XXI

- Qui es-tu ?

- Vous êtes Charette ?

- Que viens-tu faire ici ?

- Que faisiez-vous dans l'auberge, ce jour-là ?

- Es-tu pour le roi ? Viens-tu te battre pour Dieu ?

- Je crois que vous êtes un personnage méprisant, un noble hautain. Pourquoi cela ne m'étonne-t-il pas ?

- J'avais vu juste... Tu es républicain.

- Je suis venu pour me battre à vos côtés ! Cria Jo à pleins poumons.

Le jeune officier resta quelques instants interdits et fixa le paysan d'un œil suspicieux, en l'observant de haut en bas. Il eut un moment d'hésitation et finit par demander :

- C'est... C'est vrai ?

- C'est tout ce que vous trouvez à dire ?

- J'ai quelques questions alors...

- Vous faites subir le même interrogatoire à tous ?

- Ne m'interrompez pas ! Scanda Charette en détachant chaque syllabe d'un ton sec.

Il reprit son souffle dans un silence tendu où les deux hommes s'observaient en chien de faïence.

- Bois-tu encore ?

- Qu'est-ce que cela vous fait ?

- Bois-tu encore ? Je t'ai posé une question, c'est pour que tu y répondes.

Jo baissa la tête et fixa le sol en jouant nerveusement avec ses doigts. Mais Charette saisit son menton pour le redresser et pour que leur regard se croise yeux dans les yeux.

- Si tu viens ici, c'est pour m'accepter comme chef. Les fortes têtes n'ont pas leur place. Est-ce clair ?

- Oui, je bois encore. Mais j'essaie d'arrêter. Je ne bois presque plus.

Le lieutenant général eut l'air surpris et demanda honnêtement :

- Pourquoi ?

- Grégoire, mon neveu, celui qui chante. Je... Bref, c'est mes histoires.

- Il chante bien.

- Je sais, répliqua Jo ému.

- Une autre question... Après je te laisse. Pourquoi viens-tu te battre ?

- Pour Dieu. Pour mon pays que je ne comprends plus. Je voudrais qu'il retrouve ses repères d'antan.

- Et que sais-tu faire ?

Jo coula un long regard un peu déçu vers son chef avant de répondre :

- Donnez-moi une épée. Donnez-moi un homme. Demandez-moi du courage. Je suivrai.

Charette recula d'un pas, sous le coup de la surprise. S'il s'était attendu à ces paroles graves ! Il hocha la tête avec une forme de respect avant de révéler à son tour :

- Tu as été honnête, à mon tour. Il y a plus d'un an, j'ai choisi de rejoindre les nobles émigrés à l'est de la France. Je croyais pouvoir être utile et servir une cause. Mais il n'en était rien. La cour ainsi déportée à l'étranger passait son temps en futilité. Je suis rentré. Mais... En passant par Paris, j'ai pu assisté à l'emprisonnement du roi. J'ai tenté de me battre, en vain. Alors, je suis rentré, en m'arrêtant dans cet auberge, tout remué encore par les événements du 10 août, où je t'ai croisé.

- Notre relation a mal débuté.

- Je crois, oui. Mais rien n'est terminé. Tu es un étrange bonhomme, qu'il me plairait de découvrir plus. Demain, nous partons pour Noirmoutier. Es-tu prêt à te battre ? Es-tu prêt à mourir ?

Un seul regard répondit.

Dans ce campement guerrier, deux enfants et une jeune femme se tenaient la main et déambulaient entre les groupes de soldats. Ils scrutaient chaque visage d'en l'espoir d'en reconnaître un, mais jusqu'à présent leur recherche avait été vaine.

- Papa, papa... Disaient à tour de rôle le garçon et la fille en sentant leur petit cœur battre bondieusement fort.

Quelques soldats souriaient en reconnaissant les petits artistes et leur adressaient un geste de la main. Mais ce n'était pas leur papa. Alors, Hélène se pencha vers un groupe de paysannes qui discutaient là et questionna, en désespoir de cause :

- Dites-moi... Est-ce que tous les hommes de Charette sont là ?

L'une des femmes répondit laconiquement, sans même regarder son interlocutrice :

- Tous ceux qui ne sont pas morts, oui.

Et la jeune mère sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle ajouta timidement :

- Connaîtriez-vous par hasard un Jacques Fournier et un Henri Devis ?

Cette même dame leva la tête d'un air curieux et s'approcha des deux enfants et d'Hélène.

- C'est vos gosses ?

- Celle-ci, répondit-elle doucement en montrant Marie.

- Et c'est leurs pères ?

- Oui.

- Henri, ne vous inquiétez pas. Il est parti en mission et devrait revenir demain à l'aube. Jacques...

- C'est mon mari, coupa Hélène le regard fier.

- Venez vous asseoir avec nous.

- Où est Jacques ?

- Il vaudrait mieux que les petits n'entendent pas ça.

- Où est papa ? Demanda Marie d'un ton ferme.

- Ma petite, ton papa... Ton papa, il... Il a rejoint Dieu.

Et Hélène poussa un grand cri en se jetant sur Marie pour la prendre dans ses bras. La petite fille mit quelques temps à comprendre avant d'éclater en sanglot à son tour en répétant :

- Ça veut dire que je ne le reverrai plus ? Je ne le reverrai plus, maman ? Papa, je ne le verrai plus ?

Et ces quelques mots appuyaient encore la douleur d'Hélène.

Grégoire et les femmes qui se trouvaient à côté observaient cette touchante scène les larmes aux yeux, et un peu gênés. Comment réagir dans une telle situation ? Mais le garçon comprit que si son père était mort également, ses pleurs auraient été les mêmes. Peut-être pire parce que sa mère à lui n'existait déjà plus. Hélas ! Le malheur des uns fait ressurgir ses propres malheurs et l'ombre de la Mort vint rôder autour de lui également, en le faisant pleurer à son tour. Mais entre ses hoquets, il sentit le besoin de soulager son âme et il ouvrit la bouche.

"Les bleus sont là, le canon gronde, dites les gars avez-vous peur ? Les bleus sont là, le canon gronde, dites les gars avez-vous peur ?

Nous n'avons qu'une peur au monde, c'est d'offenser notre Seigneur. Nous n'avons qu'une peur au monde, c'est d'offenser notre Seigneur."

La voix, d'abord timide et éraillée, prit ensuite plus de force. Elle réveilla les quelques personnes endormies, arrêta les discussions, et fit taire les pleurs des deux femmes. Marie vint saisir la main de son ami pour l'entraîner dans une petite danse triste qui bouleversa les spectateurs.

Et Grégoire murmura :

- C'est pour ton papa que je chante. Il doit être au Paradis maintenant.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top