Chapitre 3

Edwin

   Edwin se rendait d'un pas trainant à sa chambre, préoccupé de ne pas avoir vu sa sœur au souper qu'il avait donc partagé avec seulement son père et Sil'Alfian. Le jeune homme avait eu pendant ce repas tout le loisir de noter la façon dont le caractère du seigneur des Marches du Nord variait lorsqu'une personnalité importante était présente. Ce n'étaient que des changement difficilement identifiables pour quelqu'un le connaissant mal, de petites subtilités. Quelques exemples étaient son visage légèrement plus fermé, ses mouvements plus grandiloquents ou encore le pincement des lèvres lorsque son interlocuteur parlait de Siam.

   Alors qu'il ruminait tout cela, il aperçut un éclat rouge filer en travers du couloir, en direction des bâtiments occupés par les frontaliers de la citadelle. Edwin suivit la couleur des yeux puis reconnu soudain Lyara. Peut-être savait-elle où se touvait sa sœur ! 

   Le garçon s'élança derrière elle, ses grandes jambes l'aidant à rattraper sans problème la jeune fille. Quand il arriva à sa hauteur il remarqua des traces sur ses joues, sûrement qu'elle avait pleuré. L'amie de sa sœur s'arrêta pour se retourner vers lui.

   - Tu sais où est Siam ? questionna-t-il sans aucun préambule.

   La fille secoua la tête en signe de négation, ses beaux yeux bruns étincelants de colère. Edwin su discerner le mensonge, il avait l'intuition que la rage de Lyara avait un lien avec la cadette du seigneur de Marches du Nord. Au lieu d'insister, le jeune garçon planta son regard dans celui de la camarade de sa sœur. Au bout de quelques instants, sa patience finit par payer car son interlocutrice poussa un lourd soupir et ouvrit la bouche :

   - Elle est dans la cour arrière.

   Que diable faisait-elle dans la cour arrière si tard le soir ? Siam devait mourir de froid à l'extérieur. Sans un mot pour Lyara, Edwin repartit dans le sens inverse afin de rejoindre sa sœur. Avant de sortir il passa par le vestiaire et y attrapa son manteau ainsi que celui de sa cadette. 

   Le jeune homme repéra sans mal celle qu'il cherchait dans l'espace désert. Sa jeune sœur était assise sur un banc de bois, le visage entre les mains. Edwin, déjà anxieux à l'idée de l'état dans lequel l'annonce d'un mariage à treize ans avait pu mettre la jeune fille, sentit son inquiétude redoubler en la voyant dans une telle position de faiblesse dans un lieu autre que sa chambre. Il s'approcha sans chercher à cacher sa présence. 

   Siam redressa la tête et son ainé put détailler le visage ravagé mais dur de la fille. Elle avait des yeux rouges, contrastant avec la couleur grise de ses iris et des joues humides, devenant aussi pâles que le lait sous la lumière blafarde de la lune, mais ses lèvres ne tremblaient pas, signe de sa résignation. 

   - Ça va ? 

   Question stupide ! se sermonna-t-il intérieurement. Siam dut se faire la même réflexion car elle eut un petit gloussement tendu. Elle répondit à sa question par une autre, à la manière des marchombres (en tout cas ceux qu'Edwin avait déjà croisés).

   - Faut-il obligatoirement aller bien dans la vie pour vivre de grandes choses ?

   - ...

   Euhhhhh... Quelle mouche l'a piquée ? Elle parle comme ces vieux sages qui savent tout sur l'art de vivre.

   Le jeune homme resta perplexe quelques instants, avant de voir un sourire narquois apparaître sur le visage de sa sœur. Les deux éclatèrent de rire, ce qui ne permit pas pour autant d'alléger le poids pesant sur leur âme et leur coeur. Le rire clair de Siam s'arrêta aussi brusquement qu'il avait commencé et ses yeux se réduisirent à deux fentes.

   - Pour te répondre, je vais plutôt bien par rapport à ce que j'ai appris... j'imagine. Et puis je suis résignée à ne pas ternir l'honneur de notre père. Après tout, j'ai vécu toute ma vie avec l'ombre de la possibilité de subir un mariage forcé. 

   Edwin prit soudain conscience des désavantages que Siam endurait constamment et de ceux qu'elle aurait enduré si elle n'était pas née chez les frontaliers. Cette vérité s'imposa à son esprit avec tant de force et de clarté qu'il se demanda comment il n'avait pas pu la remarquer avant. Il ne savait pas consoler avec des mots, aussi s'approcha-t-il de sa sœur pour l'envelopper de ses bras. 

   Les adolescents restèrent durant quelques instants blottis l'un contre l'autre jusqu'à ce que la cadette pousse doucement son frère afin de parler.

   - Dans tous les cas on ne peut rien y faire, même notre père, qui est quand même le seigneur des Marches du Nord, ne peut pas contredire un ordre de l'empereur en personne. La seule chose que je puisse faire est de rendre la vie de Sil'Alfian la plus désagréable possible. Et comme c'est lui qui a demandé le mariage, il ne pourra pas se plaindre. 

   Le frère ainé de la jeune fille ne contredit pas cette dernière, malgré le fait qu'il soit ami avec l'empereur, car après tout, c'était à cause de lui que tout arrivait. Aucun des deux enfants ne pipèrent mot durant un long moment, jusqu'à ce que Siam se lève et prenne les mains de son frère.

   - Tu me promets de gagner le tournoi et de veiller sur notre père ?

   - Oui. Bien sûr, souffla Edwin, à qui ces mots sonnaient comme un adieu.

   La future épouse de Sil'Alfian partit sans un mot tandis que le futur champion sentait ses yeux lui piquer. 

   Il resta sur place longtemps, assez longtemps pour que le froid s'infiltre sous son manteau, pour que son cerveau engourdi se remette en marche. Alors, il se mit en mouvement, regagna sa chambre, un pas après l'autre.

   Devant sa porte se trouvait Almir Sil'Alfian, l'homme qui avait détruit la vie de Siam en quelques minutes à peine. 

   - Ah, te voilà. Je voudrais m'entretenir avec toi au sujet de tes nouvelles responsabilités, commença-t-il.

   - Je suis fatigué, grommela le jeune homme.

   - Bien sûr, bien sûr, mais c'est plutôt urgent. Vois-tu, nous partons demain.

   Edwin lui jeta un regard étonné. Ils partaient le lendemain et personne n'avait jugé bon de l'en informer ?

   - Tu as disparu directement après le repas. Tu ne nous a pas laissé le temps de te le dire, lança Almir, comme si il avait lu dans les pensées de son ami.

   - Et Siam ? Elle est au courant au moins ?

   - Oh, ta sœur ne viendra pas avec nous, elle ne viendra au palais seulement quelques semaines avant le mariage. Toi par contre, tu as beaucoup de choses à faire à Al'Jeit. 

   - Eh bien on aura tout le temps de discuter de ces "choses à faire" pendant le voyage tellement long et épuisant que tu as courageusement parcouru pour nous annoncer de superbes nouvelles. Maintenant j'aimerai bien profiter des heures de sommeil qu'il me reste.

   - En fait je suis venu avec un dessinateur qui s'occupe de la sécurité de la ville. Il ne va pas nous accompagner sur le retour et a besoin des détails de tes projets.

   - Ah, dit Edwin, ne trouvant plus aucune parade. D'accord alors, mais pas trop long.

   Ainsi les anciens camarades s'installèrent afin de clarifier certains points sur le nouveau rôle de général des armées d'Edwin. La discussion fut vite terminée et le jeune homme se retrouva seul avec ses pensées dans son lit moelleux. 

   La dernière réflexion lucide qu'il eut avant de sombrer dans le sommeil fut pour sa sœur, cette fillette qui sortait à peine de l'enfance mais qui trouvait pourtant du courage face aux désagréments que la vie plaçait sur son chemin.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top