Le Protecteur (Partie 1)
Au beau milieu de la nuit, alors que les étoiles s'efforçaient de scintiller d'un plus vif éclat pour transpercer le manteau nuageux qui les cachait, Emma sentit une présence humaine à ses côtés. Elle n'ouvrit pas les yeux, mais tendit l'oreille pour percevoir le moindre souffle, le moindre crissement de la neige sous les pas de l'inconnu qui s'approchait. Emma ne savait pas pourquoi cette personne s'approchait d'elle, ni qui elle était, mais l'espace qui les séparait diminuait dangereusement.
Le corps transi, les mains glacées, paralysée par le froid, la jeune fille ne pouvait bouger. Elle ne sentait plus Gloups et les autres chiens près d'elle. Cet étranger s'en était-il débarrassé ? S'il lui voulait du mal, elle ne pourrait se défendre. Son cœur s'accéléra, elle réfléchit à toute vitesse à la manière dont elle pourrait fuir cet intrus. Peut–être était-il là pour lui proposer de l'héberger, ou bien voulait-il lui voler toutes ses affaires.
La jeune fille, recroquevillée sur la moitié du banc, sentit cet étranger s'asseoir à côté d'elle. Il ne bougeait pas, il ne parlait pas, c'était à peine s'il respirait comme pour ne pas la réveiller. Peut être était-ce juste un homme qui voulait profiter de l'air frais de la nuit... Peut-être pourrait-il aider Emma ?
Dans un élan d'espoir la jeune fille chuchota imperceptiblement :
— Qui êtes-vous ?
— Je suis venu te chercher, Emma.
— Papa ? demanda la jeune fille tout en sachant que ce n'était pas la voix de son père.
— Non, répondit simplement l'homme.
Emma ouvrit les yeux et fixa droit devant elle. Qui pouvait bien être cet homme pour venir la chercher ? La jeune fille dressa mentalement la liste de tous les hommes qu'elle connaissait et qui auraient pu venir la voir sur ce banc, cette nuit même. Cependant, elle ne trouva aucune figure masculine connue qui correspondait à la voix qu'elle venait juste d'entendre. Elle devait pourtant connaitre cet homme, lui qui savait son prénom et avait réussi à l'identifier dans l'obscurité.
Emma, qui ne trouvait pas de réponse à ses interrogations réitéra sa question :
—Qui êtes-vous ?
—Je suis le Protecteur des Tigres et tu m'as appelé, répondit l'homme d'une voix calme. Je suis donc venu te chercher. N'est-ce pas ce que tu voulais ?
— Je n'ai appelé personne... Où voulez-vous m'emmener ?
— Je suis ici à tes côtés parce que tu as fait appel à moi Emma. Aucun messager, personne n'a pu m'appeler de ta part. Je veux t'emmener chez moi, chez toi, chez nous.
— Je ne comprends pas, déclara Emma, le regard toujours perdu dans le vide. Où est-ce chez-vous ? D'où venez-vous ? Pourquoi personne n'aurait pu vous contacter à ma place ?
Fronçant légèrement les sourcils, elle ajouta :
— Et puis, comment connaissez-vous mon prénom ? Où sont les chiens ?
— J'habite à l'ensus d'ici... Je viens d'une terre unique. Personne n'aurait pu me contacter à part toi car cela est une des accordances qui régit mon métier. Je connais ton prénom puisque tu me l'as révélé en me lançant un appel. Tes chiens sont partis lorsque je suis arrivé. Ils savent que tu es en sécurité avec moi, les animaux sentent ce genre de choses.
Emma ne comprenait toujours pas. Comment avait-elle pu demander de l'aide à un homme qu'elle ne connaissait même pas ? Celui-ci parlait d'une manière étrange, dans un vieux Français peut-être. La jeune fille doutait de plus en plus de la santé mentale de cet homme. Cependant, il connaissait son prénom. Emma ne possédait rien qui pourrait laisser deviner son prénom, et sa carte d'identité était enfouie au fond de son sac. L'inconnu avait-il fouillé ?
La jeune fille décida de se lever, et de faire face à cet étranger qui l'apeurait de plus en plus. Elle étendit donc chacun de ses membres, non sans mal, s'assit sur le banc, puis s'appuya sur ses jambes pour enfin tenir debout. Elle s'étira de toutes ses forces avant de se retourner vers cet homme, toujours assis et immobile. Dans l'obscurité, Emma avait du mal à discerner ses traits. Il se tenait droit, une jambe croisée sur l'autre, les mains plongées dans les poches de son grand manteau.
— Je n'arrive pas à distinguer votre visage dans cette obscurité. Je ne vous connais pas Monsieur, et je ne vous ai jamais appelé. Soit vous me dites la vérité quant à votre présence ici et vous vous placez à la lumière pour que je puisse voir votre visage, soit vous me laissez seule sur ce banc, déclara Emma d'une voix calme, sans laisser paraitre ses interrogations et ses doutes, en se dressant, les bras croisés devant l'homme.
Ce dernier se leva sans un mot, sans un regard pour la jeune fille. Il traversa la route enneigée et s'arrêta sous un immense lampadaire encore allumé. Il se tourna vers Emma, toujours sans un mot, la fixa, et resta droit, immobile, ignorant les flocons de neige qui se fracassaient avec douceur sur ses cheveux bruns.
La jeune fille, qui l'avait suivi du regard, fut stupéfaite quand elle le vit à la lumière. Elle le connaissait... C'était lui, lui qui depuis une semaine maintenant habitait ses rêves, lui qui pleurait, lui qui portait ce mystérieux blason sur sa poitrine. Il se tenait devant elle, dans l'impassibilité la plus totale. Elle n'avait jamais entendu sa voix dans ses songes, mais elle se souvenait bien de chacun de ses traits.
Ses yeux verts, posés sur elle, brillaient d'une charmante mélancolie. Ses joues légèrement creusées, et recouvertes d'une barbe naissante, étaient la preuve d'un homme marqué par la vie. Sa grande silhouette, bien qu'habillée d'une longue cape noire, inspirait respect et crainte.
Oui, cet homme debout dans la neige, sous cette lumière artificielle était bien celui qu'Emma observait dans ses songes, en haut de la colline. Mais comment pouvait-on voir un homme dans ses rêves, sans même le connaitre, puis le rencontrer dans la réalité ?
Emma avait-elle rêvé de lui parce qu'il était réel, ou bien le voyait-elle dans la réalité parce qu'elle était en ce moment en train de rêver ? Peut-être dormait-elle encore sur ce banc, sous cette neige glaciale. Et si tout, depuis le début, n'était en fait qu'un songe créé par son subconscient pendant une nuit interminable ?
Emma se réveillerait, elle retrouverait ses parents, par une chaleur étouffante, tout serait normal... Si elle se trouvait en ce moment dans un rêve, alors elle pourrait suivre cet homme mystérieux sans aucune crainte. Et si elle se trouvait dans la réalité, alors elle pourrait le suivre, non sans crainte, mais poussée par une insatiable curiosité.
Tous deux se fixaient, attendant que l'autre prenne la parole. Emma décida alors de s'avancer, lentement, presque théâtralement, vers la lumière. Elle leva les yeux vers lui, lui tendit sa main et déclara :
— Emma Dalanore. Je veux bien vous prêter une partie de mon banc, qui n'est pas vraiment mon banc puisque c'est un bien public, mais qui a le mérite de m'avoir réconfortée une partie de la nuit, pour que vous m'éclaircissiez quant à votre identité et à vos intentions.
L'homme hésita quelques secondes, puis serra la main d'Emma en signe d'approbation, et tous les deux retournèrent s'asseoir sur le banc glacé.
— J'imagine que tu as décidé de m'accorder un tant soit peu de confiance, Emma, laisse-moi donc te conter mon histoire.
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