Chapitre 19
I took the stars from my eyes, and then I made a map
And knew that somehow I could find my way back
Then I heard your heart beating, you were in the darkness too
So I stayed in the darkness with you
« Alors ? demande Azura le soir-même, tout au bord de la plage. Faites-moi rêver. »
Assis les mains dans le sable, les trois adolescents ont les orteils léchés par l'océan. Le printemps approche, et, entraînées dans son sillage, les premières chaleurs font de même. Azura a songé à s'acheter un maillot de bain, avant que les pancartes frappées de crânes le rappellent à la réalité. BAIGNADE INTERDITE. DANGER DE MORT. C'est plutôt clair.
Morgane sélectionne une image sur son téléphone puis le tend au garçon. Les inscriptions floues de l'écran d'ordinateur l'obligent à plisser les yeux, mais la surprise ne tarde pas à les agrandir.
« Dickson doit de l'argent aux Everett ?
- Ça nous a étonnés aussi, dit la jeune fille. C'est à peu près le même message que t'as trouvé dans ton grenier, non ? »
Azura lit l'e-mail une seconde fois. Il hoche la tête.
« Exactement le même, confirme-t-il. Mot pour mot.
- Tu trouves pas ça bizarre ? On soupçonnait Holly, et elle devait de l'argent aux Everett. On soupçonne Dickson, et il doit de l'argent aux Everett. Je suis sûre que c'est le cas d'encore plein d'autres personnes.
- Ma mère doit de l'argent aux Everett, leur rappelle Gaël. Vous allez la soupçonner aussi ? »
Azura et Morgane posent un regard affecté sur leur ami. Aucun d'entre eux n'a envie d'essuyer une nouvelle dispute.
« Bien sûr que non, lui assure la jeune fille. T'en dis quoi, toi ? Tu les as déjà vus faire ou dire des trucs louches pendant que t'étais chez eux ? »
Gaël réfléchit. Ses yeux se perdent dans l'océan. L'espace d'un instant, ils n'entendent rien d'autre que le son des vagues. Même les mouettes semblent avoir disparu.
« Non, pas vraiment, dit finalement le garçon. C'est juste des riches avec des hobbies et des conversations de riches. Rien qui sorte de l'ordinaire.
- Peut-être qu'ils font juste attention quand t'es là, présume Morgane. Ce serait logique. S'ils sont mouillés, ils doivent pas vouloir que quelqu'un s'en rende compte.
- Oui ... je suppose que c'est une possibilité. »
Gaël l'avoue presque à contrecœur. Azura comprend pourquoi. Si les Everett ont réellement quelque chose à voir avec les morts subites, leur enquête risque de mener à leur arrestation. Qui sait ce qu'il adviendra de l'argent prêté à Joy dans ce cas ? Et puis, Azura a beau ne rien savoir à son sujet, Gaël semble tenir à ce Maxwell. S'ils continuent, leur ami verra son environnement s'effondrer une fois de plus.
« On verra bien, tranche Azura. S'ils sont impliqués, on tardera pas à retomber sur eux un jour ou l'autre.
- Je pensais qu'on pourrait réviser notre liste, intervient Morgane. Voir si les victimes ou ceux qui ont profité de leur mort ont été en contact avec les Everett. Si c'est le cas, on sera fixés.
- On va se retrouver en prison, à ce rythme, marmonne Gaël.
- Eh, t'étais d'accord tout à l'heure. »
Morgane tend le poing pour lui donner une petite tape sur l'épaule. Au grand soulagement d'Azura, Gaël lui répond par un demi-sourire.
Il baisse les yeux vers ses orteils humides, pensif. Que connaissent-ils des Everett, si ce n'est l'étendue de leur richesse ? Rien. Avant toute chose, ils feraient mieux de se renseigner un peu. Et si même Gaël, qui les fréquente régulièrement, n'a rien d'extraordinaire à leur dire, alors qui reste-t-il ? Qui, à Sunnyside, ferait preuve d'assez peu de morale pour leur faire part d'informations qui les mettra peut-être en danger en plus de ne pas les concerner ?
Azura soupire. Dans sa chambre, la carte d'Olga attend toujours son heure.
Dans son enfance, Azura a rarement eu l'occasion de fréquenter d'autres restaurants que le Wendy's. Sa mère invoquait le manque de moyens ; il soupçonnait surtout un manque d'envie. C'est pour ça que, lorsqu'Olga O'Malley lui donne rendez-vous au Soleil Couchant un soir de semaine, le garçon se perd une bonne quinzaine de minutes avant de faire tinter le carillon de l'entrée. Ses yeux mettent un instant à s'habituer à la pénombre intérieure. Il regarde tout autour de lui, espérant trouver le carré brun de la journaliste avant qu'on s'intéresse à lui. Accoudée au comptoir de bois verni, une serveuse en robe courte discute avec une cliente à l'air abattu. Sur les banquettes propres, alignées contre les murs, et les chaises aux coussins moelleux, des hommes et des femmes de tout âge s'échangent des murmures sans lui accorder d'attention. Sous le bruit des verres qui s'entrechoquent se devine celui, plus discret, d'une mélodie jazz. Impressionné, Azura arque les sourcils. Cet endroit est bien plus raffiné que la Petite Sirène.
« Azura chou ! Ici ! »
Il tourne les yeux en direction de la voix familière. Assise sur une banquette dos à la fenêtre, Olga lui adresse de grands signes de la main. Il la rejoint le rose aux joues.
« Alors, on a fait bonne route ? s'enquiert la journaliste. C'était pas trop dur à trouver, j'espère ? »
Azura serre les dents, agacé par son ton moqueur. Comme si ses vingt minutes de retard ne parlaient pas pour lui.
« Je suis pas là pour faire copain-copain, lui rappelle-t-il. Je suis là pour causer.
- Oh, tu parles presque comme un grand maintenant ! Holly doit être fière ! »
Olga rejette la tête en arrière et part dans un de ses rires agaçants. Ratatiné sur sa chaise, Azura a l'impression d'être sur le point de prendre feu. Il jette un œil nerveux tout autour d'eux. Les autres clients les ignorent autant qu'ils ont ignoré son arrivée.
« N'aie pas peur de te faire remarquer, fait Olga devant son malaise. Personne ne nous écoute. Personne ne sait même qu'on est là. Lala ! ajoute-t-elle un ton plus haut. Une bière au citron et un jus de pomme, s'il te plaît ! »
Azura se retourne à temps pour voir la serveuse en robe courte hocher la tête. Est-ce qu'Olga compte l'inviter ? Elle n'espère pas l'acheter aussi facilement, quand même ? Il reprend sa position initiale sans accorder plus d'importance à la question. La journaliste peut bien user de tous les charmes à sa disposition, ils ne changeront pas la sienne.
« J'ai parlé de Stefan à ma tante, comme vous me l'avez demandé, dit-il. J'avais raison, non ? Vous pensez qu'elle l'a tué. »
Olga se mord une lèvre, tout sourire. Elle a beau être parée de ses lunettes de soleil habituelles, l'insistance de son regard lui fait froid dans le dos.
« Pourquoi je penserais ça, dis-moi ?
- Parce qu'elle le détestait. Il faisait du mal à Cherry. Elle se disait qu'elle se porterait mieux sans lui. »
Azura déglutit, se retenant de justesse d'ajouter qu'elle avait bien raison. Ils n'ont aucune raison de pleurer la mort d'une telle ordure.
« En effet, avoue la journaliste. Mais je te rassure tout de suite, ta tante n'est pas seule sur ma liste. Mon frère avait des ennemis partout. Il le méritait, cela dit. »
Olga trempe les lèvres au bord de son verre à bière. Surpris, Azura cligne des yeux.
« Il le méritait ? répète-t-il. Vous voulez le venger, non ? »
La journaliste est prise d'un rire guttural. Elle pouffe sans s'éloigner de son verre, envoyant s'écraser sur le nez d'Azura une pluie de gouttes citronnées.
« Désolée, fait-elle en lui tendant sa serviette. Ça faisait longtemps que j'avais pas entendu quelque chose d'aussi drôle. »
Azura s'essuie le visage. Chaque seconde passée avec cette femme fait naître plus de questions que la précédente.
« Mon frère était un monstre, poursuit-elle. Cherry n'est pas la seule à être tombée dans ses filets. Pour autant que je sache, il la trompait avec la moitié de la ville.
- Si vous l'aimiez pas, pourquoi vous avez pas écrit l'article sur sa mort ? demande Azura, confus.
- Parce que j'avais de la paperasse jusqu'au cou ! Mes parents m'ont tout refourgué comme si j'étais leur boniche. J'ai l'habitude, mais tout de même, ils auraient pu faire un effort.
- Mais ... mais c'était votre frère, quand même. »
Olga plie un poing sous le menton. Elle le dévisage en silence pour ce qui lui paraît être des heures. Quand, enfin, un soupir songeur franchit ses lèvres, Azura ne peut en retenir un soulagé. La journaliste lève la main jusqu'à son nez pour enlever ses lunettes. Sous celles-ci se cachaient deux yeux d'un bleu marine aussi intense et insondable que le fond de l'océan. Azura ne peut en détacher les siens.
« Plus que ça, dit-elle. C'était mon jumeau. Mais la famille ne fait pas tout, tu vois ? »
Il s'accorde encore un instant de contemplation avant de hocher la tête. Il voit très bien.
« Alors si vous pensez ça, pourquoi vous laissez pas Holly et les autres tranquilles ?
- Parce que je suis journaliste. Parce que même si j'ai laissé mon frère ruiner autant de vies sans lever le petit doigt, j'ai encore une chance d'en sauver quelques-unes. Quelle raison tu préfères me donner, dis-moi ? »
Un sourire joueur étire ses lèvres, mais Azura préfère ne pas répondre à sa question. Il commence enfin à la cerner. Sous couvert de professionnalisme, cette femme se sent juste coupable d'avoir vu le mal se faire sans chercher à l'en empêcher. C'est la raison qu'il choisit de lui donner.
« Bon, fait-elle tandis que le silence s'étend dangereusement, tu m'as tout de même pas faite venir ici juste pour me parler de Stef ? Si on passait aux choses sérieuses ? »
Azura se redresse sur sa chaise. Il prend une gorgée de son jus de pomme sans avoir le cran ni l'envie de lui rappeler qu'il n'a absolument pas choisi de les faire venir ici.
« Les Everett, commence-t-il. J'ai besoin d'infos sur eux.
- Oh ? Pourquoi donc ?
- Je préfère garder ça pour moi.
- Vraiment ? Tu ne veux pas me faire le plaisir d'étancher ma curiosité débordante ?
- Je pensais que vous vouliez passer aux choses sérieuses. »
Un sourire de requin étire les lèvres de la journaliste. Azura pourrait, en théorie, lui signaler la présence des Everett sur leur liste de suspects sans se mettre en danger, mais une sorte de rivalité puérile l'en empêche. Cette femme ne croit clairement pas à la culpabilité de Burk ; elle ne fait que jouer le jeu pour assurer sa propre sécurité. Il n'a aucune envie qu'elle les devance dans leur enquête.
« Je vois, dit celle-ci. Tu ferais un bon reporter, tu sais ? Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Tout ce que vous, vous savez. Je veux connaître leur histoire. Qui ils sont.
- Et qu'est-ce que j'y gagne ?
- Je vous parlerai de Holly. »
Une ondulation surprise des sourcils d'Olga lui fait comprendre qu'il la tient. Il déglutit, anxieux. En réalité, il n'a aucune idée de ce qu'il va lui raconter. Il s'est promis d'éviter les sujets graves, et rien de ce qu'il sait d'autre n'a dû échapper aux radars de la journaliste. Cette femme a des yeux partout.
« Deal, approuve-t-elle. Tiens-toi prêt pour une leçon d'histoire. »
Le jeune homme hoche la tête, tout ouïe. Il sirote son jus de pomme pendant qu'Olga cherche par où commencer.
« Les Everett sont la plus vieille famille de la ville. Je suppose que tu le sais déjà. Ils l'ont quasiment fondée et celles qui les y ont aidé ont disparu depuis longtemps.
- Disparu ? répète Azura, les sourcils froncés. Comment ça ?
- Elles se sont éteintes, comme beaucoup de familles par ici, explique Olga en balayant l'air d'un geste de la main. On n'est pas des masses, alors c'est pas évident pour la reproduction. Tu me suis ? »
Il hoche la tête, le bout des oreilles tout chaud. Elle n'avait pas besoin d'employer ce terme.
« Avec le temps, poursuit Olga, ils sont un peu tombés dans l'oubli. Il leur restait l'argent, bien sûr, mais leur nom n'évoquait plus grand chose chez la plupart des gens. Ils commencent tout juste à faire leur come-back.
- En rachetant les infrastructures de la ville, comprend Azura.
- Bingo ! T'as fait tes devoirs, dis-moi. T'es sûr d'avoir besoin de moi ? »
Il baisse les yeux, embarrassé, tandis que la journaliste est prise d'un nouvel accès de rire. Il ne dira plus un mot.
« Quant aux Everett qui nous intéressent aujourd'hui ... Solomon, Daisy, Lawrence et Maxwell, reprend-elle en comptant sur ses doigts. Si tu veux mon avis, ils tarderont pas à s'éteindre à leur tour.
- Pourquoi ?
- Solomon est mourant, Daisy a eu un accident quand son plus vieux fils avait ton âge ... et la rumeur dit que Lawrence est incapable d'avoir des enfants. Qui sait ce qui arrivera à la fortune familiale si son frère ne se dépêche pas d'en faire un ou deux ? À sa place, moi aussi je me ferais des cheveux blancs.
- Hm ... »
Olga fait silence le temps qu'Azura réfléchisse. Voilà donc pourquoi il croise le nom des Everett partout où il va ; ils cherchent à retrouver la place que le temps leur a pris. Et ce type, Lawrence, serait bien capable d'accélérer le processus à grands coups d'assassinats. Il commence à y voir plus clair.
« Daisy, c'était leur mère ? demande-t-il. Vous savez quel genre d'accident elle a eu ?
- Aucune idée, avoue Olga à contrecœur. C'est arrivé chez eux avant que je naisse, et ils n'ont jamais communiqué les détails. »
Déçu, Azura se pince les lèvres. Il espérait entendre une histoire impliquant un corps suintant de liquide noir mais, si ça avait été le cas, Olga et la police auraient déjà fait le lien entre les deux affaires.
« Il paraît que cette pauvre femme était fleuriste avant que Solomon pose les yeux sur elle, continue la journaliste. Il aurait fait construire une serre à l'arrière de son terrain juste pour qu'elle puisse continuer à faire pousser ses fleurs même en hiver. Un vrai conte de fées.
- Et leurs enfants ? Vous savez des choses sur eux ?
- Rien de plus que ce que tout le monde sait déjà. Lawrence est un démon, Maxwell est un mystère enrobé dans une énigme rangée dans une boîte fermée à clef. Mais dis-moi ... »
Olga se penche en avant et joint les mains sous le menton. Son sourire de requin fait son grand retour.
« Tu ne devrais pas plutôt interroger ton petit ami ? Le petit Whitefeather ? Il est bien plus proche d'eux que je le serai jamais. Surtout de Maxwell. »
Azura a l'impression de s'être pris une gifle. Il remue sur sa chaise, la colère l'empêchant de tenir en place. Est-ce qu'elle les épie ? Est-ce que cette femme les suit partout, appareil photo à la main ?
« Comment vous ...
- Oh, pitié, l'interrompt-elle, tu sais bien que j'ai des yeux partout ! Je connais toutes les liaisons du coin, vous n'êtes pas spéciaux, vous savez. Et d'ailleurs, en parlant de liaisons ... »
Elle le contemple, songeuse, une moue énigmatique aux lèvres. Azura réprime un frisson. L'espace d'un instant, il redoute qu'elle lui fasse des avances.
« Non, probablement pas, lâche-t-elle finalement. Et si on parlait de ta tante ? Je suis venue pour ça, oui ou non ?
- Euh ... oui, bafouille Azura, heureux de couper court au malaise. Mais j'aurais encore quelques questions à vous poser, si vous voulez bien.
- Oh ? J'espère vraiment que la contrepartie vaudra le coup, mon chou. »
Il serre les mâchoires, mal à l'aise. Que fera-t-elle dans le cas contraire ? Elle ne va tout de même pas l'agresser, non ? Non. Il ne craint rien. Cette femme est composée à 80% de bluff (et à 20% de lunettes de soleil). Azura compte bien profiter de la mine d'informations qu'il a devant lui avant qu'elle découvre le sien.
« Est-ce qu'il s'est déjà passé des phénomènes inexpliqués à Sunnyside ? En dehors des morts subites, je veux dire.
- Hm ? Comme quoi ?
- Euh ... »
Azura balaie l'air d'un geste incertain de la main. Il comptait profiter de la situation pour en apprendre plus sur la ville et son histoire, mais peut-être ferait-il mieux de feuilleter les archives.
Y a forcément une raison pour laquelle au moins trois personnes ici ont développé un pouvoir surnaturel. Peut-être même qu'on est pas les seuls.
« Quelque chose en rapport avec son emplacement ? tente-t-il. Un nœud magnétique, ou ... des ... énergies ... qui, euh ... convergent ...
- Oh, je vois ce que tu veux dire ! »
Olga tend un index triomphant dans sa direction. Surpris, Azura hausse les sourcils. Cette femme donne plus de sens à ses questions qu'il en met.
« Vraiment ? se permet-il d'espérer.
- Oui. La ville a été bâtie un vendredi 13, par une nuit de pleine-lune, sur un ancien cimetière indien, par des extra-terrestres satanistes cannibales de la zone 51 qui pratiquaient aussi la sorcellerie et les sacrifices humains. Le tout un soir d'Halloween. »
Azura roule si fort des yeux qu'il s'en blesse. Connasse.
« Vous vous croyez drôle ? siffle-t-il. J'essaie juste de ... »
Il s'interrompt avant d'en dire trop. Interroger sa famille n'a rien donné ; il essaie juste de comprendre, un peu désespérément, d'où lui vient ce don étrange. Peut-être qu'en le découvrant, il en apprendra plus sur le corbeau.
« Oh, mon chou, je suis désolée, rit Olga (qui ne doit même pas connaître la définition du mot désolée). Je pensais que tu te payais ma tête, mais tu étais sérieux ?
- Bien sûr que j'étais sérieux ! Vous croyez que ça m'amuse d'être ici ? Que j'ai envie de perdre du temps avec vous ? »
La journaliste soupire, entraînant dans son souffle le fantôme d'un rire. Elle semble calmée.
« Tu ne peux pas me reprocher de ne pas t'avoir pris au sérieux. Mais si tu fouines par-là pour ton projet d'histoire ou je ne sais quoi, oui, il y a quelque chose dans cette ville qui pourrait t'intéresser.
- Pour de vrai, cette fois ?
- Je ne fais jamais la même blague deux fois. Les plaisanteries s'essoufflent vite. Par contre, j'ai peur de ne pas t'être d'une grande aide. Tu ferais mieux de te procurer un livre d'histoire.
- Pour y chercher quoi, exactement ? Donnez-moi au moins une piste.
- Des vieilles rumeurs de sorcellerie. Oh, et je ne parle pas de ces pauvres gens pendus ou noyés à l'initiative de ces satanés puritains - paix à leur âme. Je parle de sorcellerie. La vraie, si mon côté pragmatique me pardonne cet affront, celle qui déboule d'un autre monde et te permet de parler aux oiseaux ou de manipuler le feu. Enfin, des histoires d'illuminés, rien qui mérite qu'on s'y attarde. Et si on parlait de ta tante, maintenant ? »
La Fouine se penche en avant comme pour lui permettre de mieux apercevoir son horrible sourire. Azura sent à son ton qu'elle arrive au bout de sa patience, et il sait qu'il ne lui arrachera rien de plus. Lui-même ne croit pas une seconde à ces rumeurs de sorcellerie. Les suivre ne le mènera sans doute nulle part, mais il aura au moins essayé.
Il se tord les doigts, soudainement démuni. L'y voilà. Le moment qu'il redoutait depuis qu'il est entré ici est arrivé.
« Elle, euh ... elle travaillait à l'usine avant de reprendre le bar, dit-il. L'usine de teinture.
- Je sais, ça, mon chou. C'est la première chose que j'ai apprise sur elle.
- Et Cherry avait mon âge quand elles se sont rencontrées. Du coup, elle l'a connue bien avant votre frère. »
Olga hoche la tête. Pour le moment, elle ne semble pas très intéressée.
« Continue, demande-t-elle.
- Et, euh ... elle a des problèmes d'argent. Holly, je veux dire.
- Oh ? Comment ça ?
- Elle a une dette envers les Everett. Je crois qu'elle leur a demandé de l'aide pour garder le bar.
- Tu crois ?
- C'est ce qu'elle m'a dit.
- Je vois. Autre chose ? »
Azura réfléchit, mais ses souvenirs le fuient. Holly lui a-t-elle confié quoi que ce soit d'intéressant en dehors de sa dette ? Il n'en a pas l'impression.
« Non ... c'est tout.
- C'est tout ? répète Olga, les yeux grands ouverts. Je me suis déplacée pour ça ? C'est pas grand chose, mon chou. »
Il hausse les épaules, abattu. Il s'attendait à cette réaction.
« Désolé, fait-il, l'air plus désolé qu'il l'est réellement. J'aurais bien aimé avoir autre chose, mais ...
- Elle fait des mystères, c'est ça ? Oh, t'inquiète donc pas. Je sais comment tu peux te rattraper. »
Surpris, Azura relève les yeux pour les ancrer aux siens. Olga remet ses lunettes, rompant le contact visuel aussitôt qu'il se fait.
« Pas aujourd'hui, dit-elle en levant son verre devant elle. Il faut que je vienne préparée. Mais bientôt, je te recontacterai. Et là ... je te ferai une offre que tu ne pourras pas refuser. Deal ?
- Euh ... OK. Je suppose. »
Confus, Azura tend son verre vers celui de la journaliste. Ils s'entrechoquent avec un son glaçant.
« Deal ? répète la femme.
- Deal » répond le jeune homme à contrecœur.
Olga sourit de toutes ses dents. Azura frissonne, mal à l'aise. Il a l'impression d'avoir trinqué avec le diable.
Azura aimerait l'inverse, mais il n'arrive pas à se débarrasser de la sale impression qu'on l'épie en permanence de toute la semaine. Il dévisage les passagers du bus d'un œil suspicieux. Si la Fouine les surveille sans qu'ils le sachent, qui d'autre peut le faire ? Mieux vaut se montrer prudent.
Il rentre à la Petite Sirène en se retournant tous les huit mètres et profite d'une soirée peu chargée pour aider Holly à préparer les repas du lendemain. Le week-end suivant, Gaël, Morgane et lui se retrouvent pour faire le point sur la situation. Azura leur résume ce qu'il a appris sur les Everett, remplaçant le rôle d'Olga par celui de vieux journaux, mais ne mentionne pas cette histoire de sorcellerie. À quoi bon le faire ? Il ne parviendrait qu'à passer pour un givré.
« Une famille de vieux riches qui cherche à retrouver sa place ... médite Morgane. Ça a du sens. Moi aussi, j'ai des nouvelles pour vous. »
Elle ouvre son carnet et le pose à plat sur la table. Les deux garçons se penchent vers l'écriture en pattes de mouches pour mieux la déchiffrer. À côté de celui de Miriam Fairfield, un nouveau nom a été inscrit. Azura fronce les sourcils. William Fairfield. S'agit-il du commissaire ?
« J'ai continué de fouiller du côté de la belle-mère de Tori, explique Morgane. Puisque sa famille peut rien pour nous, j'ai décidé d'aller voir ses anciennes collègues. Miriam se serait pointée au travail en larmes quelques jours avant sa mort. Et tenez-vous bien ... Quand elles lui ont demandé ce qui lui arrivait, elle leur a raconté avoir eu une violente dispute avec son mari. Le commissaire actuel. »
La jeune fille hausse les sourcils pour accentuer sa révélation. Face à elle, ses amis écarquillent les yeux.
« Elle a eu un violent désaccord avec son mari juste avant son décès, résume Gaël. Tu penses que le commissaire en personne aurait commandité sa mort ?
- Pas étonnant que l'enquête piétine depuis aussi longtemps, enchaîne Azura. Il a dû s'arranger pour faire disparaître le peu d'indices qu'ils avaient.
- Je suis sûre que c'est lui qui a détruit les fichiers de ma mère, le salaud. »
Morgane reprend son carnet, le nez plissé de colère. Azura essuie ses mains moites sur son jean. Quelqu'un d'aussi important que le chef de la police de Sunnyside serait donc impliqué dans les morts subites. Ont-ils vraiment une chance de mettre fin à tout ça ? Gaël a raison ; à ce rythme, ils n'arriveront qu'à se faire arrêter.
« On s'en tient à mon plan ? demande Morgane. Si même le commissaire a une dette envers les Everett, on saura qu'il y a vraiment anguille sous roche.
- Tu veux t'introduire chez lui ? On ferait pas mieux d'attendre des nouvelles de Gina ? »
Azura hoche la tête pour soutenir son ami. Pénétrer chez le commissaire comme ils ont pénétré chez Dickson serait beaucoup trop risqué, surtout si son plus jeune fils vit encore avec lui. Ce serait carrément du suicide. Et puis, Azura ne pourrait plus regarder Tori dans les yeux après ça.
« Savoir qui a renversé Lauren, c'est quand même la priorité, ajoute-t-il. On devrait attendre de voir avant de décider ce qu'on va faire ensuite.
- Et on peut toujours demander à Tori si son père a un lien avec les Everett, continue Gaël. Il est certainement pas au courant, mais ça nous coûtera rien d'essayer. »
Morgane hésite un instant avant d'approuver d'un signe de tête.
« Vous avez raison. C'est juste que ... Je sais pas, je pensais pas que ça prendrait autant de temps. Avec la plaque et tout ... »
Elle s'appuie le menton dans la main, songeuse, et regarde la pluie tomber par la porte d'entrée. La jeune fille est bientôt imitée par ses deux amis. Eux aussi s'attendaient à avoir eu des nouvelles d'ici aujourd'hui.
Comme si elle avait entendu leur requête, Gina se pointe à la Petite Sirène le jeudi suivant. Holly interrompt son nettoyage pour la saluer, mais, en la reconnaissant, les mots meurent dans sa gorge. Elle plisse les yeux, méfiante.
« Vous ? demande-t-elle à la place. Qu'est-ce que vous faites là ? »
Intrigué, Azura pose son torchon dans l'évier. Gaël et Morgane, qui partageaient un chocolat chaud en planchant sur leurs devoirs de mathématiques, relèvent les yeux. Dans l'entrée, Gina lève les mains en signe de paix.
« Je viens simplement prendre un café, dit-elle. Oh, les enfants, vous êtes là, ajoute-t-elle en remarquant leur présence. Parfait. J'espérais vous trouver ici.
- Pourquoi ? s'enquiert Holly. Qu'est-ce que vous leur voulez, encore ?
- Rien de grave, madame. Juste leur donner des nouvelles d'une amie. »
Toujours suspicieuse, Holly s'empare d'une petite tasse posée sur la machine à café. Gina s'installe sur la banquette au dos de celle de Morgane, qui abandonne aussitôt ses devoirs pour la rejoindre. Azura et Gaël ne tardent pas à faire de même.
« Vous savez qui a voulu tuer Lauren ? lui demandent-ils. Vous avez un nom ? »
Gina hoche la tête. Son geste n'est pas aussi triomphant que ce à quoi ils s'attendaient.
« Désolée que ça ait pris aussi longtemps. Le numéro qu'a relevé Lauren était partiellement erroné, du coup ... Ah, si seulement on avait fait installer des caméras de surveillance.
- Vous connaissez quelqu'un qui a eu un accident ? fait Holly en apportant le café.
- Merci. Ma collègue a été renversée, explique Gina.
- Oh ... »
Holly s'éloigne déjà, comme si elle regrettait d'avoir posé la question. Azura la regarde s'enfoncer dans sa cuisine. Dieu merci, Gina a eu le réflexe de ne pas mentionner la lettre. Ils auraient frôlé l'incident diplomatique si elle l'avait fait.
« La voiture appartient à un garage, reprend la détective. Le propriétaire a rien voulu cracher quand on est allés le voir. On a dû le menacer de l'arrêter pour obstruction à la justice pour qu'il accepte de parler.
- Et il a dit quoi ? l'encourage Morgane, presque debout sur sa banquette.
- Il nous a laissés consulter sa liste de locataires. Le véhicule en question était dessus.
- Vous avez un nom ? » demande de nouveau Azura.
Avant de répondre, Gina prend une première gorgée du café encore brûlant. Les trois adolescents la dévisagent avec six yeux ronds, impatients d'entendre ses prochaines paroles.
« Gunn, dit-elle enfin. Johnny Gunn. Jack et Tori sont en train de l'interroger au moment où je vous parle. »
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