Fuite vers la Ville (Partie 1)
Emma enfila son manteau en lançant un regard inquisiteur à ses parents. Monsieur et madame Dalanore baissèrent les yeux pour échapper à la torture de ses interrogations silencieuse. Dehors, les chiens aboyaient, ramenant la famille à la réalité de leur départ imminent.
Les prunelles de la jeune fille s'humidifièrent. Combien de temps encore ses parents allaient-ils fuir ses questions ? Emma rabattit sa capuche sur sa tête et passa le seuil de la porte. Le vent piqua ses joues, la neige craqua sous ses pas. Arthur était là. Il courait autour des traîneaux en riant, serrait les chiens agités dans ses petits bras.
— Regarde 'Ma, on dirait des nounours ! Mon préféré, c'est Gloups, s'exclama l'enfant.
La jeune fille lui adressa un sourire avant de rejoindre Jean qui finissait de préparer le deuxième attelage. Elle s'approcha des bêtes pour caresser leur pelage épais, admirer leur robe charbonnée.
— Ce sont des Huskies de Sibérie, expliqua le vieil homme. Il y a six chiens par attelage. La plus vieille, c'est Héra, elle a six ans. Et le plus jeune, c'est Norfu, il va bientôt avoir deux ans.
Les bêtes plongeaient leurs museaux dans le cou d'Emma qui s'était accroupie près d'eux. Sautant et glapissant de joie à l'idée de se défouler dans la neige, les chiens manquèrent de renverser Emma qui afficha une grimace en recevant un choc sur sa cuisse blessée. Pourtant, sa douleur se métamorphosa en éclats de rire au contact de ces animaux remplis de vie.
— Bien, la ligne de trait est en place, affirma fièrement Jean en posant ses mains sur ses hanches. Tu vois, elle est composée de plusieurs parties, expliqua-t-il à Emma. La ligne centrale, colonne vertébrale de l'attelage, la ligne de cou, qui maintient les chiens côte à côte, et la ligne de queue qui permet d'attacher les chiens au véhicule.
Accroupi dans la neige, le vieil homme fixait ses fidèles compagnons, un sourire béat aux lèvres. Les yeux azurs de Jean se cofondaient à leurs prunelles de glace. Dans une symbiose parfaite, maître et mâtins ne faisaient plus qu'un.
— C'était votre métier ? demanda Emma en se tournant légèrement vers son aîné.
— M'occuper de mes chiens ? Non, ce n'est pas un métier, c'est une passion ! s'exclama-t-il. J'ai rejoint la Fédération Française de Traîneau à Chiens dans les années quatre-vingt-dix avec ma bien-aimée. C'est ce qui nous faisait vivre, soupira-t-il en fixant Emma de ses prunelles humides. Aujourd'hui, c'est ce qui me fait survivre.
Jean sortit un mouchoir en tissu de sa poche et essuya ses yeux ridés. Il se racla la gorge et continua :
— Oui, les chiens, et ma petite fille, Léonie, sont mes deux plus grandes raisons de vivre. Mais assez parlé de tout cela. Mon métier consistait à observer le ciel.
Le regard d'Emma s'illumina. Sa bouche se courbait sous le regard interrogateur de Jean.
— Oh, vous avez peut-être des théories sur la tempête de neige, alors ? tenta la jeune fille.
— Oui, j'ai ma théorie, bien sûr. Mais enfin, qui n'a pas la sienne ?
Jean se releva en tapotant ses cuisses pour enlever la neige qui s'y était amassée.
— Toute cette neige enchante mes chiens, continua-t-il en les pointant du doigt. Mais cela dépasse l'entendement. Même pour un vieux bougre comme moi.
— Vous avez dit à mes parents que ça allait durer longtemps, insista Emma.
— En effet, soupira l'homme. C'est ce que mes instruments semblent indiquer. Bien, il est temps de partir maintenant.
Jean installa tous les voyageurs sur les traîneaux. Madame Dalanore s'assit sur le premier véhicule en tenant Arthur sur ses genoux, tandis que monsieur Dalanore serait musher (1) d'un jour.
— Rappelez-vous des instructions que je vous ai données. Ce n'est pas très compliqué, vous allez voir. Il suffit de bien communiquer avec les chiens, expliqua Jean en tapotant l'épaule de monsieur Dalanore. Le trajet va durer une petite heure. Je vous déposerai à l'entrée de la ville. Mettez vos capuches et surtout accrochez-vous bien !
La famille acquiesça. Les chiens, eux, se voulaient de plus en plus impatients. Ils tiraient sur la ligne de trait, faisant remuer le traîneau. Arthur, apeuré, avait enfoui sa tête dans le cou de sa mère, et s'accrochait à elle de toutes ses forces.
Un peu plus loin, Jean retrouva Emma sur le deuxième véhicule. La jeune fille tremblait imperceptiblement, son estomac se nouait.
— Tu voudrais que je t'apprenne à piloter ? demanda le vieil homme en invitant son hôte à prendre place près du guidon.
Le cœur de la jeune fille s'accéléra. Elle émit un petit rire nerveux. Sa raison oscillait entre peur et euphorie. Elle ne pouvait être aux rênes du traîneau, Emma savait bien que sa maladresse les ferait chavirer au premier tournant. Pourtant, elle ne pouvait refuser une telle opportunité. Elle voulait vivre cette expérience incroyable.
La jeune fille inspira profondément et acquiesça d'un signe de tête. Elle se pinça les lèvres pour réprimait le sourire d'excitation qui naissait sur son visage et prit place auprès de Jean.
— C'est simple, la rassura le vieil homme, tu n'as qu'à freiner les chiens lorsqu'ils vont trop vite. Le maître mot est fermeté et bienveillance.
Les animaux piaffaient d'impatience. Ils tiraient avec force sur la ligne de trait. Emma, suivant les instructions de Jean, se pencha pour lever l'ancre. Soudain, une secousse brutale se fit ressentir. Toute l'énergie déployée par les mâtins en furie arracha le traîneau de son emplacement, laissant une grande trainée dans la neige immaculée. Les aboiements, éclats de joie, résonnèrent dans la plaine. .
La jeune fille s'accrocha comme elle put, se brûlant les mains au contact du guidon. Une sensation intense se propagea dans tout son corps. L'adrénaline se déversait en elle. La cadence de son cœur se voulait de plus vive, si bien qu'elle sentait ses veines battre dans son cou. L'air froid fouettait son visage qui se crispa peu à peu dans un sourire incontrôlé.
Rapidement, le premier virage se présenta. Emma n'eut pas le temps de réfléchir au mouvement à effectuer que, déjà, le traîneau tanga dangereusement. Elle allait perdre son équilibre. Elle allait être éjectée dans la neige.
— Non ! hurla-t-elle en se crispant un peu plus.
La douleur lancinante de sa cuisse la déstabilisa encore. Jean, d'un geste précis, déporta le poids de son corps pour rééquilibrer le traîneau et passer le virage sans se renverser. Juste derrière, monsieur Dalanore, qui avait vu la scène, anticipa le tournant qu'il passa sans encombre.
Tous soupirèrent silencieusement, et poursuivirent leur périple. Peu à peu, Emma s'habitua à la conduite de traîneau, à la vitesse et aux chaos. Elle parlait avec les chiens d'une voix de plus en plus assurée. Lorsque les montées se voulaient trop ardues, elle descendait du véhicule, poussait et courrait pour soulager les bêtes. Lorsqu'un autre virage serré se présenta, elle tira avec tout son poids vers l'extérieur, guidée par Jean.
L'éclat de son rire se mêla aux aboiements, au vent et aux flocons de neige qui s'écrasaient encore sur la terre. Le paysage immaculé défilait à une vitesse inouïe. La jeune fille avait l'impression de voler. Une sensation de liberté emplissait tout son corps. Elle se sentait vivante. Elle ne pensait plus à rien, ni à Claire, ni au mystérieux blason, ni à la réaction étrange de ses parents.
Soudain, un projectile imposant atterrit à côté d'eux. Un second, évité par le chien de tête. Puis un troisième. L'attelage se dissipa et ne répondit plus aux ordres d'Emma. Jean prit le relais. D'une voix forte et autoritaire, il donnait ses ordres.
Malgréleurs efforts, un dernier projectile les toucha.
(1) Le musher est la personne qui dirige les traîneaux
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