Épreuve orale (Partie 3)
Alors que Claire terminait son récit en gesticulant, le compte à rebours géant marqua la fin des épreuves et une voix retentit dans l'immensité du Fort.
« Chers candidats, nous déclarons cette dernière épreuve close. Il est temps pour les jurys de se réunir pour délibérer. Dans une heure, le verdict définitif sera rendu, et la nouvelle promotion pourra découvrir la mission pour laquelle elle a été choisie. »
— Ma mission pour l'instant, c'est d'aller manger, déclara Claire alors que des salves d'applaudissements retentissaient dans le Fort.
La jeune fille, remarquant qu'un buffet se dressait pour fêter la fin des épreuves, se faufila rapidement dans la foule pour assouvir sa faim, suivie de près par Maiwenn.
Emma, quant à elle, resta sur place et observa les candidats qui circulaient sur le Fort. Dans une heure, ils ne seraient plus que cent. Les festivités se préparaient, les portes du géant de pierre frémissaient attendant de laisser entrer les familles des adolescents.
Anxieuse, la jeune fille tenta pourtant de répondre aux sollicitations de ses amies, d'oublier l'agitation extérieure, et la probabilité certaine de ne pas être admise à la Compériale. Le temps passa lentement, jusqu'à ce que mille strapontins, semblables à ceux de la cérémonie d'ouverture, sortent du sol. Chaque candidat fut invité à s'asseoir, attendant patiemment que le jury ait fini de délibérer.
Les grandes portes du Forts s'ouvrirent dans un grondement solennel, puis, peu à peu, les proches des candidats entrèrent et se placèrent aux étages, le long des arcades, pour pouvoir admirer la cérémonie tant attendue. Une nuée de papillons s'envola pour former des écrans géants en haut de l'escalier principal, les blasons de la famille royale se déplièrent sur un tissu brodé d'or, intimant le silence à tous les spectateurs.
Porté par un chant épique qui s'élevait dans l'enceinte du bâtiment, le Doyen de l'école, suivi du Vice Président, puis des membres du jury, entra par l'entrée principale. Tous avancèrent dans une lente procession, le long du chemin principal, recouvert d'un tapis pourpre, bordé par les sièges des candidats qui se retournaient pour assister à cette avancée lourde de sens. Les hauts dirigeants de l'école montèrent l'immense escalier, décoré de fleurs multicolores, et se placèrent en son sommet.
Le Doyen, vêtu d'une longue veste violette se plaça au centre et leva les bras pour commencer son discours dans un tonnerre d'applaudissements, qui s'évanouit lorsque sa voix résonna dans le Fort.
— En ce jour particulier, alors que vous étiez cinq mille à votre arrivée, vous n'êtes plus que mille. Parmi vous, qui avez réussi à affronter toutes les épreuves élaborées pour vous tester, seuls cent ont réussi à convaincre les membres du jury.
Emma, assise entre Maiwenn et Claire, soupira pour évacuer l'angoisse qui envahissait sa poitrine. Elle leva la tête vers les étages pour tenter d'y apercevoir une figure familière venue l'encourager, puis se résigna en se souvenant que ses parents ne seraient pas près d'elle en ce jour d'une importance particulière.
— Ceux qui ne seront pas admis à la Compériale ne devront pas considérer cette expérience comme une défaite, mais plutôt comme l'opportunité de pouvoir accéder à des formations elles aussi prestigieuses et reconnues dans notre monde.
— Moi, si je ne suis pas admise, je fais une école de théâtre, souffla Claire, les yeux brillants.
Emma lui rendit un léger sourire. Elle ne savait pas vraiment vers quelle école elle se dirigerait si elle ne faisait pas partie des Cents. Elle ne pensait pas avoir de talent ou de don particulier, de révélation qui la guiderait vers une route destinée.
— Vous avez tous un profil différent, avec votre propre personnalité, et il a fallu faire un choix. Alors sans plus attendre, sans se perdre dans un maelström de considérations, le temps est venu d'appeler les Cents.
Emma soupira de nouveau. Il lui restait cent noms pour se décider et choisir une autre école. Le Doyen saisit son charta avec la liste des candidats retenus, et les appela un à un, tandis que des centaines de papillons virevoltaient, dessinant les noms des Cents dans les airs.
— Pour sa créativité sans limites, Nathaniel Durthran est admis à la Compériale. Pour sa grande générosité, Alexandra Magasiduel est admise à la Compériale. Pour toute sa loyauté, Jasper Serfahle est admis à la Compériale.
Lorsqu'un nom était prononcé, un tonnerre d'applaudissement, des sifflements se faisaient entendre. Emma décomptait le nombre de candidats restants dans sa tête, tandis que Maiwenn se craquait nerveusement les doigts, et que Claire applaudissait avec force, une étincelle de joie illuminant ses yeux à chaque ovation.
— Pour sa grande joie de vivre, Claire De Baldorman est la cinquantième candidate admise à la Compériale.
La jeune fille lâcha un cri de joie, tandis que ses amies se ruèrent sur elle pour l'embrasser et la féliciter. L'excitation retombée, Emma continua à décompter, et vingt-cinq noms plus tard, elle tressaillit de nouveau aux côtés de ses amies.
— Pour son impressionnante franchise, Maiwenn Nemoris est admise à la Compériale.
Le Doyen continua son énumération. Plus il s'approchait du centième nom, plus Emma sentait la peur monter en elle, la submerger. Elle allait devoir quitter le Fort, elle ne pourrait jamais servir et protéger les Rêves.
Alors qu'il ne restait plus que dix candidats à appeler, Maiwenn et Claire commencèrent à observer leur amie, le regard plein d'espoir, et lui saisirent chacune une main, pour l'encourager. Chaque nom prononcé et applaudi, n'était pas celui de la jeune fille. Les mains des adolescentes, entremêlées, se crispaient de plus en plus. La tension s'intensifiait. Il n'en restait plus que trois.
— Pour son grand sang froid, Léonard Carnegie est admis à la Compériale.
Les claquements de mains résonnèrent, puis s'évanouirent pour laisser place à un silence pesant. Plus que deux. Le cœur d'Emma tambourinait. Sa vue se brouillait. Elle entendait vaguement ses amies auprès d'elle, et leur adressa un sourire, pour leur dire que ce n'était pas grave, que si elle devait partir, elle aurait été heureuse de participer à ces épreuves avec elles.
— Le choix a vraiment été très difficile, murmura le Doyen. Ce soir, pour sa grande sensibilité, sa grande humanité, pour son orgueil marque de son plus grand défaut et de sa plus grande qualité, j'ai l'honneur d'annoncer qu'Emma Dalanore est admise à la Compériale.
Sa respiration se coupa. Des larmes inondèrent ses paupières, non pas dans un flot de douleur et de peine, mais dans une cascade régénératrice de joie et de soulagement. Les applaudissements résonnèrent autour d'elle, et l'aspirèrent, d'un souffle, dans un tourbillon de bonheur. Ensevelie sous les baisers de ses amies, pour la première fois depuis des semaines, Emma laissa un rire franc et spontané l'assaillir.
— Merde, souffla-t-elle dans un réflexe. Maiwenn, tu vois, je suis vraiment une Somnius !
— Je n'en doutais pas, répondit son amie, emprise de la même émotion. Enfin...
Maiwenn baissa les yeux vers le sol.
— Je m'emporte facilement dans des moments de colère. Mais je ne pense pas mes paroles et je les regrette. Ne laisse jamais personne douter de toi, Emma.
Les amies s'enlacèrent quelques secondes encore, laissant la clameur et les claquements de mains s'évanouir. Dans un silence soudain, alourdi par l'angoisse de connaitre le nom du dernier candidat retenu, tous les regards se fixèrent sur le Doyen qui afficha un sourire rare.
— Je n'ai plus qu'une seule personne à appeler. J'imagine que tous ceux dont le nom n'a pas été tracé dans l'atmosphère du Fort doivent être tiraillés entre l'espoir de voir ce dernier être le leur, et la résignation d'une vaine défaite. Une seule et dernière personne doit être admise à la Compériale. Ce candidat dépasse de loin tous les autres, tant par les qualités qu'il possède que par l'assurance dont il a su faire preuve durant son oral. Ce candidat, nous en sommes sûrs, est destiné à une brillante réussite au sein de notre grand établissement. Pour son immense courage, sa rage de vivre et sa volonté de vaincre l'injustice, Louis Silaghore de Holmes est admis à la Compériale.
Dans un tremblement mêlant soupirs de tristesse et explosion triomphale, tous les candidats se levèrent et se tournèrent vers ce garçon assis au dernier rang. Le visage déconfit, le teint livide, il se tenait là, immobile, statue de sel forgée par les vestiges lacrymaux d'une âme asséchée. Pourtant, les trois amies le voyaient bien ; les grands yeux verts de Louis brillaient d'une profonde gratitude, son cœur semblait renaître.
Lorsque le vacarme retentissant s'apaisa, le Doyen frappa dans ses mains, renvoyant sur la terre ferme les candidats qui n'avaient pas été retenus, ainsi que leurs proches venus les soutenir. Seuls les Cents et leur famille restaient.
Tous les spectateurs présents aux étages se ruèrent alors au rez-de-chaussée pour féliciter les nouveaux admis. Claire se jeta dans les bras de son frère tandis que Maiwenn enlaçait déjà ses deux sœurs.
Emma quant à elle, aperçut Eliott et Félicie au loin. Elle accourut vers eux pour se laisser tomber dans les bras grands ouverts de la vieille femme. Le Protecteur, lui, les mains croisées derrière le dos, lui adressa un clin d'œil discret, félicitations pudiques mais non moins sincères.
L'excitation des convives ne se tarissait pas, des grandes lucioles éclairaient le Fort avec douceur, dans une aura apaisante et merveilleuse. Tous se réunirent autour des tables recouvertes en abondance de victuailles à l'odeur alléchante.
— Venez, je vais vous présenter mes amies ! s'exclama Emma en tirant sur la manche de Félicie.
Après avoir présenté les adolescentes au Protecteur, Emma rencontra les sœurs de Maiwenn, Macylia et Marianne, deux femmes au visage rond, aux yeux colorés d'un mélange de vert et de marron, aux cheveux de jais, boucles soyeuses n'atteignant pas leurs épaules.
— On n'est pas jumelles, mais on se ressemble comme trois gouttes d'eau, plaisanta Maiwenn. Par contre, je n'ai pas hérité des boucles, ajouta-t-elle en haussant les épaules.
Les sœurs se lancèrent un regard complice en riant de bon cœur.
— Macylia est mécanicienne, continua l'adolescente. Elle répare les carrosses et les montgolfières. Marianne est chimiste, elle invente de nouveaux protocoles d'utilisation de l'Énergie, expliqua Maiwenn une pointe de fierté dans la voix. Des femmes fortes et indépendantes. J'aimerais tellement vous ressembler.
Les amies apprirent à découvrir la famille bretonne, et firent ensuite connaissance avec le frère de Claire. Seul Alban, le deuxième enfant de la fratrie, un grand homme, au visage fin et longiligne, les yeux noirs des Baldorman, les cheveux châtain clair, se trouvait près de Claire.
— Bonjour, Emma, commença-t-il, une pointe de malice dans la voix. Claire m'a appelé et m'a prévenu que tu étais ici. Je ne suis pas vraiment étonné...
La jeune fille fronça les sourcils. Dans un mouvement de recul, elle se rapprocha de l'aura bienveillante d'Eliott.
— P...Pardon ?
— Je suis un Protecteur des Rêves, je sais reconnaitre les Somnius au premier regard, et ce n'est pas pour rien si Claire et toi êtes inséparables depuis des années.
— Et mes parents, tu as bien dû voir qu'ils n'étaient pas Somnius ? Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? demanda Emma en fixant tour à tour Alban et sa sœur.
Claire haussa les épaules, signe de son ignorance, tandis que son frère afficha un air désolé :
— Je n'ai croisé tes parents qu'une seule fois, lorsqu'ils t'avaient déposée à la maison pour un anniversaire, et ce n'est pas mon rôle de m'immiscer dans la vie des autres. Il y a des règles et des procédures que nous devons respecter. Tu apprendras tout cela à la Compériale.
Le cœur de la jeune fille s'accéléra. Elle sentait qu'Alban se voulait sincère. Même s'il avait eu la capacité de deviner qu'elle portait une part de Somnius en elle, alors que ses parents avaient tout des Inanis, il n'aurait jamais pu conclure à cette mascarade, ce contrat, dont elle avait été la victime. La jeune fille posa un regard interrogatif sur Eliott, qui, d'un mouvement de tête, lui confirma les dires d'Alban.
— Sur ce, je vais vous laisser. Vous allez pouvoir retrouver la sérénité et le calme de votre Fort, Confrère impérial, ajouta-t-il à l'égard du Protecteur des Tigres, d'un sourire chaleureux.
Eliott acquiesça d'une œillade étincelante, tandis qu'Alban se pencha pour les saluer et prendre congé.
— Attend ! le retint Claire.
Il fit volte face et interrogea sa sœur du regard.
— Comment ça va, chez les Inanis ? Tu as pu voir papa et maman ?
L'arrondi de ses lèvres se brisa, une ombre passa sur son visage, il s'approcha de Claire, et déposa un baiser sur son front, pour la rassurer.
— Le temps s'est dégradé de manière durable, mais nous mettons en place des procédés pour éviter une amplification du phénomène. Pour l'instant, c'est tout ce que nous pouvons faire. Nous ne savons pas si la dégradation est réversible.
Alban s'éclaircit la gorge et resserra son manteau, un frisson le parcourant dans la nuit tombante.
— Papa et maman sont en vie, ajouta-t-il faiblement. Maintenant je dois y aller. Ave Confrère impérial, termina-t-il à l'égard d'Eliott.
— Ave confrère Protecteur des Rêves.
Une légère brise parcourut l'édifice, et Emma resta un instant immobile sur l'esplanade du Fort. Dans le ciel, les étoiles s'illuminaient une à une, se reflétant dans mouvement calme, dans le clapotis apaisant des vagues. Claire s'était élancée à la suite de son frère pour une dernière accolade, tandis que Maiwenn acceptait les crêpes que ses sœurs avaient préparées pour elle.
Au loin, Louis, le garçon aux yeux verts, enlaçait une femme, paraissant à peine plus âgée que lui. Le visage radieux, entouré d'une crinière de boucles mal dessinées, un rire communicatif, elle portait sur son épaule un Nunti étrange, se métamorphosant tantôt en petit animal, tantôt en chimère, pour finalement reprendre la forme ordinaire d'une poupée.
De ses grands yeux noisette elle créa un pont invisible reliant les prunelles de Louis pour lui transmettre toute son admiration, sa confiance et son espoir. Un Affectduc, songea Emma. Si, dans le monde des Somnius, l'Énergie pouvait matérialiser l'intimité qui se dégageait de la liaison entre deux regards, c'est ainsi qu'elle baptiserait cette invention.
Félicie posa une main sur son épaule, la faisant sursauter, extirpant la jeune fille de ses pensées.
— Il est temps pour nous d'y aller aussi. Eliott doit me reconduire à la maison avant de reprendre son poste sur le Fort.
Emma acquiesça doucement avant d'enlacer la vieille femme. Elle se tourna ensuite vers le Protecteur et l'entoura de ses bras d'un geste tendre. En cette nuit festive et paisible, il ne resta pas immobile, les mains jointes, mais lui rendit son étreinte, profitant de ces quelques secondes de sérénité.
— Je reviendrai sur le Fort dès l'aube avec mes Vice-Protecteurs, pour reprendre possession des lieux. Si tu as besoin de moi, je me trouverai ici.
Ils lui firent un dernier signe avant de prendre place dans la petite nacelle de la montgolfière et de s'élever vers les cieux constellés. Emma leva la tête et les salua d'un geste de main. Ils s'éloignèrent et disparurent, mais la jeune fille savait que l'Affectduc invisible qui les reliait, lui, permettrait de toujours les garder près de son cœur.
Elle soupira doucement, heureuse d'être parvenue à la fin des épreuves. Pourtant, au fond d'elle, elle savait que ce n'était que le début.
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Hello les voyageurs inter-storiques !
Ce chapitre était un peu long, d'où le découpage en trois parties !
Alors voilà, vous connaissez le prénom du mystérieux garçon ! Vous vous attendiez à autre chose ?
Comme d'habitude, n'hésitez pas à faire toutes les remarques qui pourraient m'aider à progresser et merci pour votre lecture !
Prêts pour découvrir la Compériale ? Clamez haut et Fort la devise des Somnius de France et le Doyen claquera dans ses mains pour vous y transporter !
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