Chapitre 2
Siam
Des centaines de pensées et d'émotions se bousculaient en Siam. La colère se battait contre la frustration, qui laissait place au découragement puis à la tristesse. De ces combats, une émotion prit pourtant le dessus : la rage.
De la rage contre son père qui semblait penser qu'être mariée de force à treize ans était la chose la plus glorieuse qui soit.
De la rage contre Edwin qui ne bougeait pas le petit doigt pour la soutenir.
Et surtout, surtout, de la rage envers Sil'Alfian qui la privait de sa liberté en l'enchaînant à lui.
Ce sentiment fort, la jeune fille ne le laissa pas paraître sur ses traits, se contentant de serrer la mâchoire puis de demander congé. Le seigneur de la citadelle des frontaliers la laissa partir sans autre cérémonie. La dernière chose qu'elle entendit avant de s'engager dans le couloir fut son géniteur qui invitait son visiteur à "aller boire un coup".
L'adolescente traversa une poignée de salles vides et gravit plusieurs escaliers au pas de charge. Elle passa à travers l'énorme cour au sol couvert d'une fine couche de sable servant de lieu d'entrainement à tous les frontaliers aguerris pour se rendre au vestiaire.
Siam revêtit un pantalon de cuir clair ainsi qu'une tunique bleue renforcée de cuir au niveau des coudes et des épaules. Elle sortit son sabre au manche lissé par l'usure de son fourreau, effectua quelques moulinets du poignet puis se rendit au centre de la cour, là où il y avait encore une section de sol vierge de toute trace de pas.
Après un échauffement sommaire, la jeune fille balaya le lieu d'entrainement du regard dans l'espoir d'y trouver un visage familier. Elle scruta chaque personne avec attention lorsque... Là !
Lyara, la meilleure amie de Siam, était assise sur un banc de pierre, aiguisant son sabre, ses longs cheveux couleur de feu tombant sur la lame. La fille de Hander se dirigea vers elle, plus furtive qu'une ombre.
- Salut, commença-t-elle.
Son amie leva ses yeux brun brillant vers elle, étonnée de la voir dehors à cette heure avancée alors qu'elle était d'habitude en plein entrainement du soir. Sa surprise disparut rapidement, elle avisa la tenue de combat ainsi que le sabre de Siam et se leva avec entrain.
- Je reviens. Je vais me changer, dit elle avec son impatience habituelle.
Lorsque Lyara revint, habillée des mêmes vêtements de combat que son amie, elles engagèrent l'affrontement.
Les deux jeunes filles enchaînaient parades et attaques à une vitesse vertigineuse. Siam envoya son sabre d'entrainement (censé être moins dangereux que l'arme faite de métal mais tout aussi solide) vers l'épaule de sa camarade qui l'évita d'une simple torsion du torse. Lyara tenta de la faire tomber en lui fauchant les genoux avec force, son amie sauta plus haut qu'il était physiquement possible de le faire tout en lancant son pied vers le ventre de son adversaire qui tangua, déstabilisée, avant de chuter lentement. Elle eut le temps de se tourner face contre terre. Quand ses mains entrèrent en contact avec le sol, Lyara utilisa les muscles de ses bras pour se propulser sur pieds.
Loin de s'étonner de l'agilité de la rousse, la fille du seigneur des frontaliers attendait de pouvoir continuer l'entrainement. Les actions se succédaient, poussant l'une et l'autre dans leurs ultimes retranchements, sans pour autant que quelqu'un prenne l'avantage. Aucune des deux ne se rendait compte que plusieurs curieux se massaient autour d'elles.
Après une offensive particulièrement audacieuse de la part de Siam, Lyara feinta une attaque vers le bras puis dévia à la dernière seconde en direction de la hanche droite. C'était une bien piètre feinte car un coup au bras n'aurait pas créé de douleur trop forte ou de blessure à son amie. Malgré ça, sûrement à cause de la fatigue cumulée au cours de la journée, la sœur d'Edwin se laissa avoir et fut propulsée à terre avec une violence à couper le souffle.
Siam se cogna fortement la tête sur le sol rugueux en avalant un peu de sable. Le sang lui emplit la bouche, elle cracha, un bourdonnement désagréable envahi ses oreilles, les personnes autour étaient déçues par la manière dont elle s'était fait battre mais félicitaient Lyara. Cette dernière s'agenouilla à côté de sa camarade en lui tendant une main secourable. Elle l'attrapa avec reconnaissance tandis qu'elle recevait des tapes d'encouragement sur l'épaule.
L'engouement amené par l'affrontement se dissipa et les meilleures amies purent s'asseoir tranquillement pour discuter.
- Qu'est ce qu'il s'est passé ?
Siam pensa à mentir à Lyara dans l'espoir que la nouvelle dévastatrice puisse n'être qu'un cauchemar. Car au fond d'elle, elle savait que le moment viendrait où elles devraient être séparées. Pourtant, la jeune fille devinait que son amie saurait discerner le mensonge.
- Sil'Alfian est arrivé à la citadelle.
- Et en quoi c'est un problème ? questionna la fille aux yeux bruns.
- Il a annoncé deux nouvelles.
La fille du seigneur des Marches du Nord laissa passer un silence avant de reprendre.
- La première est qu'Edwin va participer au tournoi d'Al'Jeit alors que moi je vais rester là, comme un bébé, parce que c'est "interdit aux filles".
Siam avait émis ce dernier point en levant les yeux au ciel et prenant une voix grave. Elle et sa meilleure amie partageaient (entre autre) l'amour des combats et elle était sûre que la jeune fille serait d'accord avec elle.
- C'est totalement injuste ! explosa Lyara. Si j'étais toi, je me cacherais durant le voyage et ils seraient obligés de t'accepter une fois à la capitale.
La réaction de sa camarade fit sourire l'adolescente, mais l'ombre de la seconde annonce à faire la fit se rembrunir aussitôt.
- Et la deuxième chose qu'il a dit c'est qu'il me demandait... en...en...
Le regard attentif que la jeune rousse posait sur elle enleva tout le courage qu'il restait à la fille. Peut-être qu'elle ne verrait plus jamais ces yeux brillants d'intelligence.
- En quoi ? demanda sa camarade, perturbée par l'hésitation de Siam.
-...Il m'a demandée en mariage.
Le silence assourdissant qu'engendra la nouvelle était pire que n'importe quel cri ou pleur ; car il était le miroir de ce que ces paroles avaient causés en Lyara : un vide total.
- Tu peux me dire quelque chose ? murmura la sœur d'Edwin, sa réputation d'intouchable volant en éclats à ces mots.
Son amie de toujours ne dit rien, se contentant de respirer plus bruyamment. Les larmes que Siam retenait depuis des heures commencèrent à dévaler ses joues en silence.
- Comment tu peux oser avoir l'idée de m'abandonner !? rugit sa camarade. On s'est promis de rester à jamais ensemble !
- Mais..., commença l'adolescente, si je pouvais décider je resterais sans hésiter !
Le visage de son amie rougit violemment et elle se leva avec fureur avant de partir à grands pas vers la sortie de la salle ouverte. Elle laissait derrière elle Siam, les yeux rouges, perdant tout espoir de trouver du soutien de la part de quiconque.
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