Réveil Brutal (Partie 2)

— Tu crois que tout ça a un rapport avec ce blason ? Est-ce qu'on a complètement déliré ou est-ce que c'était vrai... magique ? tenta Emma en arquant un sourcil.

— Je n'en sais rien. En tous cas, on ne devrait pas en parler aux autres. Ils ne vont pas nous croire.

Emma ricana en frappant son front avec la paume de sa main.

— Tout à l'heure, j'en ai parlé à maman. Elle m'a regardée comme si j'étais une sorcière ou un monstre poilu.

— Une sorcière ou un monstre poilu, le choix est difficile, ironisa Claire, en fixant son amie avec insistance.

Les deux filles rirent de bon cœur en se tenant les côtes, chaque sursaut d'hilarité ravivant un peu plus leur souffrance. Soudain, Claire se releva du canapé et fouilla frénétiquement dans les tiroirs du salon. Une idée venait de germer dans son esprit. Si les adolescentes dessinaient le blason qu'elles avaient aperçu dans le ciel, et en supposant qu'elles obtenaient le même résultat, elles pourraient conclure à une image réelle et non pas à une vue de l'esprit enfantine.

Tout en sifflotant, la jeune fille déposa quelques feuilles et des crayons devant Emma, avant de retourner s'asseoir. Elles décidèrent de dessiner les moindres détails de ce mystérieux blason sans regarder ni influencer le travail de l'autre. Ainsi, elles pourraient se rendre à l'évidence. Elles devaient savoir. Elles voulaient être certaines de n'avoir pas halluciné dans ce parc.

Les deux amies se mirent à l'œuvre et tentèrent, à l'aide de leurs plus fidèles souvenirs, de reproduire avec exactitude le tableau aérien qui s'était manifesté devant elles. Emma, en s'appliquant, laissait sortir un petit bout de langue de sa bouche. Claire, quant à elle, froissait le papier à force de gommer sans cesse les coups de crayon inopportuns. Une dizaine de minutes plus tard, lorsqu'elles eurent terminé leurs ouvrages, elles se décidèrent à les dévoiler.

— Ils sont identiques, observa Emma en se penchant un peu pour comparer leur travail.

Claire, impressionnée, émit un sifflement.

— Alors c'est vrai de vrai !

Les deux filles, bouche bée, laissèrent un silence pesant s'installer. Emma tenait fermement la feuille entre ses mains. Plus elle observait le dessin, plus elle avait l'impression d'avoir vu ce blason quelque part. Un souvenir flou flottait dans sa mémoire, sans qu'elle ne sache d'où il provenait, ni où il s'était logé. Elle ferma les yeux, et se représenta l'écu avec ses deux grandes ailes pour tenter de retrouver ce que cet emblème lui évoquait.

Cependant, le traumatisme de la tempête imprégnait encore son esprit. Chaque fois qu'elle modelait volontairement une image, les formes et les couleurs s'estompaient pour se transformer en épais nuages. Le vent soufflait sur son imagination. La pluie dégringolait sur ses songes tracés à la craie, répandant ses pigments dans une brume obscure.

Après quelques minutes d'inertie, les deux amies se levèrent finalement pour rejoindre les Baldorman et madame Dalanore qui discutaient autour d'un verre d'eau, la panne d'électricité excluant la consommation d'un café chaud. En voyant arriver sa fille, Adèle se leva et remercia une dernière fois ses hôtes avant de prendre congé. Emma, quand à elle, embrassa une dernière fois son amie et salua Théo, Pierre et Dominique tout en gratifiant cette dernière d'un sourire reconnaissant.

En rentrant chez elle, l'adolescente vit son père qui finissait de clouer des planches sur les fenêtres brisées pour éviter que le vent, encore agité, ne s'engouffre trop rapidement dans la maison. Malgré ses quarante-six ans, l'homme pouvait se vanter d'avoir conservé la teinte sombre de ses cheveux, tandis que ses prunelles noisette s'éclaircissaient à mesure que les années se succédaient.

Emma sauta aux bras de monsieur Dalanore. Un instant, elle s'enivra de son parfum protecteur et profita du confort de son ventre arrondi par la gourmandise. Embrassant sa joue, elle se piqua au contact rugueux de sa barbe naissante. Les lèvres de la jeune fille se noyaient sous l'humidité du chagrin. D'un baiser, elle essuya les larmes de son père.

— Ne pleure pas, mon papounet, l'implora-t-elle en plissant ses yeux brillants. Je vais bien.

— J'ai eu peur, tu sais, lui répondit-il en lui rendant son étreinte. J'aurais dû te protéger et t'empêcher de sortir ce matin.

Si Emma portait sur ses épaules la lourde culpabilité de la fatalité, monsieur Dalanore, lui, fléchissait sous une inquiétude permanente. Rongé par le besoin de préserver ses enfants de tous les maux, il les accablait sous le joug d'une possessivité étouffante.

— Tu ne pouvais pas savoir, le rassura Madame Dalanore en posant une main fraîche dans le dos de son mari. Et puis ce n'est pas en enfermant nos enfants que nous allons les protéger.

— Où est Arthur ? demanda Emma en entendant l'évocation implicite de son petit frère.

Monsieur Dalanore indiqua la table de la cuisine d'un regard appuyé. La jeune fille se pencha et releva la nappe pour trouver l'enfant pelotonné sous le bois protecteur du meuble. Il tenait fermement son ourson en lui répétant qu'il était en sécurité. Attendrie, sa sœur le rejoignit dans sa cachette de fortune et serra le petit corps d'Arthur dans ses bras. Il lui rendit sa tendresse d'un sourire joufflu.

— Je t'ai attendu avec Patapouf, affirma-t-il en brandissant sa peluche d'une main potelée.

— Vous êtes très courageux tous les deux. Maintenant que je suis revenue, vous pouvez sortir de là.

— D'accord, mais tu ne pars plus jamais. Même si parfois tu es embêtante. Hein, 'Ma ? insista-t-il.

— C'est promis, on restera toujours ensemble.

Le petit garçon, satisfait de cette réponse, accepta de quitter sa cachette pour rejoindre ses parents qui constataient les dégâts provoqués par la tempête.

— Monsieur De Baldorman fait partie du Conseil Municipal, expliqua Adèle. Il m'a dit que le Maire allait tenir une réunion pour préparer... 

Elle hésita.

 — Pour préparer la suite.

Madame Dalanore posa ses yeux verts sur le sol pour que son mari et ses enfants ne ressentent pas l'angoisse qui s'immisçait dans son regard. Préparer la suite n'était qu'un euphémisme dont l'illusion apaisait son esprit. Elle savait que déjà, ils devraient préparer leur survie. 

Monsieur Dalanore, d'un geste de la main, releva le visage de sa femme. Il plongea ses prunelles brillantes dans les siennes. Lui aussi avait compris. Il lui envoya cette promesse silencieuse de toujours rester unis, de protéger leurs enfants, quoi qu'il advienne.

— On devrait y aller, pour nous informer, continua Adèle en adressant un léger sourire à son époux.

Tous acquiescèrent et se préparèrent à assister à la réunion. Emma se lava rapidement d'une eau claire et glacée pour éliminer la poussière qui collait à son visage et à ses cheveux, pour oublier les souvenirs terribles dans lesquels elle s'enlisait. Elle prit soin de ne pas humidifier ses pansements, grimaçant chaque fois que la douleur se propageait le long de sa cuisse.

Une heure plus tard, la famille se retrouva dans la plus grande salle de la Mairie, où une centaine d'habitants était déjà amassée. Le Maire, accompagné de ses conseillers municipaux – parmi lesquels se trouvait monsieur De Baldorman – fit état des dégâts dans le village et aux alentours. 

Plusieurs routes avaient été barrées à cause des chutes d'arbres, rendant l'accès à la ville plus longue et fastidieuse qu'à l'accoutumée. Quelques maisons du bourg avaient été complètement dévastées, et quelques bâtiments publics, tels que l'école ou la salle des fêtes avaient été partiellement détruits, rendant impossible l'installation de camps de fortune dans ces édifices. L'électricité avait été coupée dans la quasi-totalité du village, et les secours, débordés, n'arriveraient que tardivement.

Après avoir terminé son discours, le Maire alluma un poste de télévision, alimenté par un groupe électrogène installé en urgence. Il projeta sur un grand écran le programme d'une chaine d'informations en continu.

— Regardez ! Ils montrent la tempête, s'écria Arthur en se dandinant sur sa chaise pour mieux observer les images.

Plusieurs journalistes du monde entier se trouvaient sur les lieux de terribles tempêtes, toutes survenues dans différents villages. Le présentateur, dans son costume noir, semblait tout aussi accablé que les populations victimes de ce temps.

Le Maire du village appuya sur quelques boutons pour ajuster le son, afin que toute l'audience puisse entendre le commentateur.

— Il semble que tous les continents soient touchés par ce terrible dérèglement climatique. Les dirigeants des plus grands pays se sont rassemblés en catastrophe pour établir un plan d'urgence. La situation peut s'aggraver à tout moment. Nous recommandons cependant à chaque citoyen français de garder son sang froid et de ne pas se ruer dans les magasins pour éviter toute pénurie. Le Président s'exprimera dans quelques heures. Tous nos journalistes sont mobilisés pour vous faire part le plus rapidement possible de toutes les évolutions. Nous retrouvons Elena Pkins dans un petit village du nord de la France. Elena, vous nous entendez ?

— Oui je vous entends. La liaison a été très difficile à établir à cause de toutes les lignes électriques défaillantes, mais nous y sommes. Comme vous le savez déjà, une terrifiante tempête s'est abattue sur tout le pays et nous venons d'apprendre à l'instant que la situation se dégrade encore. D'après les premières informations, les tous premiers villages à avoir été touchés hier un peu avant minuit sont de nouveaux menacés par une terrifiante tempête. Les habitants sont en état de choc et nous attendons une vague de migration des zones dévastées vers les zones épargnées. Des météorologues, des scientifiques et tous autres experts se sont regroupés pour analyser ce phénomène inédit dans l'histoire du monde. Cependant, aucune explication plausible n'a pour l'instant été trouvée. Certains citoyens croient à l'invasion des extra-terrestres, d'autres parlent de malédiction, de sorcellerie. Il semblerait que certaines personnes aient aperçu un blason flotter dans le ciel. Est-ce la réalité, preuve d'une force mystique présente sur Terre, ou bien une vision provoquée par la violence d'un tel choc ? Nous n'en savons rien pour l'instant. Nous vous recontacterons quand nous aurons de nouvelles informations. Nous vous rendons l'antenne pour le moment.

— Merci Elena. Nous demandons à toute personne qui détiendrait de nouveaux éléments de nous contacter au numéro d'appel à témoins qui s'affiche sur votre écran.

Plus un souffle n'animait l'assemblée. La terreur rôdait. Emma, elle, eut la certitude que ce blason abritait des secrets insoupçonnés. Si elle en retrouvait la trace, peut-être pourrait-elle sauver ses proches de ce désastre glacé. 



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