Fuite vers la Ville (Partie 2)

Les chiens se mirent à couiner. L'attelage d'Emma vacilla, tandis que Jean essayait d'en reprendre le contrôle. Juste derrière eux, monsieur Dalanore actionna le frein d'urgence et tenta de dévier la trajectoire de son propre véhicule Le traineau dessina un arc de cercle dans la neige et manqua de culbuter les chiens, qui hurlaient de plus belle.

Les deux attelages se renversèrent dans un vacarme épouvantable. Madame Dalanore serrait Arthur dans ses bras, protégeant sa petite tête des chaos. Tous furent projetés sur le sol glacé. L'humidité transperçait leurs vêtements, engourdissait les parties découvertes de leur peau.

Jean, étalé de tout son long émit un grognement. Ses vieux os fourbus le faisaient souffrir. Il souffla en étendant le bras, et attrapa l'ancre du bout des doigts, pour tenter d'immobilier le traîneau. Il hurla à monsieur Dalanore de faire de même, et ordonna à ses chiens de stopper leur course. Les bêtes qui jappaient dans un brouhaha infernal. La meute se voulait de plus en plus nerveuse, comme si elle ressentait l'angoisse qui s'emparait peu à peu de Jean.

Emma, qui avait été éjectée plus loin, toujours enfoncée dans la neige, grimaça en posant une main sur sa cuisse blessée. Elle haletait, mélange d'adrénaline et de douleur. Les sourcils froncés, la mâchoire serrée, elle releva la tête et s'appuya sur ses bras pour s'asseoir. Elle se retrouva nez à nez avec des bottes, droites, enfoncée dans la poudreuse. Aveuglée par le froid qui brûlait ses rétines, la jeune tendit le bras pour que son père l'aide à se relever.

— Emma ! cria monsieur Dalanore à quelques mètres de là.

— Emma, répéta Jean dans un murmure éloigné.

En entendant l'écho de leur voix, l'adolescente comprit que l'individu aux bottes n'était pas son père. La jeune fille intensifia la pression sur son bras pour se relever un peu plus. Le cou tordu, le regard porté vers le ciel, elle vit cet inconnu se dresser devant elle. Elle crut apercevoir un rictus malveillant se dessiner sur son visage.

Toujours assise, Emma émit un cri et se recula activant ses bras derrière elle, battant ses jambes contre le sol pour donner l'impulsion nécessaire à sa fuite. En un instant, elle oublia sa douleur. Elle tentait de maîtriser les battements de plus en plus irréguliers de son cœur. Les yeux écarquillés, le souffle court, elle observait cet homme qui tenait une longue barre de fer entre ses mains, qui lui adressait un regard sombre. Il ne l'aiderait pas à se relever.

L'adolescente se cramponna aux bretelles de son sac à dos qui avait résisté à l'accident. Au loin, elle entendait les sanglots d'Arthur, les râles de Jean. Emma n'osait pas tourner la tête, de peur que l'individu l'assomme, profitant d'une seconde d'inattention. Les chiens glapissaient dans un couinement. Les entrailles de la jeune fille se tordaient.

— Qui... qui êtes-vous ? tenta-t-elle.

L'homme s'avançait à mesure qu'elle reculait. Il était debout. Elle était assise et blessée. S'il avait voulu la tuer, il l'aurait déjà fait.

— Tu la fermes, et tu rejoins les autres, grogna-t-il, en pointant le groupe du doigt.

L'adolescente se retourna et vit que derrière elle, un autre homme et une femme entouraient Jean et sa famille. L'un d'eux l'attrapa par les épaules, la souleva et la traina sans ménagement. Lorsque l'agresseur laissa retomber la jeune fille à terre, madame Dalanore se précipita vers elle pour la serrer dans ses bras. La femme laissa échapper un long sanglot, mêlé à un hoquet incontrôlable.

Emma sentait chaque partie de son corps la brûler. Pourtant, elle grelottait. Elle soufflait doucement pour retenir ses larmes. Elle devait trouver un moyen d'échapper à ces preneurs d'otages. La jeune fille observa tout autour d'elle, plissant les yeux pour dissiper la terreur qui lui brouillait la vue.

Les deux traineaux, gisaient là, renversés, Les bagages de la famille traînaient, éparpillés dans la neige. Un peu plus loin, un des hommes menaçait les chiens avec une barre de fer. Son pantalon avait été déchiré, du sang frais dégoulinait dans la neige blanche.

— Sales clébards ! hurlait-il.

Jean, encore allongé, respirait difficilement. Il attrapa la main de monsieur Dalanore, le suppliant en silence de sauver ses chiens. Emma s'extirpa des bras de sa mère et se précipita vers le vieil homme pour l'aider à se relever. La jeune fille avait capté le dialogue muet qui s'était installé entre père et grand-père.

— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda monsieur Dalanore.

L'instant d'une seconde, oubliant la douleur et le ressentiment des heures passées, Emma croisa le regard de son père. Elle ne voulait pas qu'il se mette en danger.

— Ce qu'on veut ? demanda le plus grand des assaillants, affichant toutes ses dents dans un sourire malsain. On veut la même chose que vous. Survivre, expliqua-t-il en resserrant son emprise sur la barre de fer.

Le cœur d'Emma s'accéléra encore. Allaient-ils les frapper ? Ils ne pourraient pas riposter. Madame Dalanore pleurait à larmes glacées, Jean était trop affaibli pour riposter.

— D'accord, d'accord, articula monsieur Dalanore en tendant une main devant lui pour engager le dialogue. C'est plutôt bon signe si on veut tous la même chose. Si vous allez vers la ville, on peut vous conduire.

L'homme ricana. Ses acolytes l'imitèrent en se rapprochant de la famille. Ils arboraient tous un air menaçant, plus glacial encore que le paysage hivernal.

— Je me suis mal exprimé, reprit-il. On veut ce que vous avez, mais sans vous. La ville ? On n'a plus rien à y faire. C'est la loi du plus fort, maintenant. Et comme vous vous êtes faibles, vous allez gentiment me donner toutes vos affaires.

— Et vous nous laisserez partir ? demanda monsieur Dalanore.

Du coup de l'œil, l'homme observait Jean qui avait enfoui une main à l'intérieur de son manteau.

— Maman, maman, je ne veux pas qu'ils prennent mon Patapouf, pleurnichait Arthur.

Madame Dalanore berçait son fils, lui répétant qu'il ne devait pas s'inquiéter.

— À vous de voir si vous coopérez, cracha l'agresseur en lançant un regard mauvis à Arthur.

Le petit garçon détourna les yeux et enfoui son visage humide dans le cou de sa mère.

— C'est d'accord, répondit monsieur Dalanore.

Accroupi, il tenait ses mains ouvertes devant lui, en signe de reddition. Il déplia peu à peu ses jambes pour se relever sous le regard inquiet de sa femme et d'Emma. L'homme s'avança doucement vers les bagages et ramassa les sacs tombés à terre pour les placer aux pieds de ses assaillants. Essoufflé, tentant de masquer sa peur, il retourna près de sa famille.

— Voilà, voilà, conclut-il d'une voix basse. Vous avez ce que vous voulez, vous pouvez nous laisser maintenant.

L'homme, d'un geste de main, indiqua à ses sous-fifres qu'ils pouvaient ouvrir les sacs et se servir. Il émit un ricanement tonitruant et s'approcha de Jean pour le remuer de son pied. Le vieil homme laissa échapper un râle de douleur en s'accrochant fermement à Emma.

— Il a l'air mal en point, se moqua l'odieux individu. Vous devez vous dépêcher de l'emmener à l'hôpital. À moins que...

Son sourire s'agrandit encore.

— À moins qu'il n'y ait déjà plus de place. À moins qu'on y laisse des enfants mourir pour accueillir ces pauvres petits villageois ! hurla-t-il dans l'infini glacé.

Il se retourna vers la famille. Ses yeux rougis, son teint blafard effrayait Arthur, toujours blotti dans les bras de sa mère.

— Écoutez, je ne sais pas ce qui vous est arrivé là-bas, tenta monsieur Dalanore. Mais on peut trouver une solution.

— Ah oui ? Une solution ? Dites-lui ça à elle, cracha-t-il en pointant du doigt la femme qui l'accompagnait.

L'homme porta la barre de fer au dessus de ses épaules, menaçant la famille.

— Je veux le traîneau aussi, continua-t-il d'une voix rauque.

— Non, pas mes chiens, souffla Jean en s'accrochant au col d'Emma pour tenter de se redresser.

— D'accord, le coupa monsieur Dalanore. Laissez-moi vérifier les véhicules et les cordages. C'est pour votre sécurité, je justifia-t-il.

L'assaillant hésita un instant avant d'acquiescer.

— J'ai besoin d'aide, demanda monsieur Dalanore. Ma fille connait les chiens, elle pourra m'aider à les tenir.

— Je vous ai à l'œil, grogna l'agresseur.

Emma enleva son écharpe et la cala sous la tête de Jean avant de rejoindre son père vers les deux traîneaux. Elle s'accroupit près de lui, et caressa doucement les chiens qui couinaient à l'unisson. Lorsque l'assaillant détourna son attention suffisamment longtemps, monsieur Dalanore accrocha la ligne de trait à la cheville de sa fille.

Emma fronça les sourcils en fixant son père. Au bout de la corde, elle sentait que les chiens commençaient à s'agiter. La jeune fille, qui avait compris l'intention de son père, dodelina de la tête. Il resserra le nœud en lui adressant un petit sourire.

— Ne fais pas ça. Je suis la seule à pouvoir t'aider, chuchota-t-elle en remuant à peine les lèvres.

Monsieur Dalanore passa une main sur sa joue, la supplia de ne pas s'inquiéter. La bouche de la jeune fille tremblait. Les larmes se bousculaient sur le seuil de ses yeux. Emma se pencha légèrement et attrapa un projectile échoué tout près d'eux. Elle le glissa dans la main de son père, comme la promesse d'une maigre défense.

— Oublie-nous, lui ordonna-t-il. Tu dois retrouver tes vrais parents. C'est ce qu'ils auraient voulu.

— Moi j'aurais voulu des vraies réponses. Ce qui compte c'est que vous m'aimiez.

L'homme afficha une grimace contrite et secoua la tête de droit à gauche. Les larmes qui coulaient sur ses joues semblaient hurler.

— Tes parents ont une histoire difficile. C'est... c'est un contrat, grogna-t-il.

Emma écarquilla les yeux. Son cœur se déchira. Une sensation de nausée s'empara d'elle. Soudain, l'agresseur porta son attention sur eux. Il afficha une grimace désappointée. Monsieur Dalanore, leva l'ancre. D'une voix autoritaire, il ordonna aux chiens de reprendre la route.

L'adolescente se sentit happée à une vitesse incroyable. Son corps se soulevait légèrement du sol. La neige s'engouffrait dans ses yeux, se plaquait sur son visage. Elle entendit le cri de sa mère au loin.

Un dernier instant de conscience. Les pas des chiens sur la neige. Le vent glacé sur ses joues. Seul l'évanouissement vînt au secours de cette enfant abandonnée, traînée sur le sol glacée, dans un paysage désert et immaculé.




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