II - L'hôtesse de ce soir
Séraphine Berger était une vieille dame aux traits fatigués qu'elle essayait par tous les moyens de cacher. Aujourd'hui, c'était par du fond de teint.
Dès qu'il la voyait, son médecin lui rappelait l'importance de reprendre du poids car elle était très maigre. Elle ne supportait pas l'obésité (si pour elle, vous aviez des poignées d'amour, vous étiez considérés comme des personnes obèses, ce qui était à peu près le cas de tous les invités bien entendu).
Elle était également très rusée, toujours une idée en tête pour mettre le bazar et ce soir-là, elle avait prévu le coup du siècle.
La vieille femme aux oreilles très pendantes, aussi bien sens propre que figuré, entra dans le salon où sa famille adorée (?) l'attendait avec de faux sourires (sans compter Gaston qui aimait beaucoup son argent... pardon, son caractère et qui l'accueillit les bras grands ouverts dans sa propre maison).
- Oh vous êtes déjà arrivés, dit-elle d'un ton las.
- Bonjour mamie, se força à articuler Mathéo tandis qu'il donnait un coup de coude à Iris.
- B'soir, émit-elle rapidement, une expression du visage proche de la grimace.
- Ça y est Iris, tu as trouvée quelqu'un de bien ? la questionna la veille femme en jaugeant du regard Louis. Bon, ça peut encore passer.
- Merci beaucoup pour ce magnifique compliment, se moqua un peu le concerné. Vos rides vous vont à merveille.
Iris pouffa tandis que les autres invités retenaient une exclamation choquée. Gaston effectua alors des pas lourds vers Louis, sûrement pour le provoquer en voulant protéger sa "môman" mais le médecin planta ses yeux dans les siens et le fusilla du regard. Bien plus petit que le jeune homme, Gaston prit peur, puis partit dans le dos de Séraphine.
- P'tit con, marmonna leur hôtesse. Asseyez-vous donc, leur proposa-t-elle plus ou moins gentiment.
Elle passa devant Marguerite comme si de rien n'était, ne prenant pas en compte sa présence. Clarisse, la sœur cadette de Gaston et Diane, toussota bruyamment.
- Maman, tu n'as encore jamais rencontré Marguerite alors... Voilà. Je te présente Marguerite Berger, ma femme.
Clarisse redoutait la réaction de sa mère. Elle n'était pas homophobe mais appréciait les mauvaises blagues. Son aigreur naturel ne rassurait actuellement personne.
- Marguerite... Marguerite... ? répéta Séraphine, l'index sur le menton. Celle qui ne voulait pas de moi à son mariage ? En effet, je me souviens bien d'une Marguerite.
La concernée rougit de gêne et de honte. En vérité, elle n'avait jamais voulu blesser sa belle-mère mais elle avait déjà entendu énormément d'insultes homophobe dans son ancienne belle-famille et elle avait eu extrêmement peur de revivre ce calvaire. Clarisse avait attendu deux ans pour lui présenter Séraphine et Gaston. Elle se moquait souvent d'eux mais les craignait beaucoup. Gaston était le fils à maman, Séraphine une femme qui pouvait se montrer redoutable et très méchante.
- Excusez-moi, j'avais peur de me montrer à vous à l'époque, s'expliqua Marguerite avec peine. Je ne voulais pas vous blesser. Ce n'était vraiment pas mon but.
- Eh bien la prochaine fois, vous serez peut-être moins égoïste.
- Maman, c'est notre droit de nous marier sans notre famille, répliqua Clarisse les poings serrés sur les hanches. De toute façon, ça date d'il y a deux ans, on ne va pas refaire une cérémonie rien que pour toi. Donc, soit tu passes à autre chose, soit tu continues tes réflexions à la gomme et on se barre.
Séraphine bougonna, vexée. Elle s'adressa ensuite à son fils unique d'un ton très sec, comme pour faire passer ses nerfs :
- Gaston, bouge-toi un peu pour une fois et va chercher à boire.
L'homme se pressa alors à sortir et faillit se prendre les pieds dans le chat.
- Oh Minet, tu m'énerves !
L'animal feula tout en le suivant des yeux, le temps qu'il disparaisse dans une autre pièce.
Séraphine ne se gêna alors pas : elle s'assit en plein milieu du canapé, poussant Côme sur le côté qui y jouait avec une de ses peluches. Mathéo retint un juron.
- Calme-toi Mathéo... lui marmonna Inès avant de s'installer à côté de son enfant, ainsi que de la vieille femme.
- Alors Inès. Il est pour le quand deuxième ? demanda Séraphine en regardant son ventre pas spécialement rond.
- Je ne pense pas qu'il y en aura... commença à répondre l'institutrice.
- Ah j'ai cru.
Inès pinça ses lèvres tandis qu'Iris serrait les poings. Décidément Séraphine était une vraie acariâtre. Si elle prenait plaisir à faire du mal aux autres, Iris pensait pouvoir se le permettre aussi.
- En fait mamie, tu t'es occupée de ton testament ? Il serait temps de le faire, tu ne trouves pas ?
- Iris ! s'énerva Diane. Ne dis pas ça enfin !
- Elle a 86 ans, l'espérance de vie moyenne d'une femme est de 85,3 ans. Elle a déjà bien vécu, faut le dire.
- Petite peste ! s'égosilla Séraphine. Je ne t'ai jamais aimée de toute manière !
- C'est réciproque, lui assura Iris en haussant les épaules que Louis massait pour la détendre (pensait Mathéo) alors qu'en vérité c'était pour la motiver à entrer sur le ring et envoyer balader la grand-mère.
- Toujours aussi méchante et vicieuse ! Je n'aurais pas dû t'inviter, tu veux juste me faire pleurer !
- Iris,sorsdusalonletempsqu'ellesecalme, lui conseilla Philippe Martin, son père en la poussant un peu vers le couloir avec Louis.
- Ok ok, se laissa finalement faire la médecin, un soupir aux lèvres.
Minet les rejoignit en dehors du salon avec l'idée de se frotter aux jambes de Louis, sauf que ne l'ayant pas remarqué, l'homme faillit lui marcher dessus.
- Oh mais ! Il cherche à provoquer des accidents lui ou quoi ?
- Il en est peut-être devenu addict depuis la mort de papy.
- Comment ça ?
- Ah j't'ai pas dit comment il est mort ? s'étonna la jeune femme qui trouvait l'accident tellement stupide, même irréel, qu'elle ne pouvait s'empêcher de le raconter à tout le monde.
Iris expliqua alors à Louis comment son grand-père les avait quittés.
A l'époque André Berger avait quelques difficultés à monter les escaliers pour rejoindre la salle de jeu dans laquelle étaient entreposés des billards, un baby-foot, un bar et plusieurs longs canapés en cuir marron. Pourtant, c'était son petit paradis, donc il faisait l'effort de gravir une à une les marches. Quelques secondes avant son accident, il venait tout juste de quitter son paradis sur Terre et comptait rejoindre sa femme dans le salon afin de se servir une chope de bière. Sauf que tout ne se déroula pas comme prévu.
Minet, qui adorait se coller aux jambes de tout le monde, eut l'idée de le faire dans les escaliers. André marcha sur la queue du chat et glissa. Il était robuste. Il aurait pu s'en tirer avec deux ou trois fractures si le chat, par peur, ne lui avait pas donné un coup de griffe pile sur la carotide.
Son amour pour la bière ne l'avait pas sauvé, malheureusement.
Ainsi, morale de l'histoire : ne buvez pas.
- Waouh, c'est assez... terrible comme fin de vie.
- Bof, il aurait pu se noyer dans sa bière comme l'ancien voisin d'en face.
Louis se retint de rire.
- N'empêche, cette histoire de cambriolage est vraiment bizarre. Ils s'y sont pris à combien pour embarquer tous les meubles ? s'interrogea la jeune médecin.
Elle passa la tête dans la cuisine et vit que plusieurs tableaux et belles vaisselles avaient également disparu.
- Non mais c'est quoi ce délire ? Et l'autre imbécile d'oncle Gaston qui ne dit rien. Il bouge jamais de son canapé et il n'est pas foutu de nous dire ce qu'il s'est passé. Il s'moque vraiment du monde.
- Puis comme tu l'as dit, la maison est grande et tous les meubles semblent avoir disparu. Si c'était vraiment un cambriolage, comment ils auraient fait pour tout prendre ?
- Hé, les coupa Inès qui était revenue les chercher. L'apéro va commencer, on attend Gaston...
- JE SUIS DE RETOUR ! s'exclama l'oncle tout heureux en ramenant plusieurs pack de bières.
- Attends tonton, il n'y a que ça ? Même pas de champagne ? s'insurgea Iris. Les cambrioleurs ont aussi liquidé votre cave !?
- Quels cambrioleurs ? fit mine de ne pas comprendre Gaston en entrant dans le salon pour y déposer les boissons.
- Mais c'est quoi son problème à lui ? râla Iris. C'est pas un drame de dire : oui on a été cambriolé ! Alors d'accord ça peut-être douloureux mais on est de la famille ! Raaaaah ils m'énervent !
- Et tu sais quoi ? poursuivit Louis. Le pire c'est que tu vas être encore plus énervée quand on rentrera après le dîner, parce que tu vas devoir passer toute la soirée ici avec ta grand-mère chérie et l'oncle Gaston.
- Sympa le cadeau de Noël. Franchement merci.
- En fait... s'introduit Inès dans le dialogue. Je vous ai entendu tout à l'heure.. Je trouve aussi cette histoire de cambriolage bizarre...
Minet miaula. Il voulait des caresses mais comme il n'en recevait pas, il partit vers le salon pour sauter sur les jambes de Séraphine.
- Dis Inès, marmonna Iris, faudrait farfouiller un peu partout pour trouver des infos.
- Mais si on nous remarque, ils vont se poser des questions...
- C'est pour ça que Louis va les distraire.
- Hé oh, je ne vais pas non plus leur faire un spectacle hein.
- Tu m'as amenée ici, t'assumes.
- Tu saoules.
- Je sais, répondit Iris avec un grand sourire taquin.
*****
L'apéritif se déroula assez... bien. Ce n'était pas terrible mais pas génial non plus. Depuis une petite dizaine de minutes, Inès et Iris se regardaient dans le blanc des yeux, comme pour se donner le signal du début de leur petite enquête.
Mathéo buvait sa bière, les yeux dans le vide. Louis cherchait le meilleur moyen de détourner l'attention de ses futurs spectateurs. Marguerite et Clarisse discutaient avec Philippe des magnifiques robes qu'elles avaient porté pour leur mariage. Enfin, Diane et Côme discutaient avec Gaston de l'école.
Seule, Séraphine critiquait chaque invité dans sa tête, comme s'ils étaient des intrus. Ah, ils allaient en baver ce soir avec la nouvelle qu'elle allait leur annoncer au dessert. Elle le sentait à plein nez, cette soirée serait la meilleure de toute sa vie rien que pour ça. Elle avait hâte de voir leurs visages se décomposer. Elle était tellement pressée qu'attendre plus longtemps lui paraissait insoutenable. Ainsi, elle permit à ses invités de passer à table. De toute manière, elle n'avait rien prévu de grandiose pour ce dîner. A la limite, elle aurait juste pu les réunir pour leur faire part de son coup bas au lieu de les convier à un repas.
Tant pis, c'était trop tard.
- J'apporte l'entrée Môman ? lui proposa Gaston, rouge à cause de chaleur que lui procurait les bières avalées.
- Pour manger, ça serait plus facile effectivement.
Pendant que Séraphine se moquait délibérément de son fils aîné, Iris s'approcha d'Inès en toute discrétion.
- Hé, on fait comme si on n'aimait pas l'entrée et on se barre dans la maison pour faire les recherches.
- On ne va quand même pas sortir de table comme ça, c'est malpoli...
- C'est des betteraves, j'ai vu le plat sur le plan de travail quand j'ai regardé dans la cuisine.
- Mais j'aime bien les betteraves moi... marmonna Inès entre ses dents.
- Maman, c'est quoi en entrée ? fit Côme, un tantinet réticent à manger des légumes à la vinaigrette, il préférait les desserts.
- Des betteraves mon chéri.
- Comment tu sais ça, Inès ? la questionna tout de suite Séraphine avec méfiance.
- Euh... Je... A l'odeur. Je l'ai compris à l'odeur. Vous ne trouvez pas que ça sent les betteraves là ?
Si Séraphine apprenait que des gens fouinaient dans ses affaires ou ne jetaient qu'un simple coup d'œil dans les pièces sans autorisation de passage, c'était fichu pour le reste de l'enquête. En plus d'être méchante, elle était extrêmement méfiante. Si un objet avait le malheur d'être déplacé, elle était capable d'accuser tout le monde à tort et à travers.
Iris envoya alors un regard sans-gêne à Louis qui trouva au dernier moment un moyen de détourner l'attention de tout le monde. Les deux filles auraient assez de temps pour faire leurs recherches.
- Oh si vous saviez le cas que j'ai eu récemment à l'hôpital !
Iris savait que c'était le genre de conversation - monologue - qui pouvait durer. Elles signalèrent rapidement leur départ puis se dirigèrent vers les escaliers.
- Mais attends Iris, tu veux aller où exactement ?
- Je ne sais pas, une pièce qu'elle nous interdit toujours d'ouvrir ?
Minet vint se coller aux jambes d'Inès qui le prit directement dans ses bras :
- Oh p'tit bout de chou, tu veux nous aider ?
- On dirait qu'tu parles à Côme... Fais gaffe hein, il pourrait être jaloux. Surtout avec le deuxième qui va bientôt arriver... dit Iris pour rigoler en faisant référence à la remarque de Séraphine.
- Si elle veut tant que ça des enfants, qu'elle en refasse elle-même.
- Pourquoi ta répartie débarque seulement une demi-heure après ?
- Parce que sa remarque m'a vraiment blessée... Elle a vraiment un problème avec le poids hein. En plus je me sens bien, moi, dans mon corps... Et puis je suis svelte d'abord...
- Bah tu sais quoi ? Quand on aura compris ce qu'elle mijote, tu lui diras tout ça.
- Oui. Pour l'instant, découvrons ce qu'elle nous cache avec l'oncle Gaston...
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