Un Monde Fantastique (Partie 1)
La lourde porte se referma sur la jeune fille, la laissant dans l'obscurité, jusqu'à ce que des murs s'illuminent d'une douce teinte violette. Emma s'immobilisa, puis se retourna dans la direction du Praesidium, pour observer une dernière fois les souvenirs de sa vie passée.
Cependant, la porte se dématérialisait peu à peu, et à mesure qu'elle disparaissait, la jeune fille effaçait les images de ces derniers jours passés aux côtés de sa famille, pour ne retenir que les bons moments, et les ranger soigneusement au plus profond de son esprit. Le spectre du regret rôdait encore autour d'elle, ses yeux brillaient de mélancolie, mais elle releva la tête, inspira profondément et se dirigea vers Eliott, qui l'attendait patiemment, sans un mot, sans un geste, les bras croisés derrière le dos.
Tous deux s'avancèrent alors, des marches en bois se dessinant sous chacun de leurs pas, pour former un étroit escalier en colimaçon. Au passage d'Eliott, des aneths, petites fleures jaunes, se multipliaient sur les murs, tandis qu'au passage d'Emma, elles laissaient place à des bourraches bleues en forme d'étoiles. La jeune fille approcha sa main des fleurs pour pouvoir en cueillir une, mais elles disparurent aussitôt, laissant le mur vide de tout pétale, de tout végétal.
Au fur et à mesure qu'elle descendait, Emma sentait une douce brise effleurer sa peau. Lorsqu'elle arriva en bas de l'escalier, elle fut éblouie par la lumière naturelle, et dut fermer les yeux, aveuglée par les rayons intenses du soleil. Elle recula de quelques pas pour pouvoir remonter les marches et ouvrir de nouveaux les yeux, mais l'escalier laissait place à un immense arbre, dont les feuilles dorées rivalisaient avec l'éclat du soleil, le Magnificus Arbor.
La jeune fille rejoignit alors Eliott, qui, quelques mètres devant elle, semblait admirer le paysage en contrebas. Lorsque qu'elle arriva au niveau du Protecteur, Emma suivit son regard pour découvrir une immense prairie, fabuleuse et enchantée. Des montgolfières d'une multitude de formes et de couleurs, toutes plus inouïes les unes que les autres, surplombaient les verts pâturages.
L'une d'entre elles, en particulier, attira l'attention de la jeune fille.
Énorme, sa nacelle faisait deux fois la largeur d'une maison et pouvait contenir une centaine de passagers. Son ballon bleu ciel, orné de rubans et de nœuds dorés, s'entrelaçant pour prendre la forme de soleils, flottait majestueusement dans le ciel. Emma connaissait bien cette montgolfière, magnifique engin qui trônait sur le mystérieux blason, tout comme elle trônait à ce moment au milieu des siennes.
Surplombant ce magnifique spectacle, la jeune fille sentit la chaleur l'envahir de toutes parts. Elle enleva ses gants, son bonnet et son écharpe ; ouvrit son manteau et laissa son corps respirer au milieu de ce nouveau monde qu'elle savait déjà hors du commun. Le vent s'agita, soulevant ses cheveux, lui donnant une sensation de force et de légèreté. Eliott, respirant lui aussi à plein poumons, déclara solennellement :
— Bienvenue chez nous. Cette plaine que tu admires, dit-il en pointant la prairie en contrebas, se nommait jadis le Champ de l'Orgueil. Il servait de théâtre à tous les combats, à toutes les guerres menées par l'Homme et son orgueil.
Le Protecteur replaça son bras derrière son dos, ferma les yeux quelques secondes, et sourit imperceptiblement, s'imprégnant du calme de la nature. Il plongea alors ses yeux brillants dans ceux d'Emma et continua :
— Signe de notre évolution et de notre besoin de paix, nous l'avons renommée la Plaine des Montgolfières. Ce n'est plus maintenant un champ de bataille où des milliers d'hommes et de femmes perdent la vie, mais un lieu de rencontre, où nos chemins se croisent, sur la longue route de la vie.
Emma sentit à ce moment là que dans les yeux du Protecteur, la mélancolie se mêlait à une certaine fierté. Son sourire se souvenait des moments de paix et de joie, tandis que son regard regrettait déjà ce passé, jadis bercé par la courbe de ses lèvres.
— Qui a décidé de renommer cette plaine ? demanda la jeune fille, en lui rendant un sourire discret, tentant de ne pas s'immiscer dans la pudeur de ses sentiments.
— Quelqu'un d'admirable, répondit simplement l'homme, le regard dans le vide.
Puis il reprit soudain ses esprits et continua :
— Dépêchons-nous, sinon nous allons être en retard...
Sur ces mots, Eliott fit volte face et emprunta un petit chemin escarpé menant en bas de la prairie. Emma se hâta de le suivre en faisant attention à ne pas trébucher sur les pierres amoncelées le long de la route. Au bout de quelques minutes ils arrivèrent enfin sur la Plaine des Montgolfières. A chaque seconde, des dizaines de ballons décollaient tandis que d'autres atterrissaient sur les emplacements laissés vides. Des enfants couraient de toutes parts, tandis que leurs parents se reposaient sur l'herbe tendre, le sourire aux lèvres.
Les femmes portaient toutes des robes magnifiques, qui ne ressemblaient en rien à celles qu'Emma pouvait connaitre. L'une d'entre elles portait une longue robe dorée sur laquelle des fils de couleur bleue enserraient son buste, pour remonter jusqu'à sa poitrine et se fixer sur le haut de ses épaules et de son torse, comme pour former les ramifications entremêlées et éparses des branches d'un arbre.
Une autre femme portait une robe à bustier violette dont la jupe était recouverte d'un léger voile prenant une teinte irisée de rouge, se déclinant peu à peu en violet clair puis en doré comme pour rappeler les pétales colorés d'une fleur extraordinaire.
Emma, qui s'approchait un peu plus, les yeux écarquillés de bonheur, la bouche ouverte d'admiration, détailla les tenues des petites filles qui portaient, elles aussi, des robes magnifiques. La jupe de leur vêtement était composée de plusieurs morceaux de tissus, en forme d'ailes de papillons, se chevauchant les uns les autres. Les petites filles s'amusaient à faire tourner leurs robes pour mieux voir les papillons s'envoler, virevolter autour d'elles et se reposer sur leur robe.
Emma afficha un sourire tendre, repensant à son enfance, lorsqu'elle aussi admirait ses plus belles robes former un cercle magnifique tout en faisant virevolter le tissu tout autour d'elle :
« — Regarde maman ! Tu as vu comment ma robe tourne ? »
La jeune fille laissa éclater un rire enfantin, sous l'air amusé d'Eliott, qui l'observait de loin, et elle posa son regard sur des hommes qui portaient des pantalons noirs, avec des vestes de la même couleur, brodées de fils d'or pour reproduire la forme de fleurs extraordinaires. Certains portaient sur leur poitrine le même blason qu'Eliott, tandis que d'autres portaient des insignes de couleurs et formes différentes.
Le Protecteur, voyant les yeux plissés et les sourcils relevés de la jeune fille, lui chuchota à l'oreille :
— Toutes les personnes qui portent le blason sont des Confrères qui travaillent au service de la Reine. Les autres emblèmes que tu peux voir représentent la famille royale ou la République d'autres pays.
Emma acquiesça silencieusement en observant d'autres hommes très élégants, portant une longue écharpe dorée qu'ils passaient derrière leur cou pour l'enrouler autour de leurs poignets et la laisser pendre le long de leurs jambes.
Si seulement Claire avait été là, elle se serait émerveillée devant tant de pureté et de beauté, elle aurait été l'éclat qui manquait à ce tableau si parfait.
Soudain, la jeune fille manqua d'être renversée par un groupe de petits garçons accoutrés d'un simple short marron et d'une veste blanche, poursuivis par un autre groupe d'enfants, maladroitement déguisés en Custodis. L'un d'eux attrapa la main d'Emma pour l'inviter à entrer dans leur jeu insouciant, ce qu'elle accepta en le couvrant de chatouilles et de rire, sous le regard bienveillant du Protecteur.
Les deux voyageurs reprirent finalement leur route pour s'arrêter devant une petite montgolfière un peu usée, dont la nacelle ne pouvait accueillir que deux personnes, et dont le ballon ressemblait à un chaton tacheté tirant la langue. Eliott ouvrit une petite porte, déplia trois petites marches et invita Emma à s'installer dans la nacelle.
La jeune fille, intriguée par l'air enfantin de cette machine, monta volontiers s'asseoir sur un petit siège de bois inconfortable. Elle remarqua alors sa valise sagement déposée à ses pieds et se réjouit de ne pas avoir eu à la porter. Eliott monta lui aussi dans la nacelle, replia les marches, ferma les portes, et vint s'asseoir en face de sa protégée, sur un petit siège de bois, tout aussi rudimentaire.
L'homme siffla alors de toutes ses forces, obligeant Emma à se boucher les oreilles. Quelques secondes après, le ballon se dématérialisa et des centaines de papillons battirent des ailes, virevoltèrent çà et là, reprirent leur place pour remodeler le chat, et tirèrent la montgolfière dans le ciel.
— Elle démarre au quart de tour, même si elle est un peu vieille, s'enorgueillit Eliott en affichant un sourire radieux. Bien sûr, les sièges ne sont pas très confortables, et elle n'est pas automatisée comme les montgolfières les plus récentes, mais une fois dans les airs, sa stabilité et sa fiabilité sont incomparables, continua-t-il devant l'air émerveillé d'Emma, qui se tordait le cou pour essayer de comprendre comment un engin de cette taille pouvait s'envoler sans l'aide d'aucun brûleur.
— Toutes les montgolfières avancent-elles de cette manière ?
— Non, seulement les petites, répondit le Protecteur amusé. Les grandes, comme celle que tu as pu admirer au milieu de la plaine ne sont pas soulevées par des papillons, puisqu'elles sont beaucoup trop lourdes.
Emma regarda par-dessus la nacelle, et vit qu'ils s'éloignaient peu à peu du sol. Elle regarda en direction du plus grand ballon de la prairie, et vint finalement fixer son regard sur la poitrine du Protecteur.
— Cette grande montgolfière dont vous parlez, c'est celle qui est dessinée sur votre blason, n'est-ce pas ?
L'homme baissa la tête pour fixer un instant l'insigne qui avait paru, quelques jours auparavant, si mystérieux aux yeux d'Emma.
— Oui, il s'agit de la plus ancienne et la plus célèbre de toutes les montgolfières. Tout le monde rêve d'y monter un jour, ce qui est un grand honneur.
— Pourquoi ? demanda Emma en repoussant ses cheveux ébouriffés par le vent.
— Cette montgolfière est la toute première à avoir été mise en service chez les Somnius, elle a connu de nombreux évènements historiques, et elle a été, depuis toujours, le bâtiment dans lequel les étudiants de l'école la plus prestigieuse du pays, la Compériale, prêtent serment après avoir reçu leur diplôme, expliqua l'homme qui salua, d'un signe de main, les occupants d'un autre ballon.
Emma tourna la tête et découvrit le magnifique appareil qui flottait à leurs côtés. La nacelle, au lieu d'être d'une forme traditionnellement simple, représentait un immense animal aquatique à tête de cygne et dont le corps, formant la coque d'un majestueux bateau, se prolongeait en une immense queue palmée, faisant battre dans les airs de magnifiques ailes d'un bleu profond. Le ballon, quant à lui, d'une couleur argenté, ne possédait pour seuls artifices que quelques rubans, et l'emblème représentatif d'un autre pays.
— Cette montgolfière appartient à l'ambassadeur du Royaume-Uni, souffla Eliott en imitant, du mieux qu'il pouvait l'accent britannique. Un très bon ami, précisa-t-il en pointant du doigt un magnifique coffret de thé qu'il avait sans doute reçu en cadeau à l'occasion d'une de ses missions officielles.
— De l'Autre Côté, les Britanniques ont longtemps eu la première puissance navale au monde. Chez les Somnius, ils ont la première puissance aérienne, expliqua-t-il, avec une pointe d'admiration dans la voix, tandis que le ballon de l'ambassadeur, particulièrement rapide, s'éloignait à perte de vue.
Emma afficha un sourire émerveillé, et tenta d'imaginer tout ce qu'elle pourrait encore découvrir dans ce monde qu'elle connaissait à peine.
— Expliquez-moi, expliquez-moi tout sur le monde des Somnius, demanda alors la jeune fille, curieuse, et avide de tout savoir.
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