Doutes (Partie 1)

Les jours passèrent et les connaissances d'Emma sur le monde des Somnius allaient en grandissant. Ayant lu une grande partie des ouvrages qu'Alexandre lui avait fournis, la jeune fille pouvait maintenant décrire plusieurs coutumes du pays, comprendre l'Économie, la Politique ainsi que le Droit.  

La Reine détenait une grande partie des pouvoirs, seulement conseillée par quelques Lieux-tenants. Avec l'aide de quelques grands Juges elle rendait la justice. Elle décidait elle-même des lois -faisant quelques fois participer le peuple par le biais du référendum- et s'assurait de leur bonne exécution. Elle représentait la France dans tous les déplacements à l'étranger et régissait avec fermeté toutes les ambassades. Seule détentrice de la puissance militaire elle avait le pouvoir de déclarer la guerre ou bien de signer des traités de paix.

Emma fut au premier abord très surprise de ce fonctionnement, elle qui connaissait le suffrage universel comme marque de la souveraineté appartenant à la nation, et la séparation des pouvoirs comme base du régime français.

Allongée à plat ventre sur son lit, la jeune fille feuilletait avec attention le gros ouvrage relié qui présentait les grandes règles constitutionnelles du pays et découvrait un système qui lui paraissait fort intriguant et particulièrement complexe. Concentrée, elle chuchotait chaque mot en glissant son doigt sur l'encre centenaire pour mieux saisir le sens de ces dispositions essentielles.

De la Souveraineté

L'exercice de la Souveraineté appartient à la Décade des diamants purs. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la vertu. Nulle hérédité, nul plébiscite populaire ne peut subroger la vertu et nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

De la Décade des diamants purs

La Décade des diamants purs est composée du Souverain, garant de l'intégrité du pays et de la nation, et de neuf Suppléants, résidant à vie au palais. Les Suppléants de la Décade en fonction ainsi que les Suppléants Émérites détiennent un pouvoir de représentation et de conseil et siègent à l'Assemblée Royale. Le Souverain préside les Assemblées Royales.

De la Suppléance

Chaque Suppléant nomme deux délégués nonobstant la pureté de leur pierre. Les suppléants, dont la liste est automatiquement renouvelée à l'Annexe des Suppléants Royaux au commencement de chaque règne, occupent les postes ci-après définis :

Le Premier Suppléant est chargé de seconder ou de remplacer le Souverain en cas d'incapacité de ce dernier à gouverner.

Suppléant aux Rêves assure l'arrivée, la protection et la régulation de l'Énergie nationale au sein de la Tête Chercheuse.

Le Suppléant à l'éducation est en charge de promouvoir l'accès à l'instruction pour tout Somnius en âge d'étudier, et veille à la bonne répartition des talents dans les Universités.

Le Suppléant à l'économie suit rigoureusement les taux d'intérêts, le calcul des impôts et l'approvisionnement constant de la Banque Royale de France.

Le Suppléant à la justice autrement nommé Garde des Sceaux, assure l'accès à une justice impartiale et efficace.

Le Suppléant à la sécurité commande les Custodis du Royaume et lutte contre le détournement d'Énergie.

Le Suppléant de la société prend considération des attentes et difficultés du peuple en assurant une évolution douce et nécessaire des mœurs sociales.

Le Suppléant aux affaires étrangères coopère avec les Régimes internationaux, gère la coordination des pactes et traités internationaux, et assure leur compatibilité avec la législation interne.

Le Suppléant à la santé gère les hôpitaux, promeut la recherche scientifique et régule l'accès aux soins.

Emma referma l'imposant ouvrage et tenta d'ancrer dans sa mémoire tous ces éléments, qui, bien que complexes, lui rappelaient les quelques connaissances qu'elle avait du Gouvernement chez les Inanis. D'après Félicie, le régime français des Somnius avait été adopté pour sa grande efficacité, et sa totale impartialité. La grande notoriété de ce mode de gouvernement tiendrait en sa capacité à forger une Assemblée prête à servir les intérêts du royaume avant les siens.

Emma regarda l'heure, et, satisfaite de sa journée de travail, elle croisa ses jambes en tailleur tout en étirant le haut de son corps. Soudain, une secousse se fit ressentir dans la maisonnée. Les lourdes poutres portant le plafond s'époussetèrent en un tressaillement, et répandirent dans leur sursaut un nuage gris et poudroyant. 

Emma toussota avant d'éternuer, et tandis que les tremblements s'accentuaient, elle bascula sur le sol en parfaite synchronisation avec la pile d'ouvrages qui, quelques secondes auparavant, trônaient sur sa table de chevet. Plus bas, elle entendit qu'un verre se brisait couvrant la voix chevrotante de Félicie :

— ... bien Emma ! ... pas !

Prise de panique, la jeune fille se protégea tant bien que mal avec son matelas qui dépassait maintenant du sommier. En une fraction de secondes, les souvenirs qui s'étaient enfouis dans sa mémoire à la découverte de ce monde merveilleux réapparurent, épine vive et douloureuse. La tempête, Claire qui la tenait par les poignets, ses cauchemars, ses parents. Était-elle encore sur ce banc, dans un rêve duquel elle était expulsée ? 

Sentant son cœur s'accélérer, ses boyaux se tordre, elle ferma les yeux et tenta de se persuader que ce n'était rien, qu'elle allait s'en sortir, qu'Eliott arriverait une nouvelle fois. Les paupières fermement scellées, elle se promit que lorsque le tremblement cesserait, ses joues ne seraient pas humides. Puis peu à peu, la secousse retomba, le vacarme se tut, et la jeune fille inspira profondément, avant de rouvrir les yeux, de détendre ses muscles.

—Tout va bien Emma ! Ne t'inquiète pas, répéta Eliott d'une voix plus audible. Nous avons reçu un décret de la Décade !

Surprise, la jeune fille regarda son sablier, qui égrenait soixante pierres scintillantes, et vit qu'à peine la moitié du temps s'était écoulée. Le tremblement n'avait pas duré une minute. Alors qu'une lumière semblait scintiller au rez-de-chaussée et s'infiltrait par les lattes de son parquet, Emma frotta vigoureusement ses yeux et dévala les escaliers pour retrouver Eliott et Félicie, plantés dans le salon. Ces derniers ne relevèrent pas l'air affolé de leur protégée, ni ses cheveux ébouriffés et fixaient avec attention les murs de la pièce qui s'étaient illuminés, et l'hologramme crépitant du Suppléant des Rêves, Onirys Providence.

L'homme, portant le blason sur la poitrine, l'air grave, les yeux cernés, se prononça :

— Par mesure de décret Royal, et après prononcé de l'Assemblée Royale, tenue lieu ce jour, faisant état des doléances émanant du peuple, et comme affirmation des mesures établies pour la protection des Rêves et de l'Énergie, il est demandé à tous les Somnius recensés, en âge de s'inscrire à l'Université, sans exception, de se présenter à la Compériale pour y passer les épreuves d'admission nouvellement établies. Quiconque ne s'y présenterait pas serait déchu de son droit de manifester pendant la durée règlementaire. Citoyens, Citoyennes Somnius de France, longue nuit aux Rêves, longue vie à la Reine.

Alors que l'hologramme disparaissait, et que les murs reprenaient leur teinte habituelle, Emma et Félicie fixèrent avec intensité le Protecteur, qui, sentant le poids de ces regards inquisiteurs, se dirigea vers un fauteuil, s'assit en croisant une jambe sur l'autre, puis enlaça lentement ses doigts. Il resta ainsi quelques secondes avant de prendre la parole :

— Nous avons quotidiennement des nouvelles du monde des Inanis, commença-t-il en remarquant l'étincelle qui illumina les yeux d'Emma. Malheureusement, continua-t-il d'un air grave, le temps s'y dégrade encore. Tous les Somnius vivant de l'autre côté, et vous imaginez qu'ils sont nombreux, se sont rués vers le Praesidium pour passer la frontière, et trouver refuge dans le monde des Rêves.

Félicie passa tendrement une main dans les cheveux de la jeune fille qui blêmissait.

— ­­Cependant, comme tu peux le comprendre, il est impossible de laisser entrer un nombre aussi important de personnes en peu de temps. Le flux d'immigration exploserait et nous serions incapables, dans une panique générale de subvenir aux besoins de tous. C'est pourquoi notre Reine a décidé de réguler le passage entre les deux mondes. Elle a interdit aux Somnius de voyager d'un monde à l'autre, et ne délivre des autorisations spéciales qu'à ceux qui occupent des fonctions nécessaires à la résolution de ce problème qui s'aggrave de jour en jour. Seuls nos plus grands scientifiques, et nos plus grands spécialistes inter-cosmos sont autorisés à voyager, bloquant tous les Somnius expatriés dans le monde des Inanis.

— C'est... C'est injuste..., souffla Emma alors que son cœur battait la chamade.

Le souffle court, la jeune fille peinait à respirer. Un profond sentiment de détresse la submergea. Tiraillée entre la culpabilité de se trouver en sécurité dans ce monde merveilleux, en ayant pu passer la frontière avant tous les autres, et entre le rejet de l'injustice qui frappait ces pauvres Somnius expatriés, et ces pauvres Inanis démunis, Emma avait soudainement l'impression de ne plus savoir à quel Monde elle appartenait. Tandis que son cœur s'accélérait encore, elle sentit une chaleur fiévreuse l'envelopper, ses joues la brulaient, ses entrailles se déchiraient.

— Notre Reine n'a pas réussi à trouver de meilleure solution face à la gravité de la situation. Des révoltes menacent de germer çà-et-là parce que ceux qui sont en sécurité rejettent l'afflux soudain et massif d'une population qui ne connait finalement que peu nos mœurs. C'est tout un équilibre qui est menacé.

— Quel rapport avec la Compériale ? demanda Emma dont l'agitation n'échappait pas au regard d'Eliott.

— Tu sais comme moi que chaque Somnius en âge d'entrer à l'Université se dirige naturellement dans l'établissement qui correspond le mieux à sa personnalité, à ses aspirations dominantes. La Compériale fonctionne différemment. Elle est destinée à former les élites du peuple, les Protecteurs des Rêves, qui à travers diverses fonctions, vont s'assurer d'étudier les mécanismes que nous méconnaissons encore et de protéger l'équilibre de notre système.

— Alors, un Somnius passionné d'astronomie qui s'inscrirait normalement à l'Université Royale d'Astronomie, peut quand même entrer à la Compériale ? demanda la jeune fille qui, en réfléchissant, réussit à réguler son angoisse.

— Oui, tout à fait, reprit Eliott alors que Félicie acquiesçait silencieusement dans un coin de la pièce.

Le Protecteur soupira longuement avant de reprendre d'une voix toujours aussi calme, de son timbre grave et rassurant :

— Tous ces évènements commencent à s'ébruiter au sein du peuple. De nombreuses doléances ont été envoyées à la Reine, et nous craignons que des émeutes explosent, ou que le Fort soit assailli. Certains...,

Eliott hésita un instant et continua :

— ...détails, laissent à penser que des groupuscules se forment pour contester l'autorité de la Reine. Une rumeur se répand. La Reine n'autoriserait l'accès à la Compériale qu'à un nombre limité d'individus qui lui auraient porté allégeance et déroberaient à l'insu de tous une quantité importante d'Énergie.

— D'où le changement de temps chez les Inanis ? intervint Félicie en époussetant ses fauteuils pour masquer son inquiétude.

— Personne ne le sait...

Les yeux verts de la vieille femme vinrent se poser sur le visage fatigué de son fils. Elle sentait son trouble à lui aussi, quelle mère ne s'en rendrait pas compte ?

Elle craignait pour la santé et la sécurité de son petit Eliott, lui qui avait toujours été si doux et dévoué. Une peur incontrôlée et sournoise s'immisça dans son esprit. Elle savait qu'elle ne s'en débarrasserait pas de sitôt. 

— J'ai une entière confiance en notre Souveraine, affirma le Protecteur qui sentait les interrogations silencieuses de la vieille femme.

— Alors elle ouvre les portes de la Compériale à tous les étudiants pour mettre fin à ces rumeurs ? continua Emma pour briser la tension qui s'installait dans un voile épais.

Eliott acquiesça.

— C'est aussi un moyen pour la Reine de déroger à l'interdiction d'entrée sur le territoire des Somnius expatriés. Il m'est interdit de dévoiler la procédure qui sera mise en place, mais je peux simplement vous dire que les enfants des Somnius présents dans le monde des Inanis et en âge d'entrer à l'Université pourront passer les épreuves de la Compériale.

Le cœur d'Emma s'accéléra de nouveau. Si cette nouvelle aurait pu l'apaiser, lui faire penser qu'elle n'était finalement pas si privilégiée qu'elle le pensait, la culpabilité la rongea plus douloureusement encore, dans un lourd pressentiment. Quelles étaient les limites de toutes ces procédures, du Praesidium et de l'Énergie ? Était-il possible qu'une faille survienne, et qu'au milieu de ce désastre, une jeune fille de dix-sept ans, ayant tout d'une Inanis, ait bénéficié par mégarde de la Demande à Porveoir ?

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Hello les voyageurs inter-storiques ! 
J'espère que vous allez bien ! 
Je vous laisse cette petite note pour vous demander votre avis sur ce chapitre. En fait, j'ai créé tout un système politique et juridique mais je n'ai pas pu tout expliquer ici parce que ça aurait été trop long et trop lourd ! Donc n'hésitez pas à me dire si : 

1) Ce chapitre est déjà trop lourd en infos 

2) Vous avez des questions sur le système que je décris (besoin de précisions, incohérences)

3) Vous aimeriez que je fasse un book à côté de celui-ci pour vous écrire la Constitution des Somnius de France ='D 

Sinon pour l'intrigue, ici on a de nouveaux éléments ! Yes, enfin PAINFULSTEPS (j'ai même presque pas modifié mon brouillon). Du coup n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, et surtout si ça chamboule vos attentes et vos théories, ou si au contraire, ça les confirme ! 

Merci à tous pour votre aide précieuse ! <3
Bonne lecture, 

Longue nuit aux rêves, et longue vie à la Reine, et surtout bisous !


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