L'envol

Je vole. Mes pieds ne touchent plus terre. Les oiseaux étonnés s'écartent de mauvaise grâce. Le vent me fouette le visage, fais voler mes cheveux. Je vole.

Est-ce un rêve ? Un délire ?
   Non, c'est réel. Je le sais, je le sens. Mes jambes frôlent les nuages, mes bras caressent le soleil. Plus rien ne me rattache à ce monde.

Je plonge, je virevolte, je danse dans ce bleu. Qui me noie et m'engloutit. Il s'immisce en moi, tel une maladie. Une douce maladie.

***

Je revois ma chambre, à l'hôpital. Toutes ces machines autour de moi. Tous ces médecins qui s'affairent. Mes parents, les yeux cernés, qui me regardent comme on regarde un mourant. Peut-être est-ce le cas.
   Ma sœur, ma chère petite sœur, qui pleure, tremble et crie, elle qui d'habitude est froide comme de la glace.
   Mon frère, mon cher grand frère, décoiffé et négligé, lui qui d'habitude est si soigné. Ça ne leur ressemble pas.

Que se passe-t-il ? L'esprit encore embrumé par les anesthésiants, je peine à réfléchir.
   Mais quelque chose ne va pas. Pourquoi sont-ils tous comme ça ? L'opération s'est mal passée ? Cette tumeur, qui me ronge de l'intérieur depuis si longtemps n'a pas pu être enlevée ?

***

La douleur. Elle me revient, m'assaille brutalement.
   Je retombe violemment au sol. Je suis de retour dans cette chambre. Ma famille est partie. Je suis seule.

***

Je ne veux pas dormir. Je ne peux pas dormir. Les ténèbres me guettent, m'attendent. Ils sont à l'affût du moment où je fermerait les yeux. Ils m'entraîneront vers le fond.
   Ils sont là, je le sais. Je les sens autour de moi. Dans l'immensité de ma minuscule chambre, je perçois leur noirceur macabre.

L'obscurité m'oppresse, m'étouffe. Elle se glisse comme une ombre noire pour emprisonner mon cœur. Est-ce que je vais guérir ? Est-ce que je vais mourir ?

   Une vague d'effroi m'envahit. Je vais... mourir ? Moi ? Non, impossible ! Je tiens trop à la vie.
   J'aime avoir de l'air dans les poumons, j'aime sentir le soleil sur ma peau, l'eau qui coule dans ma gorge.
   J'aime regarder les oiseaux par la fenêtre de cette chambre aseptisée. J'aime les peindre, tremper mon pinceau dans l'aquarelle et capturer ces instants fugaces, de simplicité et de bonheur.
   J'aime écrire ces poèmes, jalousement gardés dans mon carnet bleu. J'aime tracer les lettres, aligner les mots, enchaîner les vers. Cette écriture est vitale pour moi. Avec elle, je repeinds cette chambre terne avec toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Le soleil et les oiseaux du matin entrent et illuminent tout. La pluie s'invite aussi, parfois. Elle fait couler l'eau sur mon visage, me fais me sentir vivante.
  
Mourir signifie devoir laisser tout ça derrière moi ? Mes poèmes, mes aquarelles, mes rêves d'enfant ? Tout laisser tomber pour un aller sans retour ?

***

Le temps est compté. Autant en profiter. Je repousse les ténèbres à coup de plume et de pinceau. Je peinds autour de moi un cocon arc-en-ciel. Et je ferme les yeux, sereine.

***

Je nage. L'eau chaude et limpide m'entoure. Le sable blanc glisse sous mes pieds. Des poissons multicolores tourbillonnent autour de moi. Il n'y a rien. Juste moi, en tête-à-tête avec la mer.

Je nage. Encore et encore. Je ne vois plus la rive. Mais je continue.

Je dois m'éloigner. De ce quotidien, de cet chambre d'hôpital de... De...

De moi-même. Je me fuis, moi et ma peur. Moi et mon insouciance. Moi.

Ici, je suis seule. Avec ma solitude. Une belle solitude.

***

La lumière blanche m'aveugle. Brusque retour à la réalité. Aucune trace de l'océan. Aucune trace du ciel. Je suis allongée dans ce lit blanc.

J'attends ma fin.

***

Je vois les oiseaux, je peins les oiseaux, j'écris les oiseaux. Je suis dans ma bulle, dans mon monde. Moi et les oiseaux.

***

Le temps s'échappe, s'enfuit. Je tente de le retenir, mais il me file entre les doigts.
   Déjà la nuit. Le retour des monstres et des ténèbres.

Encore une fois, je m'enferme dans les couleurs et mes mots, et je m'endors.

***

Je marche. Non, je cours ! Je n'ai pas marché depuis si longtemps. Coincée dans ce fauteuil, j'avais oublié la beauté de la marche. Les brins d'herbe frôlent mes pieds nus. Le champs s'étend sur l'horizon. Loin, plus loin que mon regard. Plus loin que mon avenir. Cette expression n'a jamais été aussi vraie.

Tais-toi. Profite. Profite de ces instants éphémères, de cette vie qu'on va t'enlever.

Je cours. De plus en plus vite. De plus en plus loin. Je m'élève. Mes pieds ne quittent la terre. Je monte toujours plus haut.
   Je danse avec les étoiles, j'embrasse la Lune. Le soleil est proche. Je peux presque le toucher.

Mais je tombe. Je chute. Je redescends vers la terre ferme. Pendant ma chute, je songe à ma famille. Est-ce qu'ils prendront des lys blancs ? J'aime beaucoup ces fleurs.

Toujours plus bas. Mes yeux se ferment.

Et je pars.

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