Découverte de la Compériale (Partie 1)
A la fin de la soirée, le Fort se désemplit, et les Cents se réunirent en haut du grand escalier pour prendre la photographie de leur promotion, graver à tout jamais ce moment, déjà inscrit dans leurs mémoires. Ils s'alignèrent sur les marches, devant le Doyen, le Vice Président et les membres du jury, de manière à ce que chaque étudiant soit visible.
Une fois les adolescents placés, Jarel Sood Decanus* sortit sa clef, dont l'anneau, un rectangle représentait un livre ouvert, et dont la tige représentait une branche de laurier légèrement courbée, pour la poser au creux de ses mains. En quelques secondes, le petit objet argenté se pourvut de grandes ailes rouges de papillon, et s'envola au dessus des Cents. Une fine poussière multicolore se déposa sur chaque individu présent sur l'escalier, les enveloppant de mystère et d'Énergie en cette nuit hors du commun. En un instant, tous disparurent.
Emma, placée au premier rang, non loin de Maiwenn, et Claire placée en dernière ligne, sentirent leur corps s'envoler dans une étrange sensation. Après quelques minutes de flottement, tous les adolescents se retrouvèrent sur une immense étendue d'herbe, surplombée de monts et de vallées, la nature se profilant à perte de vue sous l'éclat de l'astre nocturne.
Les étudiants titubèrent quelques secondes avant de s'habituer à ce nouveau paysage, et levèrent la tête, pour découvrir, devant eux, la prestigieuse Compériale. Surplombant la plaine, un immense édifice circulaire, telle une arène antique, bâti de pierres blanches, se dressait avec majesté. Des lucioles multicolores s'affairaient sur les parois pour les illuminer, guirlandes oniriques du quotidien. Au sein de cette architecture moderne trônait une immense porte, pareille à un diamant, sur laquelle la lueur de la lune se reflétait, faisant jaillir de fabuleux rayons multicolores.
Le Doyen afficha un sourire amusé devant les visages ébahis des adolescents. Les yeux grands ouverts pour retenir les moindres détails de ce spectacle merveilleux, la mâchoire pendante d'admiration, tous restaient pantois devant la belle Compériale. Claire se rapprocha d'Emma en émettant un petit sifflement, alors que Jarel Sood Decanus ouvrait les bras et invitait les étudiants à le suivre.
— Moi aussi, cela me fait toujours cet effet, même après dix ans, expliqua-t-il avec émotion. Nous vous souhaitons la bienvenue à la Compériale. Vous serez ici comme chez vous.
Les deux battants de l'immense porte s'ouvrirent alors sur un immense hall, lui aussi de forme circulaire. Son sol, composé de marbre parfaitement lisse, dessinant des formes imaginaires, rivalisait avec la beauté du plafond, qui, dans toute sa hauteur, s'illuminait tel un ciel étoilé, grâce à des petites lucioles qui se déplaçaient sur toute sa surface. Les Cents s'engouffrèrent dans la salle, le cœur battant, les sens à l'affût. Le premier arc de cercle, par lequel ils étaient entrés, s'habillait lui aussi de pierres blanches, tandis que d'immenses fenêtres, entourées de colonnes de pierre éclaircissaient la deuxième moitié de la pièce, laissant entrevoir les jardins de l'école.
— Vous voici dans le Grand Hall. C'est ici que nous recevons les plus grands érudits de la planète lorsque nous organisons des conférences. Comme vous avez pu le remarquer, dans les colonnes de pierre entourant les fenêtres, se trouvent de grandes vitrines.
A ces mots, tous les regards se tournèrent vers les étagères sculptées à même la pierre.
— Vous pourrez y trouver les photographies de toutes les promotions qui vous ont précédés à la Compériale depuis sa création.
Claire s'avança d'un geste agile vers la première vitrine, en y posant doucement ses doigts, son visage s'éclairant instantanément.
— Ouah ! Regardez, dit-elle à l'intention de ses amies qui l'avaient suivie. C'est la toute première promotion, avec mon frère, Alban.
Emma, en observant le visage du Protecteur des Rêves, continua à écouter le discours du Doyen, tandis que ses amies s'amusaient à commenter l'allure de chaque ancien étudiant présent sur la photographie.
— L'édifice de la Compériale, imaginé par un grand architecte de notre temps, Irvine Luckeat, est tout à fait original et unique. Les plans ne sont pas structurés sur des formes rectangulaires, mais tout a été pensé sur une base circulaire.
Emma déplia le charta qui venait d'être distribué aux étudiants, et observa le plan de l'établissement, fronçant les sourcils, pour tenter de se repérer dans cette immense école.
— La première moitié de ce cercle, constituée du Grand Hall, dans lequel nous sommes, ainsi que du jardin des différentes salles de cours et des bureaux, est bâtie sur la terre. Cependant, la deuxième moitié du cercle, comprenant les chambres ainsi que la Grande Terrasse, se trouve bâtie sur le plus grand fleuve de France.
— Regardez, on est sur l'étagère du bas, commenta Maiwenn sans prêter attention aux paroles du Doyen.
Emma se retourna et se pencha vers la vitrine, prenant soin de ne pas la toucher, pour observer la reconstitution miniature, en trois dimensions, de tous les étudiants alignés sur les marches du Fort. Claire colla son nez à la vitre, déposant un peu de buée sur la surface lisse de la glace, en émettant une exclamation de surprise.
— Génial !
— Tout à l'heure, quand Sood Decanus a positionné sa clef au dessus de nous, reprit Maiwenn en répondant à l'interrogation silencieuse de ses amies, la poussière qui s'est échappée a permis d'enregistrer l'empreinte de nos corps pour les reproduire ici, dans cette vitrine.
Soudain, le Doyen intima aux étudiants de se ranger par ordre alphabétique en deux colonnes de cinquante personnes pour pouvoir procéder à l'activation des clefs et à la remise de l'Énergie. Les trois amies s'exécutèrent et se placèrent devant la porte du hall qui s'ouvrait sur les jardins de l'école.
Tous s'avancèrent à la suite des membres éminents de l'institution, vers le cœur de la Compériale, dans une procession lente et riche de découvertes. Lorsque les Cents franchirent le seuil de la porte, quelques étudiants de deuxième et troisième année jouèrent de la cornemuse en guise de bienvenue. Le son joyeux et le rythme entrainant des instruments s'élevait dans l'atmosphère au plus grand bonheur des nouveaux étudiants. Emma, le cœur battant, les mains tremblantes, afficha un sourire à s'en décrocher la mâchoire.
En avançant le long de l'allée centrale, elle observa le bâtiment qui l'entourait, un immense cercle bâti sur trois étages, parsemé de fenêtres majestueuses, parcouru de cloîtres recouverts de fleurs aux couleurs et aux senteurs divines. De colonne en colonne, des milliers de petites lucioles se rejoignaient formant un fil de lumière qui éclairait l'ensemble du rez-de-chaussée.
L'allée centrale, foulée par les nouveaux étudiants, se prolongeait en un pont de pierre, bâti au dessus de l'eau pour relier les jardins au deuxième arc de cercle du bâtiment. Les deux-cent étudiants de deuxième et troisième année, eux, se trouvaient au niveau de ce pont, à la frontière entre le terrestre et le marin.
Dans le ciel, le blason de la famille royale apparut, comme un hologramme, flottant gracieusement de ses deux grandes ailes. Lorsque la mélodie des cornemuses s'évanouit, le Doyen prononça le plus important de ses discours.
— Alors que la nuit s'est installée, la lueur de votre réussite illumine les ténèbres de cette heure tardive. Ce matin, votre avenir dans notre grande Compériale semblait incertain, ce soir, cette nuit, à l'aube de demain, vous avez l'immense privilège de vous trouver au sein de cette prestigieuse institution, dont je suis fier d'être le Doyen depuis sa création, il y a maintenant dix ans.
Les étudiants de deuxième et troisième année applaudirent et émirent quelques sifflements d'admiration adressés à Jarel Sood Decanus.
— Il rougit, souffla Claire, incrédule.
La blonde, à quelques pas d'Emma, étouffa un rire dans ses mains, avant de reprendre tout son sérieux lorsque le Doyen, d'un geste, fit retomber le silence sur le jardin de l'école.
— Si votre cœur peut aujourd'hui se remplir de fierté et de patriotisme, si vous avez brillé durant les épreuves d'admission, n'oubliez pas que rien n'est joué. Étudier à la Compériale ne représente que les prémices d'une très grande aventure, celle de votre vie.
Les nouveaux arrivants inspirèrent à plein poumons, dans une mélodie commune de fierté et d'inquiétude, tandis que les yeux de la promotion bientôt diplômée brillaient de mélancolie, eux qui se souvenaient de leur propre cérémonie d'activation des clefs.
— Vous serez confrontés aux plus grands doutes, aux plus grands échecs, et aux plus grandes défaites. Ne pensez pas qu'avoir brillamment affronté les épreuves du Fort suffira pour exceller à la Compériale, pour être de grands Protecteurs des Rêves. Le chemin sera difficile et tumultueux, et vous devrez persévérer.
Une veine battait sur la tempe de Louis. Plus que jamais, plus que tous, il était déterminé.
— Comme vous le savez déjà tous, vous êtes destinés à faire régner la paix entre le monde des Inanis et des Somnius, pour que chacun d'entre nous puisse survivre. Mais la paix n'est jamais totale. Elle implique des sacrifices. Il vous faudra comprendre, appréhender ces deux mondes, les stratégies politiques, économiques, et diplomatiques, mais plus encore, il vous faudra saisir l'aspiration profonde des Hommes, les sentiments, les désirs qui animent leur cœurs. Il vous faudra saisir leurs craintes, leurs failles. Vous devrez comprendre le processus complexe qu'est le Rêve, cet engrenage somptueux et funeste, qui tient nos vies entre ses mains.
Tous acquiescèrent en silence, pour avoir déjà entrevu les dilemmes qui se présenteraient à eux.
— Pour être capable, à l'issue de ces trois années d'études, d'agir de manière efficace sur tous ces éléments, nécessaires à notre survie, il vous faudra travailler sans relâche. Mais ne vous méprenez pas, même lorsque vous aurez prêté serment, il vous restera beaucoup à apprendre. D'ailleurs, il me semble que vous ne connaitrez jamais le fonctionnement profond de l'Homme dans sa totalité, personne n'en est capable, pas même le plus talentueux d'entre vous.
Jarel Sood Decanus hocha de la tête, en fronçant légèrement le front. Lui-même semblait saisir la portée de ses propres mots, alors qu'il cherchait encore à comprendre l'étendue des Rêves.
— Ce soir, alors que la nuit s'est installée, je vais vous remettre toute l'Énergie dont vous aurez besoin pour cette nouvelle année qui vous attend. C'est ainsi qu'en cette nuit, en ce lieu, et en cette heure précise, je déclare la cérémonie d'activation des clefs ouverte.
Un tonnerre d'applaudissement retentit, des papillons s'élevèrent dans le ciel, et Jarel Sood Decanus avança jusqu'à une fontaine présente au milieu de l'allée. Une sphère transparente, immense bulle d'eau, trônait sur une grande soucoupe dorée gravée du blason Royal et de têtes de Tigres. Soudain, les souffles se tarirent, les ailes des papillons s'immobilisèrent pour ne laisser que le flot de l'onde glacée se déverser dans un clapotis apaisant.
Le Doyen, en murmurant quelques paroles incompréhensibles, versa, à l'aide de sa clef, quelques gouttes d'un liquide pur dans la soucoupe. Instantanément, l'Énergie, onction sacrée des Somnius, colora l'orbe aqueux de reflets célestes. Deux par deux, les Cents s'avancèrent vers Jarel Sood Decanus, tenant leurs clefs dans leurs mains.
Emma marcha doucement jusqu'au Doyen et tendit ses paumes, berceau d'un bijou onirique et fantastique. L'homme trempa ses doigts dans la lymphe cristalline qui se transforma en une boule diaphane et nébuleuse portant les traits flottants des deux mondes, les frontières terrestres et maritimes du Somnius et de l'Inanis.
— Emma Dalanore, j'ai l'honneur de vous nommer Compère de première année au sein de la Grande Compériale, et de vous fournir, tous les ans, jusqu'à ce que vous prêtiez serment, toute l'Énergie dont vous aurez besoin.
Sood Decanus lâcha la boule au dessus de la tête d'Emma, tandis que la clef de la jeune fille s'illumina comme réponse à la brume onirique qui s'agitait fébrilement. Puissances ineffables descendantes des Rêves, la boule d'Énergie et la clef se réunirent dans un spectacle merveilleux. D'un souffle, la sphère se déforma pour se reconstruire en double hélice multicolore, ADN de la vie, tournoyant jusqu'au petit bijou, réceptacle de l'Énergie. Emma, submergée par une émotion nouvelle, crut voir des fragments de cosmos se dessiner dans le tourbillon lumineux, comme si les Rêves eux-mêmes étaient à l'origine de l'Univers. Elle sentit la douce chaleur de la clef dans le creux de ses mains, tandis qu'un frisson remontait le long de son échine.
L'instant d'après, l'obscurité ordinaire retomba sur Emma, qui papillonna des yeux pour rester un peu plus longtemps dans un état d'extase et de béatitude. La jeune fille se remit finalement en mouvement, avança le long de l'allée, en dépassant la fontaine, pour prendre place près des Compères de deuxième et troisième année, alors que dans le même temps, le Doyen répéta le même geste sur l'étudiant suivant. Devenue Compère, assise parmi les siens, Emma observait avec émerveillement l'Énergie qui se déposait dans les clefs de ses amis jusqu'à ce que chacun des Cents ait été marqué par Jarel Sood Decanus.
* MotPas m'avait fait remarquer, à la première apparition du Doyen, que ce dernier avait du souci à se faire à cause de son nom qui évoque, dans sa sonorité, l'anus. Si vous voulez profiter de l'occasion pour sourire, vous pouvez le prononcer comme ça ='D. Sinon, à l'origine, je voulais donner une sonorité latine à Decanus, et je le prononce plus « Dé-ka-nouss ». Voilà pour l'anecdote !
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Hello les voyageurs inter-storiques !
Voici un chapitre léger, qui marque un évènement, un passage important de la vie des Somnius. Activer sa clef, recevoir de l'Énergie pour la toute première fois, pour eux, c'est plus important que d'atteindre la majorité. A la Compériale, on choisit de ne pas inviter les familles à cette cérémonie parce qu'on considère qu'une certaine intimité doit être préservée. Une intimité personnelle, hors de la pression familiale qui peut pousser les enfants à choisir une voie dont ils ne veulent pas, et une intimité plus « collégiale », pour former des liens entre tous les Compères, un sentiment d'appartenance à une mission commune. Bien évidemment, la famille n'est pas totalement exclue, parce qu'elle est présente à la fin des épreuves sur le Fort, et à la prestation de serment, qui sont aussi des moments très importants !
J'espère avoir réussi à vous faire voyager en rendant l'Énergie un peu plus « vivante » et « visible », même si en réalité, elle recèle encore beaucoup de secrets !
Longue Nuit aux Rêves, Longue Vie à la Reine !
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