Épreuves à la Compériale (Partie 1)


Ce matin là, Emma se réveilla de bonne heure, incapable de dormir plus longtemps, torturée par l'excitation d'une aventure nouvelle, d'une journée décisive. Aujourd'hui, elle allait se rendre sur le Fort, qui, abritant habituellement la Tête Chercheuse, laisserait momentanément place aux épreuves de la Compériale. L'école la plus prestigieuse du pays. L'école où se formaient les plus grands Protecteurs des Rêves. A cette pensée, l'adolescente se prépara rapidement, avant de s'attabler aux côtés de Félicie et d'Eliott, qui l'attendaient déjà.

— Comment te sens-tu, Emma ?

La vieille femme, rayonnante, noua les cheveux de la jeune fille à l'aide d'un magnifique ruban bleu ciel pour lui signifier, avec pudeur, toute l'affection qu'elle lui portait ; lui offrir ce morceau d'étoffe, comme geste protecteur et promesse de bonne fortune.

— Je suis impatiente, déclara Emma dans un sourire franc. Mais je ne sais pas à quoi m'attendre et j'ai peur de ne pas être à la hauteur.

— Nous en avons déjà parlé, répondit Félicie en s'asseyant sur un petit tabouret, en face de l'adolescente. Être admis à la Compériale n'est pas gage de réussite, et échouer aux sélections ne mettra pas en jeu ton avenir. Chaque Somnius a sa place dans une des Universités Royales qui correspond le mieux à ses aspirations.

— Je sais, souffla-t-elle dans un sourire timide.

La jeune fille passa une main sur le tissu fin et satiné qui ornait ses cheveux. Une étincelle de détermination anima son regard, son visage s'éclaira, son corps entier se redressa, et ses lèvres, lasses d'émettre un murmure tremblotant, formulèrent ce souhait ardent :

— Je sais, mais c'est important pour moi, d'entrer à la Compériale. Je dois prouver que j'appartiens à ce Monde. Je veux protéger les Rêves.

Félicie laissa échapper un petit rire, avant de poser son regard sur son fils, qui, d'une main avalait une dernière gorgée de café, et de l'autre, refermait cette immense boite rectangulaire, dans laquelle se répandaient des milliers de flocons glacés pour préserver la fraicheur des victuailles entreposées. 

Lorsqu'Eliott se retourna et croisa les prunelles de sa mère, ils se souvinrent, dans un écho silencieux, des paroles que l'homme, dans ses jeunes années, avait lui aussi prononcées. N'était-ce pas là toute la force de la jeunesse, vouloir refaire le monde, dans une détermination impétueuse, dans une naïveté téméraire ?

Le Protecteur se rapprocha de l'adolescente, posa fermement ses paumes sur la table, et riva son regard dans le sien pour sonder les tréfonds de son âme.

— Protéger les Rêves implique de faire des sacrifices, Emma. Le sais-tu ? Beaucoup trop d'Hommes bien-pensants propagent leur vision d'un monde juste, comme s'il n'existait qu'une seule vérité, avachis sur l'assise moelleuse de leurs fauteuils. Protéger les Rêves, Emma, ce n'est pas prouver au monde ta valeur et ta force. Il faut agir, dans l'ombre, avec humilité, jour après jour, au péril de sa propre vie.

La jeune fille voyait les muscles du Protecteur se tendre sous la peau nue de ses bras, les veines de ses tempes battre à tout rompre, sa mâchoire se crisper. Imperceptiblement. Il ne voulait pas la brusquer. Il se radoucit aussitôt et relâcha ses membres. L'ombre de ses prunelles se dissipa, sa voix s'étouffa :

— Je sais ta sincérité, et la pureté de tes intentions, Emma. Mais souviens-toi, lorsque viendra ton tour, des paroles du vieux Protecteur.

Alors qu'Emma ressassait ces mots, emprunts de force, plus déterminée encore face à l'importance de cette mission qu'elle venait à l'instant de faire sienne, Eliott attrapa la veste que le porte-manteau lui tendait, dans une révérence.

— Le moment est arrivé, nous devons y aller. Des transporteurs se chargeront d'acheminer tes affaires jusqu'au Fort, où les épreuves se déroulent.

Sur ces mots, la jeune fille se leva, embrassa Félicie et suivit Eliott dans la petite montgolfière, prête pour ce nouveau départ. Lorsque l'engin décolla, l'ombre de la nacelle se fit de plus en plus petite sur le sol, et la vieille femme, qui saluait les voyageurs par des grands mouvements de bras, devint finalement invisible.

Emma resta silencieuse pendant une longue partie du trajet, se préparant intérieurement aux épreuves inconnues qu'elle allait devoir affronter. Faudrait-il être fort, intelligent, courageux ? A cette pensée, les battements de son cœur se rapprochèrent, un nœud se noua dans son estomac, une vague de chaleur remonta jusqu'à ses joues, roses d'inquiétude. 

La jeune fille inspira profondément, tentant de camoufler les signes de son anxiété. Elle allait y arriver. Elle s'en donnerait les moyens. Emma secoua la tête pour chasser ces pensées étourdissantes, et observa Eliott, qui gérait avec précision l'altitude de la montgolfière toujours portée par une multitude de papillons multicolores.

— La montgolfière est le seul moyen d'accès au Fort ? demanda alors l'adolescente pour briser le silence.

— Non ce n'est pas le seul, nous pouvons également y accéder par voie maritime. Seuls quelques privilégiés ont le droit d'utiliser la voie aérienne. A vrai dire, en tant que Protecteur des Tigres, je suis une des rares personnes autorisées à atterrir sur le Fort. La plupart du temps, il faut accoster regarde, nous allons survoler la mer.

Emma se pencha légèrement par-dessus la nacelle de l'engin, accrochant fermement ses deux mains sur le rebord. Elle remarqua avec stupeur que des centaines de personnes se déplaçaient sur l'eau sans l'aide d'un quelconque moyen de transport maritime connu. Les yeux écarquillés, fixant les individus qui naviguaient dans des barques invisibles, la jeune fille retint un instant sa respiration, et tenta difficilement d'articuler :

— Qu'est-ce... Comment ?

— Nous n'utilisons pas de bateaux pour nous rendre au Fort. Cela serait non seulement trop dangereux, mais en plus, cela encombrerait le réseau maritime, les jours de grande affluence.

— Mais là, il n'y a rien du tout ! s'exclama-t-elle en se penchant un peu plus, les yeux plissés, le nez retroussé, pour mieux voir en contrebas.

— Bien sûr que si ! rétorqua Eliott dans un éclat de rire irrépressible. Nous utilisons les vagues. Nous les avons sculptées. L'instant de quelques minutes, elles peuvent transporter des voyageurs de l a rive jusqu'au Fort.

Emma se retourna vers le Protecteur et lui adressa une œillade sévère, se sentant honteuse d'être toujours surprise par les subterfuges des Somnius. L'homme reprit alors son air sérieux et expliqua :

— Nous avons la possibilité, une journée par an, d'utiliser notre Énergie pour créer ce genre de phénomène qui est très rare et difficile à obtenir. Par un procédé que seuls les alchimistes les plus brillants connaissent, les vagues vont se solidifier et faire office de barque. Il suffit de déposer une goutte de notre Énergie liquéfiée dans l'eau pour qu'une réaction se produise. La perle, en touchant la surface de l'onde, va créer des milliers d'autres petites gouttes qui vont s'agréger les une aux autres et prendre la forme plus ou moins réussie d'une barque. Les passagers s'y installent alors et se rendent jusqu'au Fort. Une fois arrivée à destination la barque se dématérialise et se fond dans la mer.

— Élémentaire, ironisa à son tour Emma en se retournant vers les flots marins. C'est comme s'ils voguaient sur une barque en verre, qui serait invisible de notre distance, ajouta-t-elle pour elle-même. Ce n'est pas dangereux ?

— En principe non. Il faut s'assurer qu'il y a assez d'Énergie pour pousser la vague. Mais quelques accidents ont tout de même eu lieu dans des circonstances assez particulières. C'est pour cette raison que les normes de sécurité ont été renforcées.

Plus ils se rapprochaient du Fort, plus Emma saisissait l'immensité de cet incroyable bâtiment de pierre. La petite montgolfière se posa finalement sur une plateforme de verre multicolore, et la jeune fille descendit avec hâte pour enfin le découvrir.

Cet édifice centenaire d'une majesté inégalée.

Elle s'avança devant les immenses portes de bois, sur lesquelles était gravée l'image du blason royal, et resta figée devant la hauteur spectaculaire du bâtiment, entendant à peine la voix du Protecteur.

— Je te laisse ici, Emma. Il est temps pour toi d'entrer, et de faire tes preuves.

La jeune fille afficha un sourire de gratitude et entendit l'homme s'éloigner, de sa démarche lente et solennelle. Lorsqu'elle sentit le souffle de la montgolfière qui s'élevait dans les airs, elle se retourna légèrement, pour lui faire un signe de main, ignorant volontairement le pincement qui serrait de plus en plus son cœur, à mesure qu'il s'éloignait.

Emma se retrouvait seule devant ce géant de pierre, sans pouvoir faire chemin inverse. Elle franchit alors les portes qui s'ouvrirent sur son passage, et admira le spectacle qui s'offrait à elle. Immense arène ovale, ce Fort, bâti sur trois étages aux proportions rivalisant avec la hauteur d'une cathédrale, abritait des trésors d'architecture et sa stature défiait avec force la puissance de l'océan.

Le corps du bâtiment, tel un papillon était surplombé de deux grandes ailes, sculptées dans la pierre, recouvertes de cristaux reflétant, dans d'infinies nuances, les rayons du soleil. Aucune voûte ne recouvrait la partie centrale de l'édifice, ayant pour seule protection la douceur du ciel. Autour de l'allée centrale, amas de pierres grises qui traversait le Fort dans sa longueur, un sol de verre multicolore, fragile mosaïque laissait entrevoir les animaux marins.

Au bout de cette allée, un majestueux escalier menait aux étages supérieurs, jonchés d'arcades sculptées dans la pierre et recouvertes de végétation, à l'image des cloitres les plus cérémonieux.

Emma, qui ignorait la foule, traversa le Fort dans sa longueur et grimpa l'escalier, marche par marche, pour découvrir avec fascination la hauteur presqu'infinie des plafonds. Sur les côtés, des centaines de portes toutes différentes les unes des autres se succédaient, abritant sans doute des trésors inimaginables, ou peut-être des instruments de torture, elle le saurait bien assez tôt. 

Debout, sur cette mezzanine qui parcourait l'édifice la jeune fille gardait une vue imprenable sur le rez-de-chaussée, où des milliers d'adolescents de son âge attendaient impatiemment que la cérémonie ouvre les épreuves à la Compériale.

Pourtant, Emma décida de rejoindre le dernier étage pour se placer en face de l'escalier principal par lequel elle était montée. De cet endroit, elle pouvait observer l'immense fontaine présente au centre de l'édifice, illuminée d'une aura fabuleuse, au dessus de laquelle flottait fièrement le blason royal. L'eau, aux reflets irisés, semblant provenir tout droit de l'océan, s'y déversait abondamment.

Observant avec fascination les bouquets de fleurs déposées sur les majestueuses colonnes du Fort, la végétation rampante sur chaque arcade, les symboles du pays, des Rêves et de la Royauté finement brodés sur des étoffes flottant le long de chaque balustrade, Emma sentit une douce chaleur envelopper tout son corps.

Son cœur ne s'emballait pas, ses yeux ne brillaient pas, ses mains ne tremblaient pas. Ce spectacle, qui, d'ordinaire, l'aurait émue, lui procura une sensation toute autre. 

Une sensation qu'elle connaissait bien.

A ce moment même, Emma ressentit une immense vague de joie. 

Une étincelle pouvant illuminer la plus terrible des tempêtes...

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Hello les voyageurs inter-storiques ! 

Pour rappel, la Compériale est une école très importante dans le pays. Elle permet de former une poignée de Somnius qui vont devoir tout apprendre sur le fonctionnement des Rêves et de l'Energie afin d'assurer la protection du Monde des Somnius (les étudiants de la Compériale ne deviendront pas des gardes, comme les Custodis, mais plutôt des ambassadeurs de leur Monde). 

Jusqu'ici, Emma a découvert ce nouveau Monde avec beaucoup de fascination, mais ces  épreuves vont-elles révéler un nouveau pan (pas Peter, je vous vois venir) de sa personnalité ?

Une idée sur la suite immédiate de ce chapitre ? ;D

Ah oui, et le Fort, ça vous dit quelque chose ? 

Bon Week-End à vous ! 


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