que la douceur nue de sa peau. Un sourire béat étire ses lèvres tandis que Gaël se presse davantage contre lui. Une sensation familière vient lui tirailler le bas-ventre mais, cette fois, il n'a pas à s'en cacher.

Gaël se sépare de lui le temps de reprendre son souffle. Azura se pince les lèvres, dévorant du regard le visage empourpré de son ami.


« Tu trembles, remarque-t-il.

- Toi aussi.

- C'est parce que j'ai froid. »


Gaël hausse les sourcils avec l'air de lui demander s'il ne se foutrait pas un peu de sa gueule. Il se redresse, laissant tout son poids peser sur le bassin d'Azura. Sa main gantée se faufile de nouveau sous son tee-shirt avec l'intention de le soulever. Par peur d'aller trop loin, Gaël se mord une lèvre.


« Je peux ? »


Azura hoche la tête, le souffle court. Le tee-shirt blanc remonte lentement jusqu'à son menton. Il frissonne, mais, cette fois, la fraîcheur de la nuit n'est pas la seule coupable.

Les doigts fins de son ami retracent la ligne de son torse avec la plus grande attention. Il n'est pas bien musclé, ni même particulièrement viril, mais Gaël en a des étoiles dans les yeux. Les orteils cambrés, Azura le regarde faire sans oser l'imiter. Est-ce qu'il le devrait ? Il en a envie, mais, en même temps, craint de passer pour un obsédé. Il ne veut pas que Gaël le prenne pour ce genre de personne.


« T'es super beau gosse, tu sais » dit-il à la place.


À son grand soulagement, Gaël éclate de rire. Il serre le poing devant la bouche comme il en a l'habitude, mais, ce soir, le geste revêt une allure particulièrement exquise aux yeux d'Azura.


« Tu sais toujours quoi dire pour ménager l'ambiance.

- Toujours. C'est pour ça qu'on m'aime. »


Dans son rire, Gaël s'allonge à nouveau sur l'autre garçon. Il pose son front sur le sien et retrouve peu à peu son sérieux. Du bout des doigts, il suit le contour de ses lèvres.


« On devrait rentrer, dit-il. J'ai pas envie qu'on se fasse mater par un pervers. »


Azura confirme d'un bref hochement de tête. Le parfum naturel de son ami se mêle à celui du sable pour cajoler ses narines. Il glisse entre ses doigts une mèche de cheveux caramel, les traits soudainement soucieux. Une question le taraude.


« Ça va pas être bizarre, pour toi ?

- Pas avec toi. Jamais. »


Gaël plonge ses yeux dans les siens. Au bout d'une seconde, Azura hoche à nouveau la tête. Il ne lit dans le regard de son meilleur ami que la confiance la plus totale.

Il glisse sa main dans la sienne et l'entraîne hors de la plage.

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