Don't be scared of what you don't already know

Dans la rue vêtue de vert, un peu paumée loin des autres, sur le palier de la porte, il sourit. JungKook qui se tient dans l'encadrement lui répond. Est-ce que c'est une dernière trace de malaise qui habite leurs visages ? Ou est-ce juste cet inexplicable rien qu'ils ne cessent d'arborer ?

« -Bon tu rentres ? »

Peu importe, TaeHyung rentre. Il suit JungKook à travers le long couloir, regarde autour de lui, voit ce qu'il n'avait pas vu la dernière fois.

« -Pose tes affaires dans un coin. »

TaeHyung fait ce qu'on lui dit.

« -Tes parents sont pas là ?

-Non. Ils sont à la mer. »

Et dans ce fameux silence – au loin le bruissement des arbres – ils pensent à un jour qui ne remonte pas à si loin, bien qu'ils se gardent d'en parler. C'est qu'ils n'ont pas besoin d'en parler.

« -Alors ? On fait quoi ? »

Bon, je crois qu'il faut expliquer le contexte encore une fois.

C'était hier. Je sortais du lycée quand j'ai entendu qu'on m'appelait. Alors je me suis retourné et j'ai vu JungKook avec son vélo et tout. Je ne lui ai même pas demandé ce qu'il faisait là. Je l'ai regardé, c'est tout. Et là sans introduction ni rien il m'a dit :

« -Viens chez moi. »

J'ai attendu qu'il ajoute quelque chose. Mais comme il me regardait et que je le regardais et que c'était pas très productif, je lui ai répondu:

« -Maintenant ?

-Non. »

Je crois qu'il faisait durer le suspens.

« -Demain.

-Pourquoi ? »

D'abord il a rien dit, puis il est monté sur son vélo et en partant il a lancé :

« -Trop de questions TaeHyung. »

C'était pas un reproche. C'était juste pour rire. Et il a ri. Puis il est parti. Et moi je l'ai regardé partir. Et je me suis dit qu'il avait peut être raison.

Tout ça pour dire que c'est comme ça que je me retrouve chez JungKook (encore) et que ses parents sont pas là, et que c'est le week end, et que c'est silencieux, et qu'il fait beau dehors.

D'abord, ils sont restés dans la chambre de JungKook. Ils parlent un peu, de banalités surtout. Ou alors ils ne parlent pas, et c'est très bien aussi comme ça. Cette fois les rideaux sont écartés des fenêtres et la lumière rentre en masse pour éclairer la pièce. Alors TaeHyung observe les choses qui s'y trouvent. Il observe les mangas sur l'étagère, le lecteur antique, les piles de CD aussi. Et il y en a des CD.

« -T'es pas un peu vieux jeu ? »

JungKook qui est assis sur le lit se contente de sourire à sa remarque. Un peu après il lâche :

« -Quand on aime on ne compte pas. »

Cette fois c'est TaeHyung qui sourit.

« -C'est toi qui dessines ? »

JungKook se redresse. Il a l'air soudainement anxieux, voyant TaeHyung détailler les feuilles en bordel sur le bureau.

« -C'est cool. »

JungKook se pince les lèvres. Ou bien il les cache.

« -Merci. »

Et alors JungKook regarde TaeHyung dans la lumière, debout devant son bureau, qui ose toucher à ses trucs, qui ne s'en rend même pas compte, qui n'en fait presque rien, sauf que c'est juste assez et que JungKook aime bien.

« -C'est quoi comme groupe ça ? demande TaeHyung qui a trouvé un autre CD sur la table.

-Tu rigoles ? »

JungKook voit que non. Il soupire, se lève et va se poster au bureau, juste à côté de lui. Il y a leurs épaules et le haut de leur bras qui se touchent. Ils ne savent pas s'ils le voulaient ou pas. Ils ne savent pas. Mais ils ne bougent pas. JungKook explique à TaeHyung qui est ce groupe, pourquoi il est génial, et puis il prend d'autres pochettes qui traînent par là. Et comme TaeHyung ne connaît pas, JungKook l'engueule. Mais pas trop non plus.

Plus tard ils se baladent dans la maison. TaeHyung observe encore. Il traîne près des cadres de photos dans la salle. Il s'arrête devant l'image des deux enfants.

« -C'est tes frère et sœur ? »

JungKook le voit de loin. Il y a une drôle de présence dans son œil.

« -Non. Demi frère et sœur.

-Et c'est ta mère là ?

-Sûrement ( il dit ça car il lui a tourné le dos ).

-Et le type là ?

-Lui c'est John. L'homme parfait. »

TaeHyung rigole. Alors JungKook rigole aussi, cherchant un truc qu'il a laissé dans le salon. TaeHyung ose poser la question parce qu'il y a peu de choses qu'il n'ose pas :

« -T'as pas de père ? »

Sur le coup, il y a comme un abattement, un infime fléchissement des épaules de JungKook penché sur la table du salon. C'est presque rien. Et à 17 ans on ne s'intéresse pas trop au langage corporel et cætera. Pourtant TaeHyung sait que quelque chose s'est passé. Microscopique.

« -Si. »

JungKook ne dira rien d'autre. Et TaeHyung n'insistera pas. Il se tourne plutôt vers la seule photo de lui sur la commode. Il devait peut être avoir six ans à ce moment là. La photo a été prise dans un parc d'attraction et sa mère s'était agenouillée près de lui. C'était l'été. TaeHyung se dit ça car quand les choses se passent l'été, ça se voit. Il y a sur cette image une chose dans le sourire de JungKook. Une chose qui ne s'y trouve plus. Mais TaeHyung n'en parlera pas.

Il se retourne quand la musique démarre. JungKook a trouvé ce qu'il cherchait. Il passe Music to Watch Boys to de Lana Del Rey. Il aime cette chanson. Pendant le premier refrain il se met à danser. JungKook aime danser sur ses musiques à peu près autant qu'il aime les musiques elles-même. C'est léger comme mouvement. C'est lent comme la voix.

TaeHyung le regarde. Il se demande d'abord s'il est vraiment en train de faire ce qu'il croit qu'il est en train de faire. Et oui. Alors il va s'asseoir sur le plan de travail, silencieux.

TaeHyung regarde JungKook qui danse et jamais il ne se dit que c'est bizarre, jamais ça ne lui pose un problème, jamais il ne se détourne. Il n'y a pas de problèmes. Il oublie ça, il oublie tout.

Tout est bien.

Plus tard ils vont dans le jardin. C'est plus une terrasse qu'autre chose. Ils s'assoient sur le muret qui délimite tout le reste. Il y a derrière eux des grandes plantes qui scintillent sous le soleil. Les picotements chauds d'un printemps avancé parcourent le visage de TaeHyung. Il est en plein face à face avec le ciel. Et le ciel est de bonne humeur aujourd'hui. JungKook joue avec une brindille trouvée dans les feuilles creuses des plantes. Il lève un peu les yeux pour voir l'autre et l'autre regarde le ciel alors JungKook se met à regarder le ciel aussi.

« -Il est clair aujourd'hui.

-C'est beau non ? »

TaeHyung fait oui de la tête. Peut être qu'il est béat d'admiration. Ou peut être pas. Il dit :

« -Ça doit être dur d'être le ciel.

-Ah bon ?

-Bah oui tu dois gérer la météo sur toute la planète, tu dois respecter les climats, tu dois faire de la pluie mais pas trop pour pas que les gens soient trop déprimés, tu dois donner du soleil mais pas trop sinon la terre sèche, il faut faire du froid aux extrémités et changer de couleur d'un bout à l'autre pour que les horaires soient respectés. Faut penser à tout.

-Arrête de raconter n'importe quoi ! s'esclaffe JungKook en lui lançant sa brindille au visage et en se mettant à rire. »

TaeHyung rit aussi. On rit beaucoup ici. Puis quand ils se calment, il murmure :

« T'imagines ? Être la nuit et le jour en même temps. »

JungKook le regarde tandis que l'autre reste captivé par le ciel. Sous le soleil on est bien. Ça aurait pu durer longtemps comme ça.

« -Tu réfléchis beaucoup TaeHyung. »

Celui-ci baisse la tête. Leurs yeux se rencontrent. TaeHyung comprend que JungKook le regarde depuis un moment déjà. Puis il lui donne une tape sur l'avant bras.

« -Sois pas ironique toi.

-Me frappe pas ! »

JungKook lui donne une tape en retour. Après ça, ils arrêtent de parler du ciel. TaeHyung s'assoit en tailleurs. JungKook ne bouge pas. Ils ne pensent à rien.

Tout est pour le mieux.

Ensuite TaeHyung a continué d'explorer. Il ouvre les portes, devine à quoi servent les pièces. Garage, bureau, chambre des parents, chambre des enfants, salle de bain. Il rentre dans la salle de bain. Il s'arrête devant le miroir. Il se regarde longtemps. Il trouve ça étrange de se tenir là, dans la salle de bain d'autres gens qui n'en savent rien. Ici il n'y a qu'un fin rideau pour canaliser la lumière. Sinon tout est céramique bleue, papier peint blanc, étoiles de mer et autres motifs type marin. Et puis bien sûr il y a les jouets arc en ciel dans la baignoire. Quand JungKook rentre c'est le premier truc qu'il voit parce qu'il se plaint du bordel. En vérité c'est pas trop son problème. Il s'arrête devant le miroir à côté de TaeHyung. Ils se toisent à travers. Puis JungKook tire la langue. TaeHyung hausse les sourcils puis appuie sur sa paupière inférieure.

« -Dégueu, lui lance JungKook. »

TaeHyung arrête, sourit et attrape un flacon rouge sur le rebord du lavabo. Il l'approche de son visage et le détaille. C'est du vernis.

« -C'est à ta mère ?

-Ouais. »

JungKook observe aussi le flacon.

« -T'en as déjà mis ? il demande.

-Non.

-Super, faut une première à tout. »

Alors il l'attrape par le bras et l'emmène dans sa chambre. Assis en tailleurs, face à face sur le lit, JungKook tire sur le poignet de TaeHyung pour qu'il lui donne sa main. TaeHyung le regarde faire, sans rien dire. Il le regarde tenir sa main en l'air avec l'une des siennes pendant que l'autre main ouvre le flacon en essayant de rien renverser.

« -Bouge pas. »

TaeHyung ne bouge pas. Et JungKook lui peint les ongles. TaeHyung se contente d'observer son air super concentré, puis sa main tenue par la sienne, en silence. C'est qu'en plus JungKook s'en sort bien. Est-ce que ça dure longtemps ? Il ne sait pas trop. Et pour ainsi dire, ça n'a pas d'importance.

Quand JungKook a terminé il lui rend ses mains en souriant. Puis il rebouche le flacon et le pose sur sa table de chevet. TaeHyung contemple ses doigts aux ongles colorés.

« -Quel talent.

-Je sais. »

En disant ça JungKook ouvre la fenêtre au dessus de son lit. La lumière de la fin d'après midi ne se fait pas prier, elle envahit les draps, la couette, les oreillers, tout quoi. TaeHyung s'allonge en plein milieu pendant que JungKook se penche à travers l'ouverture, appuyant ses coudes sur le rebord. L'air frais vient se poser sur eux, vient danser, même frétiller dans leurs cheveux. JungKook l'inspire pleinement puis se laisse tomber à son tour sur le matelas.

TaeHyung dit :

« -Le rouge c'est la couleur de la colère. »

JungKook répond :

« -C'est aussi la couleur de la passion.

-La colère ça fait partie de la passion. »

JungKook ferme les yeux et se tourne légèrement vers la fenêtre en grommelant :

« -L'amour aussi. »

Après ça ils se sont tus. TaeHyung finit par fermer les yeux après lui. Et alors ils sommeillent dans les aléas d'un ciel trop occupé à gérer tout le monde pour se gérer lui même. Et ils ont l'air si paisibles ensemble. Qui se soucie de ce que pense le ciel ?

Lorsqu'ils se réveillent c'est le soir et il y a plein de nuages bleus là haut. TaeHyung dit qu'il doit rentrer chez lui et JungKook le raccompagne à la porte.

Et le voyant prêt à partir sur son vélo, il pense :

Si c'est rien, est-ce que ça compte ?

Mais il ne le dit pas.

Qui se soucie de ces choses là ?

We have, lifting from the ground
We go, never coming down