Épreuve orale (Partie 2)

Les trois amies, incrédules, tentèrent de déchiffrer le message que cet inconnu voulait leur délivrer. Maiwenn secoua sa tête de droite à gauche pour reprendre ses esprits, avant de briser le silence :

— Tout le monde aime la Reine. Je ne comprends pas pourquoi il l'accuse comme ça.

— Il avait l'air sincère, pourtant, songea Emma en soupirant.

— Tu es trop gentille, l'admonesta son amie. Ou peut-être encore trop Inanis.

Une étincelle de tristesse parcourut les yeux d'Emma, les mots de Maiwenn, tels un poignard, transperçaient son cœur d'une douleur vive.

— Chez les Somnius, remettre en cause la bonne volonté de la Reine, c'est remettre en cause le Diamant de la Pureté, le fondement de tout notre système, articula-t-elle en levant les bras au ciel, signe de son exaspération.

— Peut-être qu'il y a un juste milieu, proposa Claire.

Elle posa ses mains sur les épaules de ses amies pour les apaiser, adoucir la colère qui se lisait dans les prunelles de Maiwenn, sécher la douleur qu'Emma emprisonnait dans ses paupières.

— Il se passe des trucs étranges en ce moment, on est d'accord. Ce garçon a raison sur ce point. Mais comme tout ça le dépasse, il accuse la Reine. Il cherche juste à trouver des réponses.

— C'est comme ça que ça marche, chez vous ? demanda Maiwenn en se dégageant de l'emprise de son amie. Votre système politique, vous le remettez tout le temps en cause ?

Claire haussa les épaules et afficha une moue rieuse.

— En France, en tout cas, oui. Au nom de la démocratie, on élit un président, et au nom de cette même démocratie, on destitue ce même président.

— Aucun système n'est parfait, expliqua Emma en essuyant ses yeux rougis. Ni celui des Inanis, ni le nôtre, continua-t-elle en insistant sur le dernier mot. Ca doit être difficile pour toi de remettre en cause le Diamant et tout ce que ça implique mais...

La jeune fille se tut un instant, ses yeux s'écarquillèrent, son visage s'illumina, sa bouche s'étendit dans un sourire satisfait. Elle avait une idée. Elle se souvint du jour où un garçon aux yeux verts s'était opposé à la politique de la Reine, clamant haut et fort, au cœur de la foule animant la MagnaPolys, que la Souveraine était à l'origine de la tempête frappant les Inanis. Ce garçon, dont elle ne connaissait le nom, portait-il des secrets, portait-il des réponses ?

Emma s'avança de Maiwenn et saisit doucement ses deux mains, en l'implorant du regard.

— Maiwenn, je sais que c'est dur pour toi de remettre ce système en cause. Je n'en ai pas vraiment envie non plus. Je trouve ça génial de pouvoir avoir une confiance aveugle en sa Reine grâce au Diamant de la Pureté.

Emma afficha un sourire discret, tandis que Maiwenn posa les yeux sur le sol en acquiesçant doucement. Claire remuait ses globes oculaires de droite à gauche pour tenter d'anticiper les réactions des deux filles, et neutraliser toute dispute naissante. Elle savait que ses amies s'aimaient sincèrement, mais remettre en cause les convictions intimes et profondes de chacune représentait l'exercice le plus périlleux de leur amitié.

— Peut-être qu'en disant ça, je ne suis pas encore tout à fait Somnius, chuchota Emma en captant de nouveau le regard de son amie. Mais on ne sait pas comment ce Dimant fonctionne, et s'il peut se tromper.

Une ombre passa sur le visage de Maiwenn. L'adolescente reprit précipitamment :

— Je ne remets pas la Reine en cause, je ne la connais pas assez pour ça. Mais ce garçon, je crois qu'il connait plus de choses que nous. Il a parlé de la tempête chez les Inanis, une fois, quand j'étais avec Eliott. Et j'ai le sentiment qu'il peut nous aider à trouver des réponses.

Emma serra plus fort les mains de son amie, dont le regard s'adoucissait.

— J'ai le sentiment qu'il peut m'aider à trouver des réponses, arrêter la tempête, retrouver ma famille... Savoir qui je suis, souffla la jeune fille dans un murmure. Permettre à Claire de retrouver ses parents qui sont restés de l'autre côté, ajouta-t-elle d'une voix plus assurée. S'il te plait, Maiwenn.

Cette dernière soupira ostensiblement en levant les yeux au ciel, plus pour tenter de maitriser les gouttes salée qui s'immisçaient dans ses prunelles que par réelle exaspération. Elle tourna la tête vers Claire, qui, dans un sourire radieux l'invitait à accepter la proposition de son amie, puis vers Emma, qui, dans un rictus timide, l'implorait d'accorder le bénéfice du doute à ce garçon. Elle souffla de nouveau, pour gagner quelques secondes, et répondit :

— D'accord, d'accord. Même si je maintiens que ce gars est un dégénéré, je veux bien lui donner sa chance. Mais attention, ajouta-t-elle en levant autoritairement son index, interdiction d'accuser la Reine sans preuve, et vous m'aurez sur le dos jusqu'à ce qu'on connaisse la vérité !

— C'est ce qu'on veut, t'avoir toujours près de nous ! s'exclama Claire dans un éclat de rire.

Elle passa ses bras autour de ses deux amies pour les rassembler dans une étreinte collective, et raviva, par l'étincelle de l'humour, la joie qui brillait dans le cœur de ses camarades. Elles abordèrent alors des sujets plus consensuels, et se perdirent dans des rêveries infinies.

L'heure de l'épreuve orale qu'Emma devait passer approcha finalement, et les filles se rendirent au premier étage, devant une porte sur laquelle un tigre, emprisonné dans le bois, se mouvait en rugissant. Un sablier sculpté à l'image d'une canine de ce félin féroce, recouvert d'une fourrure brune croisée de traits noirs, apparut soudain, se retourna et commença à décompter le temps.

Tremblante, la jeune fille entra dans la salle, encouragée par ses amies. Elle respira lentement pour tenter de ralentir les battements de son cœur, déglutit difficilement et entra doucement dans la pièce. Lorsqu'elle referma la porte, cette dernière disparut aussitôt, rendant impossible un quelconque retour en arrière.

La salle dans laquelle elle était entrée, sombre, les murs peints de noir, entrouverts d'aucune fenêtre, n'était éclairée que d'un faible faisceau de lumière, tel une flamme, ondulant derrière la table où se trouvait le jury. Cinq personnes, deux femmes et trois hommes, tous vêtus de noir, les yeux sombres, le regard sévère, attendaient, sans un mot, qu'Emma s'approche.

Elle s'avança lentement, resta debout, et salua poliment les jurés. On lui fit signe de s'asseoir. Emma attrapa donc la chaise qui se tenait devant elle et s'assit sans un bruit.

L'examinateur du milieu, un homme brun aux yeux marron, déplia un tissu transparent au milieu de la table, sur lequel était inscrit le nom de la jeune fille ainsi que ses résultats aux différentes épreuves. Il la regarda un instant, et tenta de déceler sa personnalité en lisant au plus profond de ses yeux. Après quelques secondes de silence, il prit la parole et d'une voix grave, il ordonna :

— Présentez-vous.

Emma écarquilla les yeux, ses joues la brûlaient, son cœur battait à tout rompre. Cet homme ne lui posait même pas une vraie question et elle ne disposait que de cinq minutes pour obtenir les faveurs du jury. Il fallait qu'elle réagisse.

Prenant une grande inspiration, elle commença, d'une voix tremblante :

— Je m'appelle Emma Dalanore, hum... mais... vous le savez déjà.

Elle laissa échapper un rictus nerveux en appuyant son regard sur le charta comportant toutes les informations la concernant. Elle passa une main dans ses cheveux, inspira, et reprit d'une voix plus assurée.

— Je suis arrivée chez les Somnius il y a peu. Ce monde m'a paru bien différent de celui dans lequel je vivais.

La jeune fille marqua une pause, prenant soin de choisir les mots les plus percutants, de former les phrases les plus distinguées.

— Pourtant, une chose relie le monde des Somnius et des Inanis. Ce sont les hommes. Tant que les hommes existeront, le système théorique le plus parfait, lui, n'existera pas. Injustice, corruption, pauvreté, problèmes environnementaux...

Emma tourna la tête pour voir le temps qui s'égrenait dans le sablier, avant de capter, à nouveau, le regard attentif des jurés.

— Vous devez sûrement vous demander pourquoi je vous parle des deux mondes et des hommes alors que je suis censée me présenter. J'y reviendrai dans quelques secondes.

Elle haussa les épaules, et émit un petit rire désabusé.

— Je pourrais vous vanter mes qualités, mais je ne suis pas sûre d'y arriver. Je suis une fille de l'ombre, j'écoute plus que je ne parle. Discrète, calme, je suis une petite souris, un rat de bibliothèque, une rêveuse.

Ses yeux se remplirent de mélancolie, ses songes et ses espoirs de petite fille ressurgissant à la surface, réminiscences douloureuses de sa vie passée. Elle bomba le torse, comme pour faire diversion, masquer son angoisse naissante.

— Paradoxalement, j'ai l'impression d'être particulièrement orgueilleuse. J'ai toujours rêvé écrire de grands discours, les déclamer, comme ces hommes qui ont marqué l'histoire. Je me sens vivante lorsque je me mets au service des mots pour défendre une cause qui me tient à cœur. J'aime mener des combats, j'aime la compétition. Je me bats sans cesse, contre les autres et contre moi. Pour être meilleure, ou pour être la meilleure ?

Emma secoua la tête de droite à gauche, tentant elle-même de répondre à ces questions dans une introspection profonde.

— Mon orgueil m'a parfois valu la jalousie, mais il m'a aussi permis de me dépasser. C'est à la fois mon plus grand défaut et ma plus grande qualité.

Voyant qu'il lui restait peu de temps, la jeune fille enchaina :

— Ce que je veux vous dire, c'est qu'à la Compériale, vous allez recruter des êtres humains pour faire face à d'autres humains. Je pense que chaque homme est confronté à son propre paradoxe, comme je suis confrontée au mien. La frontière entre le bien et le mal est ténue, nos faiblesses sont nos forces, et inversement.

Emma se racla la gorge, lança un coup d'œil furtif au sablier et profita des dernières secondes pour conclure :

— Je m'appelle Emma Dalanore, je veux comprendre l'être humain et ses paradoxes, qu'il soit Somnius ou Inanis, pour pouvoir effacer les frontières, non pas entre les forces et les faiblesses, mais entre les hommes eux-mêmes.

La jeune fille se tut en expirant silencieusement alors que les derniers grains se fracassaient à l'intérieur du sablier. Les membres du jury se levèrent sans un mot et lui désignèrent la porte qui venait de réapparaitre au fond de la salle. Emma salua les jurés et rejoignit ses amies, soulagée d'avoir affronté la dernière épreuve. 

Claire passa le reste de la journée à inventer des blagues et à imiter des personnages de films pour divertir son public grandissant en attendant l'heure de son oral. Lorsque le moment ultime arriva, elle se rendit devant la salle des lumières, au rez-de-chaussée. Une grande porte, scintillant de toutes parts, comme si elle avait été transpercée par des rayons de soleil, se dressait devant elle. Un sablier prit forme. Recouvert de mille couleurs, il brillait avec force et intensité. Claire afficha alors un grand sourire, enlaça ses amies, et entra joyeusement dans la salle pour en ressortir cinq minutes plus tard.

Son oral terminé, elle raconta à Emma et Maiwenn qu'une aura lumineuse l'avait entourée pendant la durée de son épreuve. Des minuscules lucioles, de toutes les couleurs, s'étaient déplacées sur les murs, comme pour former une guirlande infinie. En face d'elle d'immenses vitraux magnifiquement colorés avaient laissé passer les rayons du soleil contrastant avec un jury impassible qui ne lui avait posé qu'une seule question en rapport avec la recherche du bonheur.

Alors que Claire terminait son récit en gesticulant, le compte à rebours géant marqua la fin des épreuves et une voix retentit dans l'immensité du Fort.

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Hello les voyageurs inter-storiques !

Comment allez-vous ?

J'espère que ce chapitre vous apprendra à connaitre un peu mieux certains des personnages ! Je ne suis pas sûre du rendu d'un point de vue extérieur, alors n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

Sinon, comme ce chapitre est assez long, il y aura une partie trois ! =)

On arrive à la fin des épreuves sur le Fort ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez de manière globale, maintenant que vous les connaissez (presque) toutes.

Bonne soirée,

Longue nuit aux Rêves, longue vie à la Reine (enfin ça on n'est pas sûrs du coup). 

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