XXVII

Vous souvenez-vous de la fin des guerres de Vendée ? La guérilla s'éternisait et les bandes étaient traquées, sans pouvoir et haletantes. Il s'agissait de survie à l'état pur où seuls les fidèles poursuivaient les combats.

Une première étape d'abord où sous les pas des colonnes infernales, l'arme terrible de la Révolution, les villages brûlaient et le sang coulait à flot. Hélas ! Qu'était devenu ce carnet au milieu de tant d'horreurs ? Le mal qui l'entourait aurait été minime face au spectacle de terreur que représentait cette terre de Vendée. Et ces "ennemis de la République", ces paysans perdus dans la tourmente révolutionnaire qui s'étaient soulevés pour défendre leurs valeurs, agonisaient désormais dans une marre enflammée et ensanglantée. Leurs maisons brûlaient. Leurs familles avec. Et les femmes souillées restaient étendues sur le pavé.

Mais après tant d'ignominie, les massacres s'étaient estompés. Quelques chefs avaient été capturés et fusillés et on traquait maintenant les derniers porteurs des valeurs vendéennes de 1793.

Charette était en vie, survivant couragement malgré la traque ardue. Son armée s'était lamentablement disloquée et ne restaient que les fidèles. Beaucoup, nombreux étaient partis, l'abandonnant. Leurs raisons étaient justes : la famille, il faut la nourrir. Il ne manquait que l'idéal.

Nicolas avait encore une fois retourné sa veste, mais cette fois-ci il s'était évanoui dans la nature, gardant pour lui la part de mystère qui nous le rend encore trop grandement inconnu. Pourquoi ces revirements ? Pourquoi ce tempérament si vif et sensible ? C'étaient autant de secrets qu'il ne révélerait jamais.

Mais le plus marquant avait été le départ de Grégoire et de son père pour Paris. L'enfant avait trépigné pour quitter la province et accomplir ses premiers rêves. Et il s'était enfui vers les faubourgs parisiens, le cœur plein de désirs inassouvis.

Ses petits yeux encore naïfs observaient avidement le faste de Paris. Les musiques des accordéons, les dames en jolie robe et les messieurs en chapeau haut-de-forme et nœud papillon.

Grégoire caressa son violon. Grégoire souffla quelques notes. Il avait le cœur prêt à conquérir la capitale. Et l'Opéra Garnier... Déjà son âme d'artiste frémissait d'ambition tandis que ses deux yeux rêveurs pétillaient.

- Dis-moi papa, dis-moi que c'est fini l'inquiétude, les coups, la route et l'alcool ? Dis-moi que je vais être un petit garçon heureux ?

Petit garçon heureux... C'était hélas terminé, car Paris signifiait également les désillusions, grandir trop vite et la fange des faubourgs. Le talentueux petit garçon devait faire ses preuves sur le plancher des orchestres et rapidement croître en estime, mais au prix de quels épreuves... L'âme des plus grands artistes est hélas trop souvent tourmentée, et c'est de ces tourments que naissent certains des plus beaux chefs d'oeuvres.

Tourmenté, Jo l'était aussi. Il restait seul fidèle à Charette. Qui aurait pu croire que cette altercation dans l'auberge d'un pauvre village un matin venteux aurait conduit à cette étrange amitié ?

Mais l'heure en ces bois vendéens n'était plus aux mélancolies. C'était la traque de l'immense armée bleue incendiaire sur le petit officier de marine et ses quelques compagnons. Terminée la gloire de 1793 et 1794. Terminés les espoirs d'un nouveau royaume. Terminée l'espérance de vivre. Pourquoi fuyait-on alors ? Peut-être restait-il malgré tout un sursaut d'envie de résister. Il fallait mettre ses dernières forces au service de la cause vendéenne.

- Et si j'arrêtais de combattre, pourrais-je simplement garder quelque estime de moi-même ? Se murmurait le général exténué.

Il avait trouvé cette cause supérieure et s'y était donné. Pouvait-il continuer de vivre en ayant abandonné et perdu cette guerre ?

- Non, j'aurais honte de moi et ma vie perdrait tout son prix. Ce n'est pas le droit chemin.

Alors, il fallait se cacher dans les bois. Il fallait sursauter lorsqu'un coup de feu trop près témoignait d'une présence adverse. Il fallait survivre en dormant au milieu des fougères et en ne se nourrissant que du peu qu'on trouvait. Les blessures sèchaient. Les hommes erraient.

Et il fallait pleurer lorsque la troupe passait dans les rues noires de cendre d'un misérable hameau, les familles pendues nues sur des poutres incandescentes.

Joseph voulait vivre encore de cet idéal. Il voulait encore profiter de l'amitié nouvelle de ses compagnons, et oublier Grégoire.

- Charette ! Les bleus !

Tous allèrent se jeter à couvert mais la troupe de soldats les avait apperçus et voulut leur tirer dessus.

- Il faut vendre chèrement nos vies, s'écria l'officier de la marine en dégainant son épée et en sautant sur le premier homme.

La poudre vint rapidement entourer le combat. Les cris et le sang coulaient.

Charette fut soudainement blessé. Il s'effondra à terre en retenant ses cris. Jo voulut se précipiter mais un de ses camarades fut plus rapide et se saisit du panache :

- Je vais les attirer dans une autre direction.

Alors Charette s'appuya sur Joseph et tenta de se relever. Un coup de feu retentit : le vendéen qui s'était saisi du chapeau venait de mourir. Et le piège avait fonctionné mais il serait inutile.

- Halte-là !

Charette fut contraint de lever les mains en l'air. C'est la fin d'un mythe. Tout est mort.

Nantes, place Graslin, quelques temps plus tard. Roulement de tambour. Un homme était dans la foule, grand, épais, tête nue.

Et le visage ravagé de larmes.

Le prisonnier fut apporté. Il se tenait droit. Ses compagnons étaient présents dans la foule aussi. Ils frémissaient. Joseph pleurait.

La foule se taisait, respectueuse. Parfois un cri. Parfois, seulement.

Et les yeux de Charette se promenaient une dernière fois sur le monde. Il se tenait droit. Il impressionnait par son maintien altier et ses cicatrices de guerre.

- Il est d'un autre monde, disait un bourgeois.

Charette se mit dos au mur. Les militaires en arc de cercle ajustèrent leur arme. Un dernier regard. Un léger sourire.

Les balles partirent. Le héros vendéen fut touché en plein cœur mais il prit garde à ne point s'écrouler d'un seul coup. Non, lentement, solennellement, il glissa à genoux sur les pavés... Et pencha la tête vers le sol.

Charette était mort.

Joseph Audence était seul.

Quand la nuit vint sur la ville de Nantes, le géant pleurait encore sur les pavés.

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