21. Rhapsodie
Nous avions enfin fini par quitter la résidence, pédalant à grande vitesse. Nous nous sommes accordé une pause, après avoir traversé la ville pendant plusieurs heures, enfin arrivé en périphérie, non loin du fameux repère. Assis derrière des buissons, les vélos cachés sous le feuillage, nous buvons à grande lampées, et savourons le repos octroyé à nos jambes. Taehyung en profite pour ôter la poussière qui persiste à s'agripper à lui. Enfin, je brise le silence qui pesait sur notre trajet depuis l'incident. Nous avons conservé et mâché nos questions pendant le trajet, sans oser rompre le mutisme de notre exode.
- Il se peut que ça ai été posé par un candidat... Mais il ne me semble pas avoir vu ce genre de déclencheur d'explosif dans la salle de sélection d'objets. L'installation n'était clairement pas ancienne, les marches étaient vraiment propres par rapport à celles des autres maisons. Ça pourrait être un piège installé par les organisateurs tu crois ?
Il me scrute songeusement.
- Oui c'est plausible. La chose qui m'attirait était attaché à un fil, elle pendait face à la fenêtre. C'était si évident que ça ne m'étonnerait vraiment pas. On le saura pour la prochaine fois.
Il rit narquoisement.
- Et le matou ? Il a survécu à l'explosion ?
Je hausse les épaules.
- Il s'en est sorti, vu son gabarit.
L'humidité de l'air se faisait ressentir, le soleil ne va pas tarder à se coucher, d'ici une heure la pénombre avalera la ville et ses alentours. Selon la carte il nous reste peu de chemin, je pense qu'en 15 minutes nous y serons. Nous serons contraint de dormir la bas. Se déplacer de nuit sera bien trop dangereux. J'observe minutieusement le visage de mon camarade tourné vers le ciel aux nuances roses. La fatigue a déjà commencé a creuser sévèrement ses yeux, sa tignasse d'ordinaire noir aux reflets caramel vire au gris sous la poussière. Ses fins et délicats doigts agrippent son arme avec une douce fermeté. Le grain de beauté sur son nez prône fièrement, inchangé et inchangeable. À cet instant, dans le silence qui nous enlace et nous berce, je me sens libre. Alors que je ne contrôle rien, je me sens souverain de cet instant. Je voudrais qu'il dure éternellement. Oublier ce qui m'entoure et mes contraintes. Ne penser et ne voir que lui. Ses yeux viennent s'ancrer aux miens, et un franc sourire étire ses lèvres.
- Que dirais-tu que l'on y aille ? Je n'attends qu'une chose ; dormir. Plus vite on aura atteint la famosa casa, plus vite Morphée me kidnappera.
Il se lève et me tend la main, accompagnant sa proposition d'un radieux sourire. J'attrape la main de ce personnage antagoniste, me relevant avec force et grâce. J'attrape mon sac, replace mon arme dans ma ceinture, et monte en selle. Le gros de la ville derrière nous, nous déambulons avec légèreté.
Phébus est sur le point de prendre congé, mais il daigne prendre le temps de caresser de ses rayons la maison qui se dresse devant nous.
- Tu es sûr que c'est elle ? Je demande.
Taehyung vérifie une énième fois le numéro indiqué sur la carte, et lit la légende a voix haute :
- "319 rue des Étains. *Dans jardin = niche de Fredd."
Les murs de la bâtisse sont noir de suie, une partie du toit est manquante, du à un incendie qui ne semble pas daté de la veille. Le jardin est vide, à l'exception d'une niche en plastique, sur laquelle est inscrit "Fredd", visible malgré la mousse recouvrant partiellement l'habitacle. Nous n'osons pas franchir le portail, de peur de faire exploser quelque chose.
- S'ils y allaient, ils ne l'ont pas truffé d'explosifs, tentais-je.
Il hoche la tête. Je pose ma main sur le portillon, abaisse la poignet lentement. Aucun bruit ne se fait entendre, si ce n'est l'horrible grincement que fait cette poignet. Je pénètre dans le jardin, suivi de Taehyung. Nous posons nos vélos au devant des marches du porche, en piteux état. Je débute mon ascension, faisant hurler la maison entière, et ouvre la porte d'entrée. À l'intérieur, le mobilier est sacrément délabré, les murs sont tachés par l'humidité et une odeur de pourriture règne.
- Selon le journal, ils résidaient dans la cave, dit-il.
Mon regard se dirige vers une porte en fer à côté des escaliers (vraiment peu fiables) qui mènent au premier étage. Je l'ouvre, faisant apparaître devant moi un escaliers qui descend.
- Bingo... Je vais y jeter un coup d'oeil, vérifie les autres pièces en attendant.
Il hoche la tête et s'en va. La lumière naturelle accompagnera ma descente mais c'est le noir profond qui m'accueillera en bas. Le long de ma descente, sur le mur, j'observe les photos imprégnées par l'humidité. J'y devine quatre silhouettes, parfois deux visages abstraits, et ce qui semble être Fredd dans les bras d'une personne. Arrivé au pieds de l'escaliers, la pénombre m'entoure, je laisse ma main collé au mur à ma droite, mes pieds me servant de canne. Je sens une chose maniable contenant des objets. J'attrape ce qui s'avère être un sac, le retourne mainte et mainte fois, sans comprendre son sens, puis fini par réussir à l'ouvrir. J'y glisse ma main, sentant diverses formes, dont un cylindre froid, que je présume être une lampe. Je la sors et appuie sur le bouton, priant pour qu'elle fonctionne. Un jet de lumière jaillit, droit dans mon visage, m'aveuglant un court instant, je grogne péniblement. Autour de moi apparaît une pièce avec pour seul mobilier, deux chaises prônant fébrilement au milieu de la salle, jonchée d'os, de restes de vêtements et trois sacs en piteux état.Dans un coin, des couvertures entassées et des bidons vides.
Les murs s'effritent, formant des amas de poussières le long du sol. D'énormes tâches noires accaparent le plafond, les murs en leur hauteur, sur lesquelles prolifèrent des champignons par endroit. À nouveau, mes yeux glissent vers le sac que je tiens en mes mains. Il n'est pas comme celui de Taehyung et moi, sans logo et fragile, ils ont du le récupérer après leur largage. Le faisceau de lumière dévoile son contenu. Du fil de fer, un couteau suisse et une pierre à feu en magnésium. Je dépose la lampe sur une des chaises et m'empare du silex de poche, frénétiquement, je frotte les deux morceaux l'un contre l'autre, créant une multitude d'étincelles. Mon père en avait un dans le garage, il disait que c'était un de ses outils indispensables. Un soir, l'électricité s'était coupée dans le village, et les générateurs de secours se sont bien vite épuisés. Plusieurs jours se sont écoulés, dans le noir partiel pour certains, quant à nous, papa avait sorti fièrement sa pierre à feu pour allumer la cheminée. Nous avions passé nos soirées à dormir au pieds du feu, le chauffage nous ayant lâché, et je sens encore l'odeur de la cannelle que ma mère nous emmenait. Que pensent-ils de ma disparition ? Le craquement des escaliers résonnent, et une voix joviale s'élève.
- Alors, t'as trouvé quelque chose d'intéressant ?
Mon regard et la lumière se posent sur son visage encadrés par ses cheveux en bataille.
- Ooh, et la lumière fut.
Il observe un temps la salle, le nez froncé par l'odeur d'humidité.
-Mmh, une lampe, un couteau suisse, une pierre à feu et du fil de fer. Je n'ai pas encore fouillé les sacs au sol.
Il en attrape un et me jette l'autre, un sourire aux lèvres. Avec curiosité nous sortons tour a tour la contenance de nos sacs, un immense sourire naissant sur nos lèvres.
- C'est notre jour de chance, je murmure.
- Nous avons donc ici, une corde, une deuxième lampe de poche, un couteau de chasse et un revolver avec dix minutions. ET en prime ; une boîte de conserve sans étiquette.
- Sacrée dégustation surprise. Je mets ma main à couper qu'elle n'est plus bonne.
Il me sourit et range les affaires dans nos sacs.
- Tout ce matériel va nous être précieusement utile. Avec le fil de fer je peux fabriquer des pièges, et même une bombe si on trouve des isolants en polystyrène. Mais avant de se projeter, le vélo m'a vidé l'estomac, et ma mère disait toujours "un homme au ventre vide ne vaut pas mieux qu'une coquille sans escargot.". Et je commence à comprendre ce qu'elle voulait dire.
Le ventre semi rempli par l'infecte conserve constituée de composants indescriptibles et froids, nous nous installons sous les couvertures. Côtes à côtes, nos épaulent se frôlent dans la pénombre. L'humidité diminue considérablement la chaleur de la pièce, dans nos fins vêtements, nous grelottons légèrement.
- J'ai hâte que ça se termine, de pouvoir dormir à nouveau dans un lit et manger les plats de ma mère. Je pense même que si je gagne, je déménage dans un pays plus chaud. Théoriquement on ne sait pas ce que les autres territoires sont devenus mais je préfère tenter le coup.
Je reste silencieux, observant le noir de la pièce. J'entends son souffle non loin de moi, et je sens son sourire s'élargissant au gré de son imagination.
- Et après ?
Il tourne sa tête vers moi.
- Après quoi ?
- Après avoir gagné, que feront-ils de nous. On ne rentrera jamais chez nous.
Son corps se tend. Il le savait. Il le sait. Il acquiesce et murmure :
- Une fois qu'on aura gagné, je t'emmènerai voir mon terrain de chasse.
Il se tourne, dos à moi, laissant le silence prendre le dessus.
J'avais raison, la conserve n'était plus bonne.
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