XX
- Tu y as déjà joué ?
- Oui.
- Quand cela ?
- J'avais un ami, dans mon village, qui en jouait. Il m'a appris.
Les talents ressurgissaient.
Il saisit l'archet, coinça le violon entre son menton et sa main et ferma les yeux. Une même plainte aigüe, triste.
- C'est beau, chuchota Marie. Sais-tu jouer un morceau ?
- Je... Je crois...
L'enfant ferma ses yeux pour se rappeler le morceau. Ce n'était que quelques notes, mais elles firent monter sur ses lèvres un sourire épanouï. Marie fit un pas de danse avant d'applaudir.
Plus loin, Jo avait saisit un bâton et il se battait avec son ami. Frappant d'estoc et de taille. Il feintait, il rusait, il combattait, sous les yeux ébahis de Nicolas qui tentait de contrer ses attaques.
- Et moi qui pensait pouvoir t'enseigner quelques choses... Mais tu m'avais caché...
Les talents ressurgissaient.
- Après ton départ, Nico, j'ai voulu devenir quelqu'un, comme toi. Et je me suis entraîné, entraîné, jusqu'à ce que je retombe à nouveau dans la boisson.
- Pourquoi ?
Joseph attrapa une bouteille d'eau de vie et en but une rasade, avant d'expliquer :
- Comme un sursaut de bravoure, avant de continuer la descente aux enfers. Et puis, Beaulieu-sur-argent est un village étape. De nombreux officiers s'y arrêtaient et...
- Et depuis gosse, leurs épée et leur allure te fascinaient.
- Il n'y a qu'ainsi que je l'explique. Je te jure que je ne boirai plus jamais ! Promit-il en buvant une autre gorgée sous l'œil moqueur de son ami. Quoi ? Mais je n'y peux rien ! Sans la boisson, je me sens moins fort. Mais je diminue la quantité quotidienne. Je te le promets !
- Je te crois.
L'ivrogne s'entraînait. L'enfant s'entraînait. Deux rêves, deux objectifs, deux destins croisés. Quand la nuit vint les surprendre et qu'ils s'endormirent tranquillement, Grégoire serrait contre lui son violon et Joseph rêvait de son épée.
Mais ce-dernier se réveilla comme son neveu au-milieu de la nuit. Ce n'était pas pour trouver une épée. C'était pour se retrouver nez à nez avec Hélène.
- Bonsoir.
- Bonsoir.
- Tu accepterais de marcher avec moi, un peu ? J'ai... Je crois que j'ai des excuses à te présenter, souffla-t-elle.
Il acquiesça, surpris.
- Je t'ai méprisé, Jo. J'ai médis. J'ai eu des préjugés sur ton compte. Alors que tu n'es pas comme cela. Comme on a tort d'hâter notre jugement sur un homme !
- Et... Et maintenant, hésita Jo. Que penses-tu de moi ?
- Je pense que tu as du courage, de la volonté et un certain sens de l'honneur, tout nouveau, que tu découvres à peine. C'est bien.
- Moi je pense que tu es une femme gentille et généreuse. Un peu trop effacée, peut-être.
- La timidité. C'est étrange, cette conversation. Ces mots sont étranges. Ils fixent sur nos personnes des étiquettes nouvelles qui ne nous définissent que partiellement. Je suis autre aussi, Jo. Je suis rêveuse. J'aime raconter des histoires à la veillée. J'aimerais un jour pouvoir lire, mais je sais signer mon nom et cela me rend très fière. J'aime mon mari, mais le temps l'efface de mon cœur et cela m'effraie alors je tente de raviver la flamme de notre amour par le souvenir. J'aime Marie et elle est tout pour moi, je...
- Chut... Tu es aussi secrète, alors garde une part de mystère qui te rend plus belle. C'est bien de te connaître. Je te redécouvre.
- Jo, j'ai peur. Demain, nous verrons Charette.
- Et nous nous engagerons à ses côtés.
- Tu... Tu crois ?
- Ma décision est prise. Faites ce que vous voulez.
- J'ai peur de la guerre, Jo.
Il s'assit sur les marches qui menaient à l'auberge où ils dormaient tous, et ouvrit ses bras.
- Viens près de moi. En ami. Je peux peut-être te réconforter.
- J'ai peur, Jo. Je ne sais pas si Jacques, mon époux, sera toujours le même. Que fait la guerre aux combattants ?
- Elle les aguerrit.
- Mais encore ?
- Je ne sais pas. Écoute le calme.
Ils écoutèrent. On n'entendait que le souffle du vent. C'était tranquille.
- Je ne veux pas voir la bataille, les cris, le sang, la Mort... Murmurait encore Hélène dans un frémissement alors qu'ils se levaient pour aller se recoucher.
Mais il fallait bien qu'ils arrivent un jour. Et le lendemain, ils parvenaient au village où Charette avait posé son armée.
Pour ces cinq voyageurs, cette arrivée se fit dans une sorte de transe. Après ce long voyage, ils ne comprenaient pas encore qu'ils touchaient au but. Ils firent comme à leur habitude et cherchèrent un coin pour manger, un coin pour dormir et chantèrent et dansèrent et applaudirent.
Mais cette arrivée avait intrigué l'officier français qui commandait cette bande. Il s'était approché du cercle où les deux enfants s'étaient livrés à leur passe-temps favoris pour les observer, et avait souris. Cette danse, ce chant, étaient magiques. Ils faisaient oublier la vie, ils nous envoyaient dans un rêve, ils bouleversaient. Charette se retrouvait enfant à son tour. Il croyait voir revivre sa mère, son père, et tous ceux qui l'avaient accompagné dans son enfance. Il entendait sa sœur lui crier de grimper avec elle dans l'arbre et se mettre à chanter à tue-tête. Il retrouvait l'odeur du calme et du bonheur. Il laissait de côté ses soucis de chef.
Les talents...
Et quand Grégoire se tut, il s'avança vers lui, prit la main de Marie, s'accroupit pour être à leur niveau et demanda d'une voix étranglée par l'émotion :
- Dites-moi, mes enfants. Qui êtes-vous ?
Grégoire murmura quelques mots à l'oreille du général si craint de tous et se redressa en désignant du doigt l'endroit où se trouvaient Hélène, Nicolas et Joseph Audence.
Alors l'ivrogne retrouva le regard de l'officier. Ni l'un, ni l'autre ne s'étaient oublié car le jour où ils s'étaient rencontrés avaient coïncidé avec la nouvelle de la mort de Giselle et celle de l'emprisonnement du roi de France, quelques jours plus tôt. L'un comme l'autre sentirent au plus profond de leur cœur un sentiment de révolte. Et quand Charette ordonna à Joseph de le suivre à l'écart de la foule, les deux hommes avaient déjà les nerfs à vif.
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