Entretien avec un Somnius (Bonus)
Hello les voyageurs inter-storique !
J'espère que vous allez bien !
Pour me faire pardonner de ne pas publier régulièrement ces derniers temps, je partage avec vous ce petit Bonus ! C'est une partie qui n'est pas la suite de l'histoire en elle-même, mais qui est un texte écrit pour le concours de l'Encre Prodigieuse ! Le concept ? Une rencontre entre l'auteur et un personnage de l'histoire, pour donner un aperçu du monde, de l'ambiance qu'on a créé !
À votre avis, qui ai-je choisi de rencontrer ?
Comme d'habitude toutes vos remarques sont les bienvenues !
Je me suis bien amusée à l'écrire, j'espère que vous aimerez lire ce texte !
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Elle se trouvait à l’entrée du Fort. L’immense bâtisse de pierre, construite au milieu de l’océan, la surplombait de sa majesté. Le ressac des vagues résonnait au creux de ses oreilles. La fragrance salée de l’onde emplissait ses narines. Plus elle fixait le mouvement de l’eau impétueuse, plus cette sensation étrange de vertige s’emparait d’elle. Était-ce la peur irraisonnée des flots, ou l’angoisse certaine de le rencontrer pour la première fois, en chair et en os, au cœur même de ce monde qu’elle avait imaginé ?
Elle inspira profondément pour tenter de ralentir les battements frénétiques de son cœur, et frappa le lourd heurtoir contre le bois de la porte qui se dressait devant elle. Un cognement sourd retentit. Des centaines de petits papillons s’envolèrent emportant l’écho du grondement vers l’océan. La nervosité emplissait son corps d’une chaleur glacée, sensation étrange, oxymore de l’angoisse.
Soudain, l’immense porte du Fort s’ouvrit dans un roulement interminable. Elle le vit, au loin. Eliott Machialty Thumbry, Protecteur des Tigres Royaux, Loyal Adjuvant de la Reine Etheldrede. De sa posture droite et noble, les mains jointes dans le dos, il l’attendait avec patience. Son long manteau noir dansait sous la force du vent. Ses prunelles vertes, brillantes d’admiration, se posèrent sur elle. Elle avança un peu plus vers Eliott. Le verre multicolore qui recouvrait le sol du Fort portait ses pas, la séparait des merveilleux poissons qu’elle voyait nager dans l’océan agité.
— Ave Confrère Impérial, souffla-t-elle au Protecteur, au moins aussi intimidée que lui semblait l’être.
— Ave Consœur Originelle, lui répondit-il. Femme à la Plume, insista-t-il en prenant poliment sa main.
Elle fronça les sourcils. Elle n’avait jamais rien écrit à propos d’une Femme à la
Plume. Un sourire s’afficha sur son visage. Voilà que les Somnius, ce peuple qu’elle avait inventé, pensaient hors des carcans que leur créatrice leur avait définit. Voilà que leurs pensées, leurs croyances lui échappaient. Eux, et eux seuls, ses personnages, avaient créé cette légende de la Femme Plume.
— Il est toujours passionnant de voir comment les mythes se construisent, lui expliqua Eliott, comme s’il avait lu dans ses pensées. Vous êtes notre créatrice. Notre peuple vous vénère depuis la nuit des temps sans même que vous ne le sachiez. Dans la culture populaire, vous êtes la Femme Plume. Pour eux, vous vous métamorphosez sous la forme d’un oiseau, pour moi, vous êtes l’allégorie du cinquième art.
Elle afficha un sourire. Elle admirait la noblesse et la pudeur de cet homme ; la sensibilité qui s’exprimait en lui la faisait frissonner. Le frémissement de sa peau s’intensifia un peu plus lorsqu’elle vit les Tigres rôder autour du Protecteur. Leur pelage bleuté, légèrement scintillant, d’une douceur divine, l’émerveillait.
Les félins s’approchèrent d’elle. Ils sentaient que son aura n’était pas celle d’un Somnius, mais ils savaient pourtant qu’elle portait une force singulière. Elle représentait la menace la plus sombre et la plus obscure contre l’Énergie que les Tigres protégeaient, source de leur magie et de leurs pouvoirs. Elle, la Femme Plume, pouvait tout leur enlever, d’un mouvement d’encre. Il lui suffisait d’écrire quelques lignes, de tourner la page, pour détruire leur monde, les soustraire à cette vie qu’ils aimaient tant. Savaient-ils au moins qu’en les annihilant, elle connaitrait sa propre perte ?
— Que me vaut votre visite ? lui demanda poliment le Protecteur.
— J’ai besoin de votre aide, Eliott, le supplia-t-elle en resserrant son étreinte sur ses mains. Je dois user de ma plume, présenter le monde des Somnius. J’en ai créé chaque fragment, chaque parcelle, chaque loi. J’ai besoin que vous m’emmeniez quelque part, dans un endroit de ce monde auquel je n’ai pas pensé, que je n’ai pas exploré.
— Votre requête me touche et m’honore, chuchota Eliott en se courbant légèrement. Vous êtes pourtant la seule à pouvoir le faire. Vous êtes l’auteure.
— Je sais, soupira-t-elle. Mais j’ai peur. Peur que ma plume les ennuie, que le monde des Somnius ne les attire pas, qu’on ne le comprenne pas. Pire, qu’on l’oublie, qu’il s’évapore et meure peu à peu. J’ai besoin de croire que si un jour il devait m’arriver quelque chose, si un jour le monde des Rêves tombait dans l’oubli, il y aura toujours quelqu’un parmi vous pour y découvrir des trésors inexplorés, pour continuer à le faire vivre, à travers ma mémoire. Nous savons tous les deux que la mémoire est importante, Eliott.
Les yeux du Protecteur s’humidifièrent. Les paroles de la Femme Plume l’avaient touché. Il lui adressa un sourire tremblant, alors qu’elle continuait :
— J’ai besoin que vous m’emmeniez au-delà de mes propres frontières, que vous existiez par vous-même. Mon corps et ma plume ne seront pas éternels. Vous, resterez à tout jamais.
— D’accord, lui répondit-t-il en ravalant ses larmes. Mais si je fais cela, j’aimerais pouvoir vous poser une question à la fin. Vous serez un peu comme le bon Génie dans sa lampe.
Eliott n’avait pas l’habitude de marchander, mais il voulait profiter de sa présence, s’imprégner de sa connaissance, de sa puissance créatrice.
— Je vous ai offert un monde bien trop vaste pour qu’en retour vous m’enfermiez dans une lampe poussiéreuse, remarqua-t-elle en relevant un sourcil. Marché conclu, acquiesça-t-elle finalement. Je vous dois bien cela. Allons-y, les mots nous sont comptés, le pressa-t-elle.
— Un tour de montgolfière vous plairait-il ? lui proposa le Protecteur.
Sans qu’elle n’ait eu le temps de répondre, Eliott siffla et la petite nacelle du véhicule se posa sur l’esplanade du Fort. Le ballon, composé de milliers de papillons, se dématérialisa en points lumineux avant que les insectes ne reprennent place pour former une petite tête de chat.
Elle admirait ce spectacle, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte. Fébrile, le cœur battant avec force, elle monta dans la nacelle. Le son et la chaleur des brûleurs avaient été remplacés par le bruissement des ailes de papillons.
Lorsqu’Eliott siffla, le bourdonnement s’intensifia et la montgolfière s’éleva doucement dans les airs. Le vent soufflait dans ses cheveux, une sensation d’euphorie l’emplissait. Elle inspira à pleins poumons et afficha un sourire émerveillé.
Le Fort, qui, quelques minutes auparavant lui paraissait si imposant, rétrécissait à vue d’œil. Elle allait bientôt tutoyer les nuages. Une mélodie céleste résonnait au creux de ses oreilles. Était-ce le souffle du zéphyr, le chant des oiseaux, ou bien l’âme de ce monde onirique qui l’imprégnait comme une gigue merveilleuse ?
Sur une petite tablette à côté de lui, Eliott avait disposé une tasse en porcelaine. Il attendait patiemment qu’un petit nuage de pluie irrigue son thé d’une eau bouillante. D’un geste du menton il proposa le même breuvage à la Femme Plume. Elle refusa poliment en dodelinant de la tête.
— Alors, commença Eliott, vous avez expliqué à ceux qui vont vous lire la différence entre les Inanis et les Somnius ? Les Inanis, ce peuple dénué de magie et d’Énergie, nous apporte beaucoup à nous, les Somnius.
— Eh bien, bafouilla-t-elle. C’est assez difficile à exprimer en quelques lignes. Mais j’espère que leur révéler le lien qui unit ces deux peuples sera suffisant pour attiser leur curiosité.
Elle se gratta la tête et fronça légèrement les sourcils.
— Je crois pouvoir leur dire que les Inanis rêvent toutes les nuits, sont animés d’espoirs et d’ambitions. Toute cette force qu’ils ont en eux est récoltée par les Somnius pour devenir de l’Énergie, qui sert à faire fonctionner ce monde.
— Je pense qu’il est judicieux de commencer ainsi, opina Eliott. Vous pouvez également ajouter que cette Énergie est acheminée jusque dans notre Tête Chercheuse, qui est protégée par les Tigres du Fort. Et ce sont sur ces Tigres que je veille moi-même en tant que Protecteur.
Eliott afficha une moue rieuse qu’elle lui rendit.
— Bien sûr, je parlerai de vous.
Le Protecteur et la Femme Plume continuaient à faire connaissance, quand la montgolfière, encore dans les airs, commença à se dématérialiser.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en tâtonnant le petit siège sur lequel elle était assise.
Sous ses doigts, le contact rugueux du bois se voulait de plus en plus flasque, avant de devenir inconsistant. Sa respiration s’accéléra. Déjà, elle sentait dans le creux de son ventre le remous étrange du vide. Aspirée vers le sol, elle eut la désagréable impression de devenir cotonneuse. Son cœur battait la chamade. Peut-être s’était-il arrêté un instant. Tous ses organes la suivaient-ils dans sa chute fulgurante ?
Soudain, elle vit qu’Eliott flottait en face d’elle. Paisible, il ne bougeait pas. Il attendait, les bras croisés derrière le dos, qu’elle prenne conscience de l’endroit dans lequel il l’avait transportée. Elle reprit ses esprits, et vit qu’elle volait, entourée d’une aura aussi étincelante qu’un diamant.
— Bienvenue au cœur de l’imagination, lui souffla Eliott.
Elle émit un rire franc et soulagé. Ses yeux dansaient pour admirer le paysage qui s’offrait à elle, pour saisir les milles reflets qui ondulaient autour d’elle. Des mots se traçaient, des musiques somptueuses résonnaient ; ils s’imposaient à elle comme une évidence, comme si elle n’avait besoin ni de ses yeux ni de ses oreilles pour en capter toutes les nuances. Les rêves, les légendes, les créatures merveilleuses, tout, tout imprégnait son esprit, ne demandait qu’à être exploré par le tracé de sa plume.
— Je vous ai menée dans cet endroit, que vous avez déjà visité sans le savoir, commenta Eliott. Les auteurs ont une importance particulière chez les Somnius. Ce sont eux qui, en inventant des mondes imaginaires, en faisant vivre des personnages, génèrent des rêves chez des milliers d’Inanis. L’art des auteurs dépasse toutes les frontières, fait fi des différences entre nos deux mondes. Par les rêves qu’ils créent, les écrivains permettent indirectement à l’Énergie de se produire, et à nous, Somnius, d’exister.
Les yeux grands ouverts, la bouche béante, elle continuait d’admirer ce spectacle qui s’offrait à elle. C’était à cela que ressemblait l’imagination. La Femme Plume se tourna de nouveau vers Eliott, et d’un geste de la tête, elle l’incita à poser la question qui lui brûlait les lèvres, contrepartie à leur accord.
— Vous savez que je suis un être loyal, que je sers la Reine corps et âme et que je lui suis fidèle. Alors, je n’ai qu’une seule interrogation : pourquoi la Souveraine Etheldrede Ière et vous, Femme Plume, portez le même prénom ?
Ses yeux s’animèrent dans une étincelle d’admiration. Elle ne pensait pas qu’Eliott serait sensible à cette homonymie.
— Vous le savez mieux que moi, chez les Somnius, le nom a une importance particulière. Pour vous répondre, je devrais vous révéler mon vrai nom. Cela pourrait conduire à ma perte, soupira-t-elle. De la même manière que donner son nom a détruit votre aïeul, Antoine. Mais, je peux vous dire que tout, chaque détail a son importance, sa signification.
Eliott sourit dans un regret. Les joues rougies, il se sentait honteux d’avoir osé poser une question aussi intime.
— Pendant que nous y sommes, ils n’ont pas remarqué ? demanda encore l’homme en passant une main dans ses cheveux.
Elle arqua un sourcil, signe de son incompréhension.
— Vos lecteurs n’ont jamais posé de question sur mon nom ? réitéra le Protecteur.
Elle dodelina de la tête.
— Non, personne n’a remarqué. À vrai dire, certains indices sont très subtils.
Il soupira, soulagé. Une certaine mélancolie brillait pourtant dans le creux de ses yeux. La Femme Plume posa une main douce sur l’épaule du Protecteur.
— Je ne leur dirai que si vous m’y autorisez.
Eliott hocha la tête en lui adressant un sourire pudique. Il ancra ses prunelles dans les siennes, et savait déjà qu’Etheldrede Frankoys allait s’envoler de toutes ses plumes pour retrouver sa plume.
Elle savait aussi qu’elle devrait quitter ce monde merveilleux, qu’elle ne reverrait pas Eliott de sitôt. Ils ne voulaient pas se quitter. L’un apportait tant à l’autre. Pourtant, ils avaient la certitude, au plus profond de leur cœur, qu’ils ne seraient jamais loin.
Le Protecteur, en la fixant toujours, les mains tremblantes, les yeux brillants, lui exprima sa gratitude d’un verbe sincère.
— Merci d’avoir placé Emma sur mon chemin, lui souffla-t-il.
— Merci de la protéger, répondit-elle, la voix remplie de trémolos.
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