Tempête de neige (Partie 2)

Des petits flocons venaient s'écraser contre les vitres de la voiture, rappelant à la jeune fille la gravité de la situation. La poudre blanche recouvrait maintenant les champs et la route. Monsieur Dalanore avançait de plus en plus prudemment. Des branches d'arbres arrachées par la tempête mordaient sur une partie de la chaussée ; elles devenaient invisibles sous le manteau uniforme de neige.

La lumières des phares se refléteraient sur la route blafarde, désastre ironique d'un après-midi d'août. Soudain, une bourrasque de vent emporta un nuage de neige. Un amas de glace se plaqua contre le pare-brise. Madame Dalanore sursauta en étouffant un petit cri. Elle attrapa le bras de son mari qui était crispé au volant.

Arthur posait ses petits doigts contre la vitre gelée pour laisser la trace de sa main sur la buée. Le nez collé à la fenêtre, les yeux pétillants, il s'agitait.

— Ouah ! Maman, regarde comment il neige !

Adèle ne répondit pas, trop occupée à s'assurer que les essuie-glaces chassaient les flocons qui opacifiaient le pare-brise. Le frottement régulier des balais faisait écho au couinement de la manche d'Arthur. L'enfant frictionnait la condensation qui se logeait sur la vitre froide, pour pouvoir observer le paysage.

— Maman, insista-t-il, regarde là-bas ! Une maison magique !

— Arthur, s'il te plaît, tais-toi, le gronda monsieur Dalanore, les yeux rivés sur la route.

Soudain, les voyants du tableau de bord s'allumèrent. Les yeux de Adèle s'agrandirent encore. Les mains de monsieur Dalanore se crispèrent un peu plus au volant.

— Qu'est-ce que tu racontes ? chuchota Emma à l'oreille de son frère, en se penchant pour tenter de voir ce qu'il pointait du doigt.

Depuis l'apparition du blason et le message sibyllin de Claire, la jeune fille restait aux aguets, scrutant le moindre indice qui pourrait lui permettre de trouver des réponses à ses interrogations. Madame Dalanore, elle, tirait doucement sur la manche de son mari. Le regard fébrile, la mâchoire pendante, elle voyait aussi cet accueil providentiel perdu au milieu de la glace.

— C'est une maison magique, chuchota encore Arthur. Elle n'existait pas avant.

— Elle vient peut-être d'être construite, suggéra Emma. Ou alors tu te trompes de route, ajouta-t-elle en haussant les épaules.

L'adolescente aurait bien dû se douter que l'imagination de son jeune frère lui jouerait des tours.

— N'importe quoi, insista-t-il d'une voix basse. On y est passé il y a un... deux... trois... quatre jours, comptait-t-il consciencieusement sur ses petits doigts. On passe toujours par là pour aller à l'hôpital, je ne suis pas bête, hein. Hein, maman, on est sur la route de l'hôpital ? demanda-t-il plus fort.

Madame Dalanore acquiesça d'un demi-mot.

— Hein, maman, la maison n'y était pas avant ? Hein, elle est magique ?

— Ne raconte pas de bêtises, l'admonesta monsieur Dalanore. C'est une petite maison d'hôtes très conviviale. On va s'arrêter cinq minutes, pour que je vérifie ce qui se passe avec la voiture, et on repart au plus vite.

Monsieur Dalanore se gara à quelques mètres de l'auberge. Lorsqu'il ouvrit la portière, un vent froid s'engouffra dans l'habitacle. Il posa un pied dans la neige qui se tassa dans un bruissement singulier sous son poids. Arthur suivit ses parents en s'amusant à marcher dans les traces de leurs pas. Il ne voulait laisser aucune autre empreinte sur le sol. Emma passa les bretelles de son sac à dos et fit de même.

Soudain, l'adolescente vit un papillon virevolter au loin. Son cœur s'accéléra. Elle repensa à la créature que Théo lui avait montrée. La jeune fille se détourna du chemin d'empreintes et s'empressa de suivre l'insecte. Elle claudiquait en se tenant la jambe. Son visage, affublé d'une grimace, laissait transparaitre la douleur qu'elle gardait muette. Pourtant, son instinct lui disait de se hâter. Le papillon la mènerait peut-être jusqu'au blason, ou bien à cet homme qui hantait ses rêves.

Pourtant, la petite bestiole, parée de ses ailes, s'était envolée jusqu'au toit de la bâtisse, restant hors de portée de la jeune fille. Emma soupira et leva la tête pour le regarder s'échapper au-delà des ardoises sombres. Le toit n'était pas recouvert de neige. Emma en conclut qu'il avait peut-être été mal isolé, et que de la chaleur s'en échappait. Il s'agissait du refuge parfait pour un petit être fragile. Son entreprise vaine, elle retourna vers ses parents.

Toute la famille entra dans le bâtiment rustique. Emma ôta son bonnet et observa la pièce en détail. En face de la porte se dressait un bar, derrière lequel bouteilles et verres étaient entreposés. Plusieurs tables de bois auxquelles des clients dégustaient des mets exquis meublaient la salle. Les murs de pierres et l'âtre brûlant de la cheminée complétaient ce tableau chaleureux et accueillant qui contrastait avec le climat extérieur.

Soudain, une jeune femme rousse s'approcha de la famille.

— Bonjour, je suis Léonie, bienvenue au Logis du Temps Anciennor (1). Souhaitez-vous que je vous serve une boisson chaude ?

— Merci, c'est très aimable de votre part, répondit monsieur Dalanore. Vous pouvez servir les enfants mais moi je ne prendrai rien. Par contre, si vous aviez quelques outils à me prêter pour remettre la voiture en route...

La serveuse fronça ses sourcils clairs et se pencha pour regarder à travers la fenêtre. La neige tombait en abondance, s'amassant toujours un peu plus sur le sol.

— Je crois que vous ne pourrez pas reprendre la route de sitôt, objecta la jeune femme.

— Nous devons pourtant rejoindre la ville pour éviter les prochaines tempêtes, et ma fille a besoin de soins pour sa jambe.

La serveuse afficha une moue désolée.

— Je peux peut-être faire quelque chose pour vous, proposa-t-elle. Asseyez-vous, je reviens tout de suite.

La famille s'installa à une petite table non loin de là, tandis que la serveuse tourna les talons et disparut par une petite porte derrière le bar. La jeune femme revint quelques minutes plus tard, un grand sourire aux lèvres.

— Mon grand-père, Jean, possède des chiens de traîneaux, expliqua-t-elle. Il serait ravi de vous conduire en ville. Il est à vous dans quelques minutes, continua-t-elle en pointant la porte. Vous souhaitez boire quelque chose en attendant ?

— Moi je veux un café ! s'exclama Arthur.

— Non tu es trop petit, mon chéri, répliqua sa mère.

Le petit garçon croisa les bras sur la table et y fourra sa tête en signe de désapprobation.

— Ce n'est pas dangereux ? continua madame Dalanore à l'intention de Léonie. D'où viennent ces traîneaux ?

— Non ce n'est pas dangereux, mon grand-père saura vous conduire en toute sécurité. Ces traîneaux lui appartiennent. Avec ma grand-mère ils élevaient leurs propres chiens. Lorsque mamie nous a quitté, papy a continué à les élever.

Léonie balaya ses pensées d'un geste de main, et s'en alla après avoir pris les commandes des ses hôtes. Emma, qui ne souhaitait rien consommer, se rendit dans la bibliothèque que la serveuse avait mentionnée. Elle passa par la porte située à droite de la cheminée et entra dans une toute petite pièce où siégeaient plusieurs fauteuils et une immense armoire remplie de livres. Son visage s'illumina.

Elle laissa tomber son sac à dos et attrapa un petit ouvrage dont la couverture l'intriguait pour commencer une lecture passionnante. Cependant, ses paupières devenaient des plus en plus lourdes à mesures que ses yeux se baladaient sur les lignes. Après quelques pages, Emma ferma définitivement les yeux et s'endormit sur le gros fauteuil. Apaisée, elle ne rêva pas.

Pourtant, une trentaine de minutes plus tard, son sommeil fut perturbé. Ses parents se trouvaient à ses côtés, assis dans un canapé adjacent au fauteuil. Ils se tenaient la main, et l'observaient d'un air grave.

— Emma, on doit te parler, lui annonça madame Dalanore.

(1) Anciennor en vieux Français fait référence à ce qui est ancien.




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