Le royaume de Mhyr s'étendait sur des milliers d'hectares de forêts et de montagnes, occupant une partie importante de Morav, le grand continent. Le pays était connu pour sa diversité et la paix qui régnait sur ses terres. Aucune guerre ni bataille n'avaient été recensées dans les livres d'histoire et malgré ces quatre peuples qui y habitaient, la paix gouvernait le royaume. Mhyr était divisé en quatre contrées de même densité : Vanyr, la cité sanguine ; Lupus, les forêts hurlantes ; Dorahr, les lacs maudits et Sperat, la ville fantôme. Ces quatre peuples étaient unis par le même destin autour d'une unique cérémonie : la naissance de l'enfant Lune.
Tous les cent ans, lorsque la Lune épousait les étoiles à son point le plus haut, celle-ci versait une larme. Unique, belle et illuminée par la clarté de sa mère, elle venait s'éclater sur les pétales d'un chrysanthème qui poussait là. Tous les cent ans, lorsque le mois des morts s'achevait à Mhyr, la Lune, guide des défunts, offrait une vie. Cette nuit-là, un chrysanthème seul au milieu d'une forêt dense et obscure, avait eu la chance d'être choisi par la Lune. Lui qui signifiait la mort, il allait pouvoir donner la vie. Chaque siècle, lors de la nuit de l'enfant Lune, la contrée qui avait vu naître sur ses terres l'enfant, se voyait offrir la garde de l'être lunaire jusqu'à ses 20 ans, accompagné du chrysanthème de sa naissance.
Quelques années plus tard…
Jake était perché sur la branche d'un arbre, la tête en bas, occupé à résoudre un casse-tête. Ses doigts s'agitaient sur le cube de couleurs tandis que son corps effectuait un léger mouvement de balancier du haut de son perchoir. Plus bas, adossé à ce même arbre, se trouvait Horïn, le gardien et ami de Jake, le nez plongé dans un bouquin qui paraissait intéressant pour son lecteur et assommant pour Jake qui venait de finir son casse-tête. Celui-ci se redressa sur sa branche avant de bondir élégamment, pour atterrir lourdement sur l'herbe, faisant froncer les sourcils de Horïn.
– Tu devrais être plus bruyant la prochaine fois, lança-t-il ironiquement, sans pour autant lui adresser un regard. Les vampires de Vanyr ne t'ont sûrement pas entendu.
– Oh ça va, je n'ai fait qu'une pauvre démonstration de mon incroyable agilité et de mon talent pour l'escalade, répondit Jake sur un ton plein d'humilité.
Le jeune homme de 19 ans vint ensuite s'asseoir aux côtés de son ami, saisissant soudainement l'ouvrage qu'il lisait avec passion. Sans nul doute habitué au comportement envahissant de son protégé, Horïn se contenta de l'observer feuilleté le livre avec dépit, se remerciant intérieurement d'avoir repéré le numéro de sa page. Jake regardait les mots inscrits sur chaque page comme s'ils avaient été écrits en vanyrien, la langue des vampires - bien que le livre ait été écrit en sperate à Sperat - avant de rendre le livre à son propriétaire. Il n'était pas un homme de lettres comme son ami, penchant plus pour les activités sportives, bien qu'un jeu de réflexion de temps à autre ne le repoussait pas.
– Je m'ennuie, fit-il tout en bâillant sans discrétion.
– Commence par te couvrir la bouche, je n'ai pas envie de découvrir ce qui s'y trouve.
– Ça va, ça va, maître Horïn, se moqua Jake en s'affalant sur les cuisses de son ami.
– Bouge de là.
– Non.
Jake s'installa confortablement sur les jambes de son gardien, puis il observa les nuages qui flottaient au-dessus d'eux. Soudainement plus calme, il profitait de l'ambiance paisible de la clairière où ils se trouvaient, et de la respiration de Horïn qui avait naturellement repris sa lecture.
Horïn était un natif de Sperat, la contrée des spectres et contrairement aux idées reçues sur eux que l'on pouvait lire dans les divers récits des continents voisins, les spectres n'étaient pas des morts revenus sous une forme fantomatique. Tout comme les vampires, les loups-garous et les démons, les spectres étaient des métamorphes. Horïn avait le choix de se métamorphoser en un être spectral pouvant se rendre invisible ou traverser les murs - bien que hanter un mortel soit son passe-temps favori. Et depuis dix ans maintenant, les hauts conseillers de Sperat lui avaient confié la surveillance de Jake, l'enfant né de la Lune. Il n'avait jamais été un enfant facile, surtout pour lui qui n'avait que douze ans lorsqu'on lui avait confié cette tâche.
– Surveille cet enfant !, lui avait-on commandé.
Jake était alors âgé de neuf ans le jour où les anciens de Sperat l'avaient confié à Horïn. Depuis, il veillait sur lui comme un ange gardien, bien que cette tâche consiste surtout à l'empêcher de faire des bêtises ou à les réparer. Le passe-temps favori de Jake était de se transformer en loup pour effrayer les vieilles femmes de l'atelier de couture, mais dès qu'il leur offrait son plus beau sourire charmeur, elles lui pardonnaient sur le champ. Horïn les avait toujours trouvés idiotes d'être aussi faciles alors que Jake ne retenait jamais rien et recommençait le lendemain. Cependant, l'inquiétude principal du spectre n'était pas les farces puériles de son ami ni même son attitude collante, mais son absence total d'intérêt pour la cérémonie qui l'attendait dans quelques mois. Son anniversaire approchait à grand pas et Jake préférait nier les faits avant d'aller s'amuser avec les jeunes enfants de Sperat.
Horïn baissa légèrement son livre pour regarder Jake qui se reposait encore sur ses jambes. Le jeune homme regardait, avec son habituelle expression candide, les nuages de passage au-dessus d'eux. En le voyant si calme, Horïn glissa ses doigts fins dans l'épaisse tignasse blanche de Jake, enroulant ses mèches de cheveux autour de ses doigts. La couleur de ses cheveux faisait ressortir le brun de sa peau et le violet de ses yeux, le rendant plus séduisant qu'il ne l'était déjà. Horïn le maudissait pour ses traits physiques car lui non plus ne résistait jamais bien longtemps face à l'un de ses sourires.
– Tu es vraiment insupportable, marmonna Horïn en venant pincer l'une des joues de Jake.
– Mais hey !, rouspéta Jake, agressé par celui qui était censé le protéger. Qu'est-ce que j'ai fait ?
– Tu ne t'es toujours pas décidé à te préparer pour ta cérémonie ! Voilà ce que tu as fait !, se justifia Horïn avant de relâcher la pauvre joue de Jake.
– Arrête avec ça. Je n'ai pas envie d'y penser.
– Tu recommences… Tu sais que la cérémonie de la Lune est dans moins de trois mois, qu'est-ce que tu vas faire quand ce sera le jour J ? Dire à tout un pays que tu n'as pas envie ? Tu sais que c'est une cérémonie importante pour Mhyr.
– Je sais ! Mais… commença Jake en se redressant. Personne ne peut comprendre ce que c'est d'être l'enfant de la Lune et cette cérémonie… Je ne l'ai pas demandé.
– Jake, cela va au-delà de vouloir ou non. Tu sais parfaitement que tous les cent ans un enfant de la Lune vient au monde dans une des quatre contrées de Mhyr et qu'à ses 20 ans, il doit choisir une contrée.
– Cela vient à abandonner ce que nous sommes. Je suis né ici, à Sperat en possédant tout un tas de dons que j'ai dû apprendre à maîtriser et une fois que j'y suis habitué, que je vis avec, je dois me débarrasser de trois d'entre eux pour ne vivre qu'avec un seul. C'est cruel, répondit-il, la voix tremblante.
– Jake…
Horïn observa son protégé se lever puis partir dans la forêt. Chaque fois qu'ils se lançaient dans cette discussion, Jake finissait toujours par s'en aller en le laissant seul derrière lui. Horïn ne savait plus quoi faire ni quoi lui dire pour qu'enfin il se décide à faire le choix que Mhyr attendait de lui. Il était conscient du poids qui reposait sur ses épaules mais malgré ça, il connaissait l'importance de cette cérémonie pour le pays. Les enfants de la Lune étaient des êtres précieux pour les habitants de Mhyr. Né de leur astre gardien, guide de leurs défunts, ils étaient le symbole du cadeau que leur faisait leur Mère gardienne. Tous les cent ans, elle offrait l'un de ses enfants à l'une des contrées de Mhyr, lui laissant le choix à sa majorité, de rejoindre l'une des quatre régions du pays. Ainsi, recevoir un enfant Lune parmi les siens, même durant vingt ans, était un honneur que chacun respectait et louait. La paix qui régnait à Mhyr, malgré les guerres dans les autres pays, était grâce au respect que chacun portait à la Lune. Jamais un habitant de Vanyr, Sperat, Lupus et Dorahr ne penserait à attaquer la terre accueillant un enfant lunaire. La vie des enfants de la Lune était le symbole de la paix et chaque étape de leur vie était importante, du lieu de leur naissance à celui de leur vie.
Horïn savait que Jake connaissait l'histoire de Mhyr, mais il s'entêtait toujours à n'en faire qu'à sa tête car après tout, il devait abandonner des parties de lui. Les enfants de la Lune naissaient tous avec les capacités de métamorphoses des quatre contrées du pays, apprenant à toutes les maîtriser avec le gardien qu'on leur assignait. Jake pouvait aussi bien se transformer en une énorme bête féroce hurlant à la Lune que lancer un maléfice pouvant allumer un feu dans l'âtre. Horïn était lui aussi tiraillé entre son devoir en tant que gardien et celui d'ami.
– Tu n'es vraiment qu'un crétin, un sac à puces doublé d'un… marmonna Horïn, soudainement furieux contre Jake. D'un insupportable… Fait chier…
Le spectre abandonna son livre au milieu de l'herbe écrasée par leur présence, puis il partit à la recherche de Jake.
De son côté, Jake marchait entre les arbres, marmonnant diverses insultes dirigées vers Horïn et son manque de compréhension. Évidemment qu'il connaissait l'importance de la cérémonie pour son pays, Horïn et tous les habitants de Sperat s'en étaient assurés, mais malgré tout, il n'y arrivait pas. C'était trop dur pour lui de se poser enfin et de réfléchir à tout ça. Ses émotions et ses désirs se mélangeaient dans sa tête. Et l'une des raisons de son indécision était bien évidemment Horïn. Choisir un don autre que celui de spectre voulait dire quitter Sperat et donc Horïn. Et même s'ils pouvaient toujours se revoir ensuite, rien n'allait être comme avant. Et au fond de lui, Jake n'était pas certain de vouloir être un spectre toute sa vie, il n'avait pas le sentiment d'être fait pour ça. Mais il ne connaissait pas grand-chose aux autres régions de Mhyr alors comment pouvait-il choisir alors qu'il ne savait rien.
– Qu'est-ce que je dois faire… ?, marmonna-t-il, à genoux devant un arbre couvert de mousses.
Plongé dans ses pensées emmêlées, Jake fut surpris par un bruit soudain provenant des feuillages derrière lui. Il se redressa, légèrement craintif et méfiant puis il observa les alentours. Jake n'était pas d'un naturel peureux mais après avoir à nouveau laissé Horïn en plan, il se doutait que son ami s'était rapidement mis à sa recherche pour lui passer un savon. Le garçon de la Lune se mit à humer l'air autour de lui afin de repérer l'odeur de Horïn à travers celles de la boue et des arbres autour de lui. L'humidité de l'air brouillait son sens olfactif de loup-garou mais il parvint à sentir une légère effluve qui se démarquait des autres odeurs de la forêt.
– Je sais que tu es là Horïn !, s'écria-t-il en observant les alentours. Montre-toi !
Sur ses gardes, Jake se fit néanmoins surprendre par un assaillant venu du ciel. Horïn s'était dissimulé sur les branches d'un arbre grâce à ses dons spectraux avant de jaillir des feuillages pour bondir sur Jake et le plaquer au sol. Il était à présent à califourchon sur le bassin de son protégé, un sourire triomphant sur le visage.
– Tu croyais vraiment pouvoir m'avoir ? se moqua-t-il en profitant de l'expression douloureuse de Jake qui se massait l'arrière de la tête. Débutant.
– Tu es un vrai barbare… vociféra Jake, mécontent de s'être fait attrapé si vite. Tu m'as fait mal.
– Tu vas t'en remettre, grand bébé. Ce n'est pas la première fois que ça arrive.
– Ça reste douloureux. Tu es censé me protéger, pas te jeter sur moi pour me plaquer au sol.
– Et toi tu es censé m'écouter et prendre la situation au sérieux, mais rien ne se passe comme prévu, n'est-ce pas ?
– Encore avec ça… soupira Jake, abattu.
Horïn observait la mine déconfite de son ami avec une peine légère. Il ne savait pas comment faire pour convaincre et aider Jake à prendre la cérémonie de la Lune au sérieux.
Jake regarda à son tour Horïn toujours assis sur lui puis avec un naturel déconcertant, il vint caresser les cuisses de son gardien, remontant lentement jusqu'à ses hanches. Ses yeux détaillaient les courbes de son ami sans arrière-pensée, seulement concentré sur les lignes de son corps et la sensation de celui-ci entre ses mains. Bien évidemment, ce n'était pas la première fois qu'il était amené à toucher le corps de Horïn alors il ne fut pas surpris par l'absence de réaction de son ami qui se laissait faire sans broncher. Jake exerça ensuite une légère pression sur le ventre du spectre avec ses pouces sans raison apparente avant de ramener ses mains sur ses flancs avec délicatesse. Horïn était l'exact opposé de ce qu'il était physiquement. Il avait un corps plus fin et élancé que le sien. Sa peau était blanche comme de l'albâtre et ses cheveux… Jake avait toujours aimé regarder et toucher ses longs cheveux noirs de jais qui lui arrivait en bas de son dos. Et même si aujourd'hui Horïn les avait noué en une ravissante queue de cheval, Jake pouvait les sentir effleurer ses doigts s'il remontait légèrement ses mains sur son corps. À ses yeux, Horïn était une créature absolument magnifique. Sa peau blanche donnait l'impression de briller sous la lumière des astres et ses yeux bleus le transperçaient à chaque fois qu'ils se posaient sur lui pour le regarder. Il était définitivement la raison principale de son indécision. Jake ne se sentait pas capable de laisser derrière lui, un être si beau et élégant que ne l'était Horïn.
Jake se redressa afin de s'asseoir, sans pour autant faire partir Horïn qu'il maintenait contre lui grâce à la main qu'il avait placée au creux de ses reins. Il plongea son visage contre le cou de son gardien, glissant ensuite ses bras autour de sa taille dans un câlin qui se voulait réconfortant pour lui. Horïn se laissa faire, comprenant que son ami pouvait en avoir besoin, lui rendant même son étreinte en venant enrouler sa nuque avec ses mains.
– Je ne sais pas ce que je dois faire… murmura Jake contre le cou de Horïn dont la peau frémit au contact de ses lèvres.
– Dis-moi ce qui te travaille autant pour commencer, répondit-il en venant glisser ses doigts à travers la chevelure neigeuse de Jake.
– …
– Jake, dis le moi.
– … Il y a plusieurs choses… grommela Jake en serrant davantage Horïn contre lui.
– Il faut que tu me dises tout ça, et on essaiera de trouver un moyen d'arranger ce qui te tracasse.
– Bon… Je sais que je dois choisir entre les quatre régions de Mhyr mais… Je ne connais qu'une seule d'entre elles. Que ce soit Vanyr, Lupus ou encore Dorahr, je ne sais rien d'elles. Je ne connais que leurs pouvoirs mais si je devais choisir l'un de ses dons et que je devais donc aller vivre dans la région qui y est liée, comment savoir si j'y serai à ma place ?, s'enquit Jake, rassuré par la présence de Horïn.
– Il y a autre chose ?
– … Non… mentit-il, bien trop fier pour avouer la vérité à Horïn.
– C'est une chose Jake, pas plusieurs.
– … C'est pareil.
– Bien… soupira Horïn avant de venir saisir le visage de Jake pour qu'il le regarde. Allons-y.
– Où ça ? questionna Jake, hébété.
– À Vanyr, à Lupus et même à Dorahr. Tu dis ne rien connaître de ces régions et que c'est ce qui t'empêche de choisir alors allons-y. La cérémonie est dans trois mois, cela nous laisse suffisamment de temps pour tout visiter.
– Tu es sérieux ? Tu suggères réellement qu'on sillonne Mhyr pour faire du tourisme ?!
Jake observa le visage et l'expression de Horïn pour déceler un signe de plaisanterie mais son ami semblait plus que sérieux. Il était touché par la dévotion de son gardien à son égard mais cela allait être là première fois qu'ils quitteront Sperat alors Jake ne pouvait s'empêcher de ressentir une légère pointe d'appréhension.
– Horïn…
– Fais-moi confiance Jake. Je suis le plus âgé de nous deux et ton gardien alors tu n'as pas à avoir peur.
– Je n'ai pas peur et tu as seulement trois ans de plus que moi. Je n'ai juste pas envie de nous embarquer dans une aventure pareille sans être sûr de nous.
– Il n'y a rien à craindre. Et puis, tu seras sûrement accueilli avec les honneurs puisque tu es l'enfant de la Lune et les autres régions de Mhyr sont comme Sperat mais avec des infrastructures différentes. C'est tout.
– Tu es quand même bien serein… Tu ne seras pas en train de m'utiliser comme excuse pour voyager ?
– Évidemment que oui, ria Horïn en venant ébouriffer les cheveux de Jake.
Jake frotta son menton sur la poitrine du spectre, froissant légèrement la chemise blanche - dont quelques boutons avaient été laissé défaits - qu'il portait, boudeur, tandis que ce dernier riait de la situation, fier d'avoir trouvé une solution pour aider son ami d'enfance. Puis après quelques instants à observer le visage de Horïn illuminé par son éclat de rire, Jake finit par le rejoindre dans son hilarité. La simple présence du spectre et ses paroles avaient suffit à lui retirer le poids qu'il supportait depuis des mois voire des années. Son choix n'était pas encore fait mais avec Horïn à ses côtés comme soutien, Jake se sentait apaisé et confiant pour le début de leur aventure à travers Mhyr en quête de réponses.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top