VII

Quand Grégoire revint chez son oncle, il fut surpris de remarquer la pièce propre et il nota sur la table une cruche d'eau pleine et deux tranches de pain complet qui l'attendait. Heureux de ce changement, le garçon retrouva instantanément le sourire et vint se servir sur la table. Mais une deuxième surprise l'attendait : dans un coin de la pièce, Jo avait déposé une nouvelle paillasse pour son neveu. Alors, l'enfant vint s'y asseoir, tout heureux, et ouvrit le livre que lui avait donné la dame qui l'avait recueilli.

Mais Jo ne rentra pas de la journée, ni de la soirée, ni de la nuit, ni la journée suivante. Grégoire s'échappa alors pour aller jouer avec les enfants du village. On l'aimait bien. Et puis, il chantait bien. Il savait plein de chansons et cela émerveillait tous les enfants. Il était heureux, Grégoire. Enfin, presque... Il aurait bien aimé retrouver son père.

C'était une chose qui le tourmentait profondément. Pourquoi l'avait-il abandonné ? Et comme cela, si vite ? Il avait vaguement compris que s'il ne partait pas, son père devrait partir très très loin d'ici, faire une guerre qu'il ne voulait pas faire. Mais là, il était loin, son père, alors ? Et puis, il avait ajouté d'un ton mystérieux et fier qu'il allait rejoindre la Vendée, la révolte de Vendée. Cela impressionnait le petit garçon et lui donnait une envie folle de partir aussi pour la Vendée, et puis, il y retrouverait son père. Son papa.

Toutes ses idées passaient en boucle dans son esprit, en désordre, tandis qu'il jouait avec les autres enfants. Mais la journée passa. Et quand il rentra chez son oncle, il le trouva étendu sur le lit et ronflant. Et empestant l'alcool.

- Il a bu, dit le garçon d'un air pincé et un peu déçu.

Non, le cauchemars ne s'arrêtait pas de sitôt. Et l'enfant sentit que son père lui manquait. Son papa. Il se rappela son sourire large jusqu'aux oreilles. Il se souvint de ses berceuses, et de celles de maman. Des gentilles berceuses, comme celle de l'enfant en cœur d'or. Sa préférée. Et puis, il y avait ces moments de bonheur, à trois : les balades le dimanche, les diners festifs, les sorties à Angers. Il n'y avait qu'une tâche sur ce bonheur, une sombre tâche qui s'élargissait d'heure en heure : la mort de sa mère. Il ne restait que son père. Le sourire, lointain, de son père. Son papa. Pourquoi l'avait-il abandonné ? Le temps est comme une boucle, n'est-ce pas ? Les temps de félicité reviendront bien un jour.

Comme le sommeil ne venait pas le chercher, Grégoire se décida à se lever et marcher. Il tournait autour de la pièce en laissant ses pensées graves et enfantines occuper son esprit. Il réfléchissait à ce qu'il pouvait faire de sa petite vie, attaché à son oncle et abandonné par son père. Il se dit qu'oncle Jo devait être bien malheureux pour tenter d'oublier ainsi, chaque soir, par la boisson. Il avait peut-être besoin d'aide. Après tout, Grégoire était costaud : il pouvait peut-être faire de grandes choses (et aider les grandes personnes est une grande chose). C'était une perspective attirante. Mais Grégoire se souvint de Joseph, la ceinture à la main, qui le frappait, qui le frappait jusqu'au sang, le regard fou. Ça, ce n'était pas une grande personne. Non, ça, c'était un monstre, un démon.

- Oh papa ! Tu m'as toujours dit qu'il fallait rester sage comme un petit ange, mais tu m'as laissé chez le diable ! Pourquoi tu as fait ça ?

Et l'enfant s'approcha du lit du Jo pour observer craintivement le démon. Le démon ronflait fort. Le démon avait des traits mous et gras. Le démon avait d'épais sourcil qui paraissait constamment en colère. Le démon s'agitait dans son sommeil avec des gestes convulsifs et désordonnés. Le démon allait-il se réveiller ?

Mais Grégoire en avait assez vu. Il ne fallait pas souiller sa petite âme d'ange. Alors, il vint s'asseoir sur le rebord de sa paillasse et il soupira. Comme chaque fois où il était un peu rêveur et où le silence l'enveloppait, une musique commença à danser dans sa tête. Ce n'était pas l'enfant au cœur d'or, non c'était l'espérance.

"Même le plus noir nuage a toujours sa frange d'or..."

Et les mots revenaient en boucle au milieu de ses pensées et lui redonnèrent un petit sourire. La chanson le berça et l'endormit. Ses lèvres fredonnaient encore dans son sommeil les quelques notes de la musique. Doucement. Jusqu'à l'aube.

Et l'aube apporta quelques lueurs d'espoir. L'aube était belle et dorée. L'aube était heureuse.

Jo vint s'accroupir auprès de son neveu et passa sa main dans ses boucles blondes. Les premiers mots de Grégoire à son réveil furent les quelques notes d'espoir de la chanson. Frange d'or. Des notes qui remuèrent l'ivrogne plus qu'il ne voulut l'admettre, et qui lui trottèrent longuement dans la tête. C'est qu'il était touchant ce gamin.

À la fontaine, aux champs, à la taverne, l'oncle fit visiter à son neveu chaque recoin de son village avec un enthousiasme qui donna du blé à moudre aux cancans. Mais il faut avouer que la visite à la taverne fut plus longue. Joseph expliquait chaque ragots, chaque rumeur qui courait sur chaque pavé de rue. Il montait dans des discours éloquents et rieurs qui firent sourire Grégoire. Il lui murmurait les plus belles histoires d'amour et les plus grands secrets. Il se prenait d'affection pour l'enfant. Et Grégoire chantonnait, heureux.

Mais quand toute cette visite toucha à la fin, la corde tendre de l'ivrogne vibra encore une fois, peut-être même sous l'effet de l'alcool qu'il venait de boire et qui lui troublait l'esprit. Il planta son regard trop clair dans celui de son neveu et dit :

- Dis-moi. Dis-moi tout. Dis-moi quel est ton rêve le plus cher, gamin, et je l'exaucerai.

- Vous l'exaucerez ?

- Je l'exaucerai.

- C'est vrai ?

- C'est une promesse.

Grégoire sentit son cœur faire un bond tandis qu'il s'écriait :

- Oncle Jo, je voudrais retrouver papa !

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