XII
Grégoire voulait sortir de la ville. Il courait vite sur ses courtes pattes, sans même vérifier si son oncle le suivait. Petite ombre fugace qui se glissait sur les murs des maisons et disparaissait toujours plus loin. Il commençait à être bien fatigué, après tout il était tard. Mais il avait peur. Il s'essouflait.
En sortant de la ville, il prit la direction de la forêt et s'y engouffra d'un coup. L'un des hommes le suivait toujours et l'aurait certainement déjà rattrapé si Grégoire n'avait pas zigzagué entre les ruelles et les sentiers forestiers. L'enfant connaissait bien les forêts. Il s'y sentait un peu chez lui et cela lui redonna du courage. Il sortit du chemin principal et s'enfonça dans des taillis épais. Un peu plus loin, il avisa un arbre. L'homme paraissait semé, du moins temporairement. Grégoire s'accrocha à l'écorce et aux rameaux pour escalader l'arbre. Il joignit ses quelques maigres forces et put parvenir à une branche assez large à plus d'une hauteur d'homme du sol. La nuit le cachait, il était dans un arbre, dans une forêt. Allons bon, il était sauvé.
Quelques temps plus tard, il vit son poursuivant passer sous ses pieds. Le garçon retint sa respiration et crispa ses doigts sur l'écorce de l'arbre. Le feuillage, la nuit, tout lui faisait rempart. Mais il aurait suffit que l'homme levât le nez vers cette hauteur, et c'en était fini de Grégoire. L'homme avait une lampe à la main qui éclairait tout autour de lui en un halot de lumière bien dangereux. L'halot se rapprocha de l'enfant qui, dans un dernier recours et le cœur battant très rapidement, lança du plus fort qu'il put une branche qu'il venait d'arracher à l'arbre. Le bruit léger, mais si fort dans cette nuit trop calme, retentit un peu plus loin et attira l'attention de l'homme dans cette direction. Grégoire souffla, rassuré. Alors l'homme s'éloigna et ne revint plus vraiment dans ces parages.
L'enfant sentait ses paupières s'alourdir et il savait malheureusement que descendre eut été signifier danger. Qui sait si l'homme et son compagnon pouvaient revenir ? Mais s'endormir à cette hauteur était également dangereux. Le moindre mouvement pouvait provoquer une chute que les membres grêles de Grégoire n'auraient pu supporter. Et il n'avait pas de corde ! Inquiet, l'enfant explora rapidement sa cachette. L'arbre était vieux et large. Il y avait même... En parvenant au sommet du tronc, Grégoire découvrit avec joie que l'arbre était creux. Il se glissait dans le trou avec un petit sourire de contentement et posa sa petite tête sur le bois rugueux. Un sommeil flou et désagréable ne tarda pas à le cueillir.
Pendant ce temps là, le bourgeois volé ne décolérait pas. Il avait entrepris de regarder minutieusement chaque recoin de sa pièce pour noter ce qui avait été volé et avait été surpris de constater qu'une bonne partie de sa réserve de vin avait disparu ou avait été bue. Il ne put s'empêcher de ricaner nerveusement à ce constat et se rassura : ce ne devait être qu'un pauvre ivrogne aidé de son gosse. Mais une fouille plus précise le rendit fébrile. Il comprit peu à peu que son carnet secret avait disparu. Ce carnet... C'était son travail de ses derniers mois, c'était même, dans les mains d'un autre que lui, une bombe à retardement pour la Révolution. C'était plus grave que le vin, et c'était sa vie qui risquait de passer sous le couperet de la guillotine. Il sentit sa colère grimper en flèche et sortit rapidement dans la rue derrière sa maison pour voir où en étaient ses hommes.
L'un d'eux arrivait justement, portant difficilement le corps mou de Jo. Il le laissa tomber sur le pavé de la cour du bourgeois et leva les yeux vers son maître
- En voilà un.
- C'est l'ivrogne, grimaça le bourgeois.
- Il n'a pas pu aller bien loin. Il tenait à peine debout et s'est écroulé dès que je l'ai touché. Il pue l'ivresse et je crois qu'il n'a pas toute sa conscience.
- Et le gosse ?
- Il a filé. Il allait vite. Baudouin est à poursuite.
- C'est lui que je voulais surtout, pesta encore le bourgeois. Fouille les poches et la besace de ce gros dégoûtant.
L'homme s'executa sans un mot, mais ne découvrit que le sac plein de bouteilles de vin. Jean, le bourgeois, intima à son homme de main de les reconduire dans sa cave. Puis il s'accroupit pour être au niveau de l'ivrogne et souleva les quelques mèches blondes et grasses pour découvrir son visage. De la bave coulait de sa bouche. Les paupières à demi fermées papillonnaient encore et laissaient entrevoir un regard vitreux et fatigué. Spectacle répugnant. Jean soupira.
- Où est ton gosse ?
- Hein ? Marmonna Jo dans un demi sommeil.
Le bourgeois se leva avec colère et lança un grand coup de pied dans les côtes de l'ivrogne qui se réveilla dans un sursaut.
- Que... Qui êtes-vous ?
- Où est ton gosse, sale ivrogne ? Hein ? Il est où ?
Jean continuait de ruer de coups le pauvre paysan, les yeux révulsés par l'inquiétude et la fatigue.
- Mais... Je ne sais pas ! S'écria Jo d'une voix pâteuse. Il est parti sans moi.
Et il se mit à pleurer de grosses larmes de crocodiles qui déroutèrent le bourgeois.
- Allez, dis-moi ! Et que venais-tu faire chez moi ? Je vais te conduire à la police, moi. Ne t'inquiète pas : un procès de cinq minutes et tu finiras la tête coupée.
Les larmes glissaient toujours le long des joues du pauvre homme, et Jean se sentit empli d'un dégoût dédaigneux pour cette loque infâme. Il se recula de quelques pas pour considérer Jo. Ses yeux immobiles fixaient les traits ignoblement mous de l'ivrogne.
- Non ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! Non, non, non. Je vous dirai tout.
- Eh bien ?
- C'est mon neveu. Il a jeté toute mon eau de vie dans le ruisseau et je n'en avais plus. Alors, je l'ai obligé à m'aider à voler. Mais j'avais si soif ! Si soif ! Pitié !
Jean éclata de rire. L'ivrogne faisait décidement bien pitié. Mais cela n'expliquait pas la disparition du carnet...
- Est-ce que tu lui as demandé de voler mon carnet ?
- Quel carnet ?
- Quel abruti ! Eh, débile, tu vas m'aider à le retrouver ton neveu. Ou tu iras cuver mon vin en Enfer !
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Cette histoire est nominée aux Wattys... J'espère qu'elle ira plus loin !!
Bon, du coup, d'après vous, est-ce que Grégoire va s'en sortir ?
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