Chapitre 3
Un violent coup de vent vient ouvrir brutalement la fenêtre du salon et réveiller ses occupants.
Les deux garçons se redressent d'un seul coup. Elrick hurle le nom de son subordonné. Le vent glacial s'engouffre dans la maison et celui-ci ne venant pas, le jeune homme se lève lui-même pour refermer la fenêtre. Il constate que la tempête a pris en puissance en quelques heures. Voyant que celui-ci peine à fermer la vitre, Zach vient lui apporter son aide.
- Bordel !! Friedrich !!
- Oui !! Lieutenant ! Pardonnez-moi, je n'étais...
- Pas là ! Sans déconner ! C'est le juif qui est venu m'aider ! Tu trouves ça normal ?! Ou étais-tu ??
- Je...
- Et le feu qui s'est éteint !!
- Je vais chercher de quoi l'allumer.
Kaufmann se laisse tomber sur le canapé puis se frotte l'arête du nez. Zach se plante devant lui.
- Je peux le rallumer.
- Hm, quoi ?
- Le feu. Je sais l'allumer. Et puis, le bois est dans ce coin, dit-il en désignant l'endroit opposé vers lequel est allé le nazi.
- Tss, pouffe-t-il, blasé. Des bons à rien. Je suis entouré de génies. Vas-y !
Tandis que Zach s'affaire à rallumer les flammes, le SS lève un sourcil réprobateur.
- Et... juif !
Zach lève les yeux vers lui.
- Quand est-ce que tu crois pouvoir commencer à respecter mon autorité ?! Bordel ! Tu m'as vraiment pris pour ton pote je crois !
Le jeune homme réalise qu'il s'est encore une fois adressé tout naturellement au SS sans suivre les consignes.
- N-non, Herr Kaufmann.
Kaufmann dévisage ce juif inconscient à l'air si innocent. Malgré le froid qui lui parcourt encore l'échine et son humeur irritable, il esquisse un sourire invisible. Ses stupides erreurs arrivent encore à l'amuser. Ses propres réactions exceptionnellement calmes face à ce jeune juif le rendent de plus en plus perplexe et attisent davantage encore sa curiosité à son égard. Tous les juifs qu'il a rencontrés jusque-là avaient les mêmes réactions. Ils le suppliaient, étaient terrorisés ou avaient abandonné tout espoir. Certains ont déjà tenté de le convaincre par de multiples argumentations. Ceux-ci sont ceux avec qui Kaufmann s'est amusé le plus et qui ont le plus souffert. Sachant pertinemment qu'ils sont destinés à disparaître, ils tentent de manipuler son esprit sournoisement pour survivre. Kaufmann ne supporte pas de tomber sur ces juifs perfides, convaincus d'avoir une chance d'échapper à leur extinction. C'est eux qui expérimentent tout son génie créatif en matière de violence après avoir osé croire qu'ils pourraient changer sa façon de penser. Son sauveur, le Führer, est le seul à posséder ce droit.
Mais aujourd'hui, ce jeune juif, roux en plus de ça, est réellement une curiosité de la nature qui ne réagit absolument pas de manière normale envers lui et fait naître en lui de nouvelles sensations. Et le jeune nazi, malgré son obstination aveugle, est encore dans un âge où les choses nouvelles l'attirent. Surtout lorsqu'elles réussissent à le divertir en ces temps difficiles de confinement. Il a l'habitude de vivre dans la luxueuse villa de son mentor, Alfons Göring ; ne pas avoir son confort le rend toujours très irritable.
- Herr Kaufmann, dit le SS, pour le feu, je ne trouve pas...
- Pas la peine, répond Kaufmann en désignant Zach. Le juif l'a fait à ta place.
- Oh...
- Je devrais peut-être lui donner ta place, mon très cher Friedrich. Il ne me coûterait rien et serait plus débrouillard que toi. Qu'en dis-tu ?
Kaufmann lève les sourcils vers son homme avec un sourire moqueur.
- Aller, aller, vas. Je suis de bonne humeur malgré cette maudite...
Son sourire s'estompe alors qu'il allait prononcer son dernier mot. Parler de la neige le replonge déjà dans la mélodie du piano.
Zach regarde le nazi. Il repense à ce moment, lorsqu'il jouait, et qu'il s'est retourné sur lui alors qu'il regardait tristement dehors. Il se doute qu'il lui est arrivé quelque chose de probablement grave un jour de neige.
- Que fais-tu planté là ? dit le SS à Zach.
- Je...
- Assieds-toi, dit-il en désignant un tabouret près du feu.
Le roux s'exécute, heureux d'avoir le droit de profiter de la chaleur réconfortante. Il ne peut retenir un petit sourire enfantin tout en frissonnant.
Kaufmann le remarque et arque un sourcil.
- Tu souris où je rêve ?!
- Je... non ! Je...
- Et tu oses me contredire, maintenant ??
- Je... mais... bégaye Zach avant de se pincer les lèvres.
Le nazi marque une pause puis éclate de rire.
- Ah ! Que ta naïveté est amusante, juif.
Comprenant que Herr Kaufmann se moquait juste de lui, Zach se détend. Il n'avait jamais eu de nazis en face de lui avant aujourd'hui. Et aujourd'hui, il a du mal à s'imaginer ce jeune homme qui rigole comme un gosse, être l'horrible personnage que sa mère lui a décrit. A ce si jeune âge, comment peut-on déjà être devenu un monstre de haine ayant déjà tué tant d'innocents, quand lui sort tout juste d'une adolescence paisible et calme ?
- Je m'ennuie. Parle-moi, juif.
- Euh... Ok, à propos de quoi ?
- Parle-moi de toi pour voir, dit-il paresseusement. Qui étais-tu ? Que faisais-tu ?
- Je... j'aimais jouer du piano, chanter, mon meilleur ami... Plus tard, je voudrais...
Zach s'arrête, amer, puis se corrige.
- ... Je voulais être avocat, comme mon père.
- Avocat ? Tiens donc. Pour prendre la défense de ton peuple ! dit-il avec mépris.
- Non.
Kaufmann lève un sourcil étonné.
- Pour défendre tous les êtres humains qui souffrent à un moment de leur vie, quels qu'ils soient.
Le nazi le fixe d'un air froid et méfiant.
- Tss ! Défendre des êtres qui n'ont pas tous la même valeur ! Tu es bien un juif, c'est ridicule.
- Herr Kaufmann, notre sang à tous a la même couleur et nous partageons les mêmes sentiments...
- Ah ! Bah voyons ! Je ne vois pas ce que j'aurais en commun avec un juif, lance-t-il, moqueur.
- Peut-être... l'amour de la musique...
L'expression de Kaufmann change immédiatement. Il se lève brusquement, l'air menaçant. Il pose un regard haineux sur ce garçon qui appuie délibérément sur la faiblesse qu'il a découverte sur lui, tel un juif sournois qu'il est. Mais en retour, Zach ne lui renvoie qu'un regard doux et bienveillant, presque compréhensif.
- Je sais que mes paroles ne sont rien à tes yeux. Mais nous savons tous les deux qu'il y a plus fort que les mots...
Il lui sourit tristement et paisiblement, sans une once de peur ou d'animosité. La haine du SS s'estompe malgré lui. Il regarde cet être étrange comme s'il était un mystère incompréhensible ; une chose bien plus complexe que tous les sentiments qu'il a pu connaître jusque-là. Aujourd'hui, il est face à tant de sentiments et d'émotions qui vont à l'encontre de tout ce qu'il a toujours été. Et malgré la haine qu'il démontre à son peuple et la peur qu'il fait naître chez tous ceux qu'il croise, ce juif insoumis arrive à lui sourire et à lui montrer de la douceur. Pour la première fois dans sa vie et malgré une troupe d'hommes et d'armes à sa portée, le jeune SS se sent désarmé. Comme s'il existait d'autres armes qui lui sont inconnues et dont se sert maintenant ce juif contre lui. Une arme invisible venant d'un autre monde que le sien. Si ce juif-là en particulier n'est pas inférieur, alors qu'est-il réellement ? Il semble apercevoir dans ses deux émeraudes brillantes, les couleurs d'un autre univers. Un univers agréable et confortable qui lui est totalement étranger. Et si lui aussi avait goûté à ces couleurs, à cet univers, que serait-il devenu aujourd'hui ? Peut-être que ces choses délicates ne sont simplement pas destinées aux êtres supérieurs et aux guerriers comme lui ?
Kaufmann se rassoit lentement et fixe les flammes dansant voluptueusement devant lui.
Lui qui n'a jamais douté de rien, il est maintenant, rempli de doutes. Il appréhende même de demander au juif de rejouer du piano, terrifié à l'idée d'être de nouveau débordé par les supplications de son âme meurtrie. Et de faire ressurgir devant ses yeux davantage de souvenirs de la seule personne qui l'aura réellement aimé dans ce monde.
- Quel âge as-tu, demande le SS.
- 20 ans.
- Hm.
- Et toi ?
Herr Kaufmann est le seul des deux à remarquer une nouvelle fois les familiarités sortant tout naturellement de la bouche du juif qui le regarde naïvement comme s'il parlait à son égal. Il est réellement stupéfait. Même lorsqu'il était dans les jeunesses hitlériennes, jamais les autres garçons ne lui adressaient la parole. Il restait toujours seul, craint ou simplement victime de l'hypocrisie des autres envers lui pour son lien direct avec le Führer. Et c'est ce juif censé être à ses pieds et terrorisé, qui s'intéresse à lui et lui parle comme à un autre adolescent.
- 20 ans aussi.
- Je m'en doutais.
- Hm ? Comment ça ?
- Eh bien, j'sais pas, tu n'as pas la tête d'un vieil homme de 40 ans...
Kaufmann reste muet quelques instants puis éclate de rire, et Zach le rejoint de bon cœur.
- Bien, soupire-t-il. Je vais voir ce que font mes crétins d'hommes.
Il marque une pause à l'encolure de la porte.
- Va rejoindre ta mère.
- ... V-vraiment ?
- Mais sois là dans la seconde ou je t'appellerai.
- Oui ! Oui, Herr Kaufmann, dit-il en se hâtant joyeusement vers la chambre.
- Profite, profite encore tant que tu le peux, juif, murmure-t-il. Bientôt, tu entreras dans mon monde...
- Herr Kaufmann !
- Ah, Hans, quelle nouvelle ?
- Nous avons des soldats qui demandent à se mettre à l'abri ici, les vents ont soulevé le toit de leur bâtiment.
- Les soldats qui tiennent la ville ?
- Oui, Herr Kaufmann.
- Hm. Combien sont-ils ?
- Une dizaine à peine.
- Ils iront occuper les deux autres foyers et l'appartement qui reste inoccupé.
- D'ailleurs, combien y a-t-il de chambres et de lits exactement ici ?
- Il y a 3 chambres dont un bureau avec un couchage.
- Hm. Je resterai dans le salon. Gardez les chambres pour Frank et toi.
- Vous ne souhaitez pas un lit ?
- Je suis bien mieux dans une pièce à moi seul près d'une cheminée. Le salon me sera réservé à tout moment. Dois-je te donner d'autres arguments ou cela te suffit-il, très cher ?
Hans Gräbe hoche la tête et recule.
- Dites à la juive de préparer le repas, grommèle-t-il en regardant sa montre. Nom de Dieu, quand cette tempête va-t-elle se calmer... Il me tarde d'arriver enfin chez Alfons.
Kaufmann part dans le salon chercher la bouteille de scotch qu'il avait vu quelques heures plus tôt.
- Bon sang, où est cette foutue bouteille !?
Il est interpellé par des bruits de bris de verre dans la cuisine et des voix qui s'élèvent.
- Tu peux pas regarder ou tu vas, non, sale juive !?
- Pardon, pardon ! Je vous prie de m'excuser !
- Regarde ça !! Putain, j'en ai partout !
Kaufmann observe la scène avec un air amusé en croquant dans un morceau de pain. Ulrich, un grand blond narcissique, retire son t-shirt marron tâché maladroitement par Rachel qui ne l'avait pas vu derrière elle.
Il l'attrape violemment par le bras et lui assène une énorme baffe qui la projette à terre. Ces manières exagérées pour des choses aussi superficielles ennuient Elrick qui tourne les talons en baillant. De toute façon, tant que cela ne le concerne pas lui ou ses affaires, il s'en moque.
- Touchez-pas à ma mère !! hurle Zach en s'interposant entre elle et le nazi.
- Comment oses-tu, toi ! Espèce de petite merde !
Entendant un deuxième et violent bruit de claque, le jeune nazi se retourne et ses yeux s'exorbitent.
- Ulrich !!
Devant l'absence de réaction de son subordonné qui continue de frapper le juif après son ordre, Herr Kaufmann se plante devant lui et sort son révolver.
- ULRICH ! Je ne le répèterai pas !
- Mais Herr Kaufmann ! Il m'a...
- Ulrich Van Houten !! Tu contestes un de mes ordres ?!!
Un silence de plomb s'installe après les hurlements du jeune lieutenant qui résonnent dans la pièce. Le soldat se relève sans oser affronter son supérieur du regard. Ce dernier s'approche de lui, piqué au vif.
- Si tu n'étais pas uns de mes meilleurs hommes, je t'aurais collé une balle dans le pied pour ça. Ici, on respecte mon AUTORITE !!
La voix de Herr Kaufmann semble remplir tout l'immeuble. Plus personne n'ose respirer. Malgré la douleur lancinante dans son bras, Zach reste aux pieds du jeune nazi sans broncher, la tête basse.
- Le prochain qui répondra sera foutu dehors. Ça m'économisera des balles, dit-il en rangeant son arme. Maintenant, juive, prépare le repas. Et vite ! Et toi...
Elrick regarde le jeune juif de haut d'un air accusateur. Il sait que son instinct protecteur envers les siens et sa témérité lui causeront bientôt bien des malheurs et des souffrances. Si ce n'est une mort prématurée.
- Nettoie ce bordel, dit-il à Zach en désignant les traces de sang au sol et les bris de verre.
- O-oui, Herr Kaufmann.
- Bien, ça rentre. Et vous, écoutez-moi bien. Tant que nous serons ici, interdiction d'abîmer ce juif. Il doit être en état de jouer du piano pour moi. Alors à moins que vous ne vouliez que je me distraie sur l'un d'entre vous, vous n'y touchez plus. Est-ce que c'est compris ?!
Les soldats répondent tous en cœur par l'affirmative.
- Vous me donnez tous mal au crâne... grogne-t-il en se frottant le front.
Le repas se passe dans le calme, Rachel restant dans la cuisine disponible aux ordres des SS.
- Aller, sortez tous maintenant ! J'aurai bien besoin d'un verre.
Alors que Rachel débarrasse la table et que les hommes sortent de la pièce la clope au bec, Kaufmann part se servir un scotch dans le salon.
- Juif ! Viens ici, braille-t-il en se laissant lourdement tomber sur le fauteuil.
Mais aucun signe de Zach au bout de plusieurs appels. Kaufmann commence déjà à regretter d'avoir pris sa défense et arpente l'appartement en maugréant.
Il tape dans la porte de la salle de bain qui s'ouvre brutalement.
- Qu'est-ce que... !
Il se stoppe net et trouve le jeune roux à moitié écroulé contre la baignoire, baignant dans une mare de sang. Kaufmann ramasse un morceau de verre ensanglanté au sol.
- Bordel, qu'est-ce que t'as foutu, juif ?!
- J'avais... j'ai retiré un bout de verre... il était là, dit-il en désignant la plaie ouverte sur son avant-bras qu'il recouvre avec sa main.
Le nazi comprend que le juif s'est planté accidentellement un morceau de verre lorsqu'Ulrich l'a projeté au sol. Il s'accroupi à la hauteur de Zach.
- Et depuis tout à l'heure tu es là à te vider de ton sang ?!
- Que voulais-tu que je fasse ?
- Bon sang, mais pas rester comme ça sans rien faire, abruti !
- Tu voulais que je demande l'aide de l'un de tes hommes qui m'apprécient maintenant encore plus qu'avant ? Ou de ma mère occupée à vous servir ?
- ... Moi ! Moi je serai venu, idiot de juif !
- Toi ? Tu aurais aidé un juif ? Devant tes hommes ?
- Ce n'est pas ce que j'ai fait tout à l'heure ?!
- Si, mais pas deux fois de suite, pas juste pour une histoire de piano, Herr Kaufmann... Nous le savons tous les deux...
Le jeune chef reste muet. Ce juif était prêt à se vider de son sang pour ne pas appeler à l'aide.
- Tu es vraiment... un juif très stupide !!
Zach esquisse un sourire alors que Kaufmann fronce les sourcils.
Le nazi se lève et quitte la salle de bain.
- Juive !!
- Oui, Herr Kaufmann, répond la mère en accourant.
Elrick s'approche d'elle et parle doucement.
- Prenez-ça et allez dans la salle de bain, tout de suite, dit-il en lui donnant un bandage et de l'alcool.
- Je... je ne comprends pas, Herr Kaufmann...
- J'ai dit dépêchez-vous.
La mère obéit et se rend immédiatement dans la salle de bain.
Kaufmann entend ses cris lorsqu'elle découvre son fils. Il reste assis dans la cuisine sur une chaise donnant sur la salle de bain, puis attend, jetant quelques regards impatients sur la porte close.
Les minutes passent en silence. Kaufmann pose son revolver sur la table et glisse ses doigts dessus, tel que le faisait le roux en effleurant son piano gracieusement. « Chacun son arme, Levinsky... » pense-t-il.
La porte blanche s'ouvre enfin sur Rachel et son fils. Elrick lâche un faible soupir. Il est sûr de lui maintenant. Il veut que le juif rejoue pour lui. Il veut connaître la suite de son histoire et revoir sa mère. Ressentir ces choses qui attendent en lui de ressurgir et vivre ces émotions qu'il ne connaît pas. Ce piano est la porte vers la seule personne sur cette terre pour qui il a compté et ce juif en est la clef. Il doit savoir avant de repartir de cet endroit, après, il sera trop tard.
- Herr Kaufmann, dit Rachel larmoyante, je ne sais pas comment vous remercier.
Il grogne et lève les yeux au ciel.
- Ne vous faites pas de fausses idées. J'ai juste besoin de lui pour l'instant.
Elle s'agenouille à ses pieds.
- Peu importe les raisons, chuchote-elle, vous avez sauvé mon tout petit. Et pour ça, malgré ce que nous sommes vous et moi, je vous en serai toujours reconnaissante.
Herr Kaufmann se sent mal à l'aise. Il pose ses yeux sur ce petit bout de femme juive qu'il laissait se faire frapper il y a moins d'une heure et qui est malgré tout en train de le voir comme un sauveur. Cette sensation lui procure un frisson étrange et il repart froidement dans le salon.
Il attrape son verre et l'avale d'une traite.
- Herr Kaufmann...
- Hm.
Le nazi voit Zach avancer vers lui, son revolver à la main. Il reste immobile, la mâchoire serrée, prêt à réagir au moindre mouvement.
Le rouquin s'approche et lui tend l'arme.
- Merci. Merci de m'avoir aidé, deux fois.
Kaufmann regarde cette main juive qui lui rend son arme au lieu de s'en servir contre lui. Cet acte le choque au plus haut point. Il frôle délicatement ses doigts et récupère lentement son revolver.
- ... Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi ne pas en avoir profité, dit-il en désignant le pistolet.
- Parce que je n'ai pas été éduqué ainsi. Et que tu es intervenu pour moi par deux fois.
Toujours choqué, Elrick le dévisage longuement.
- Alors, chez toi, il n'y a jamais eu de violence ?
- Non.
- Et tu n'as jamais utilisé la violence ?
- Non. Enfin, hormis avec ce con de Léopold au collège mais c'était une tête de nœud il l'avait cherché, ricane-t-il.
Mais le nazi ne sourit pas et prend tout cela très au sérieux.
- En 20 ans, même ces derniers temps quand je me suis fait agresser et battre pour ma foi par d'autres élèves, je n'ai jamais répondu par la violence. Car ce n'est pas ce en quoi je crois.
Kaufmann l'observe attentivement, absorbé par ces paroles qui n'ont aucun sens pour lui mais qui pourtant, correspondent bel et bien à un acte de bonté ayant épargné sa vie. Ne pas agir contre l'ennemi qui vous conduit à la mort est un acte complètement inconsidéré et qui n'a aucune logique pour le SS. Un acte digne d'un enfant stupide.
- J'ai eu une vie bien différente de la tienne, Herr Kaufmann. Tellement différente. A des milliers de lieues sûrement. Et je suis certain que ton passé est de loin pire que le mien.
- Que sais-tu de moi, toi, répond-il sèchement. Rien.
Zach plonge ses prunelles vertes dans les siennes.
- C'est sûr, je ne sais rien. Mais je sais que peut-être, dans une autre vie, dans un autre monde, nous aurions pu être... autre chose.
Kaufmann fixe le juif avec stupeur.
- Peu importe ce qui arrivera lorsque nous serons loin d'ici. Aujourd'hui, j'ai eu la preuve que toi, Herr Kaufmann, tu avais du bon en toi.
Le jeune SS sent son cœur heurté de nouveau par un sentiment douloureux. Il est pris d'une envie folle de gifler ce juif sans savoir pourquoi. Cette douleur chaude dans sa poitrine lui donne l'impression d'être malade. Vulnérable à quelque chose d'inconnu dont il doit se méfier. Il se retient de ne rien laisser paraître et serre les dents.
- Je... j'ai dit que c'était juste parce que j'avais besoin de toi au piano ! Arrêtez vos illusions pitoyables, bande de juifs inconscients, dit-il avec une moue condescendante.
Le juif lui sourit doucement, comme lisant dans les pensées que le SS se cache à lui-même. Zach retourne avec sa mère, tandis que Herr Kaufmann reste seul devant la vitre, une nouvelle fois bouleversé dans ses pensées.
***
« [...] leur représentation du Juif c'était quelqu'un de repoussant, de pitoyable. Et c'est ce qui s'est produit un jour avec ma mère qui était venue me chercher à l'école. Ils m'ont demandé
le lendemain matin quand je suis retourné à l'école : « C'était qui la sale Juive qui est venue te chercher hier ? » J'ai répondu : « C'est ma mère. » « Mon Dieu, ils se sont exclamés, tu devrais avoir honte d'avoir une mère comme ça. » [...] j'ai dit à ma mère : « S'il te plaît, ne viens plus me chercher parce que les garçons me font des ennuis », et je lui ai raconté ce qu'ils avaient fait. [...] Elle s'est sentie terriblement offensée et a éclaté en sanglots. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top