Chapitre 3
Il courait. Comme un véritable dératé. Il ne rentrait pas chez lui. Peut-être aurait-il dû. Mais la curiosité et l'adrénaline avaient eu raison de lui. Il devait savoir.
Machinalement, il laissait ses jambes le porter tandis qu'il réfléchissait à toute vitesse. Que pouvait bien signifier cette étrange énigme, cette sorte de poème mal écrit ?
Le cycle de l'astre, la cloche de bronze, l'apogée de la nuit... Qu'avaient ces mots en commun ? C'était un rendez-vous, supposait-il. Qu'on avait donné à celui qu'il avait tué. C'était certain.
Soudain, il fit halte, trop épuisé par tant d'efforts. Au beau milieu d'une large rue. En face de lui se dressait fièrement le chétif bâtiment croulant presque sous le poids d'une unique tourelle en briques de l'église de la petite ville. Sa silhouette se découpait sur le ciel étoilé, telle une ombre inquiétante surplombant tous les autres bâtiments et êtres qui y rôdaient. Un être tout de pierre qui surveillait les allées et venues de chacun et donnait le rythme de la vie aux habitants, du timbre de son énorme cloche de bron...
Alexander se dressa. La cloche ! D'un geste vif, il sortit le message de la poche arrière de son jean usé, et le déplia. A la lueur de la lune, à présent un quart moins pleine... il s'arrêta une nouvelle fois. Puis il parcouru les lignes d'encre du regard, à la recherche de certaines tournures de phrases clés. Satisfait, il releva la tête pour contempler le bâtiment au bout de la rue.
En fin de compte, il était arrivé plus vite à conclusion qu'il ne pensait. D'un pas sûr, il continua tout droit. Ses pas l'avaient, peut-être par un simple coup du sort, amenés à l'endroit exact.
La place était vaste, morte. On arrivait presque à se demander comment elle pouvait accueillir nombre d'évènements festifs, en plein jour. Recouverte de longs pavés tous bien scellés les uns aux autres, elle était blafarde. Chaque mouvement exécuté faisait écho, emporté par la légère brise s'étant mise à souffler. C'est donc sur la pointe des pieds, qu'il tenta de la traverser. Une fois face à la porte en bois, incrustée de barres en métal finement manufacturées, tout comme la poignée reluisante, il leva la tête.
La voûte céleste s'étendait calmement, la flèche évangélique chatouillait presque ses nuages. Cette vue lui arracha un semblant d'apaisement ; l'ombre d'un fin sourire traversa son visage. Revenant sur terre, il s'adossa au mur fort de l'édifice et guetta la moindre apparition du regard.
Personne.
Ne se décourageant pas, il patienta.
Personne.
Il sauta d'un pied à l'autre.
Personne.
Son dos le démangeait.
Personne.
Se contorsionnant, il se gratta l'échine.
Toujours personne.
Ne tenant plus en place -- car enfin cela faisait plus d'une demi-heure qu'il attendait et il était presque minuit, il commença à tourner en rond. Se pourrait-il qu'il se soit trompé ? Non, impossible, quelqu'un lui avait bien donné rendez-vous. Il se concentra de toutes ses forces. Peut-être qu'un détail lui avait échappé ? Un petit mot, une lettre, ... Alors qu'il mettait la main à sa poche pour en sortir à nouveau le bout de papier, la cloche sonna avec violence. Premier des douze coups.
Le billet lui échappa, s'envola innocemment. Alexander essaya de le rattraper, mains en avant. Cependant, fougueux, il se glissa dans un interstice de la porte. Sans hésiter, le jeune homme partit à sa poursuite en poussant le lourd battant. Malheureusement, il l'avait perdu de vue. Pendant quelques instants, il resta planté là, sur le grand porche, plissant les yeux, scrutant l'obscurité.
Le semblant de clarté de la nuit s'était engouffré en même temps que lui dans la nef de la paroisse, effleurant la longue allée menant au chœur d'une lueur bleue. Quelques bancs flanquaient les murs. Au loin, on distinguait les vitraux qui relataient, sur des morceaux colorés, de nombreuses scènes d'une seule et même légende, que certains tenaient pour vraie. C'était tout ce qu'Alexander pouvait apercevoir, depuis sa position.
Peu sûr, il s'avança un peu dans les ténèbres. Il est vrai que cet endroit n'était pas encourageant ; il y régnait un silence encore plus pesant qu'à l'extérieur. Tous les sons devenaient un fracas incroyable, et se répercutaient sur les parois austères. De plus, il y régnait une froideur telle qu'elle le faisait claquer des dents.
Toujours à pas de velours, il parcouru les rangées de sièges en bois, observa les piliers et leurs chapiteaux qui montraient le chemin jusqu'à l'autel principal. Il ouvrit un ou deux petits livres aux couvertures rouges, et plutôt épais, oubliés sur les banquettes ; il tomba sur des pages couvertes de minuscules caractères imprimés, formants des paragraphes dans une langue inconnue. Sans plus s'attarder sur quelque chose d'incompréhensible, il continua.
Plusieurs fois, il se retourna, pour voir si la porte ne s'était pas refermée. C'est ainsi qu'il aperçut les tubes argentés, brillants, d'un gigantesque orgue, au premier étage.
Curieux, et pour avoir une meilleure vue d'ensemble –peut-être que cela lui permettrait de retrouver son papier ? , il chercha comment y monter. Il dénicha un petit escalier, dissimulé par la chaire dépourvue d'ornements, où prêchait quelques fois l'orateur du quartier.
En colimaçon étroit, aux marches déformées par le temps, cette rampe donna bien vite le tournis à Alexander. Il montait, montait ! Toujours plus haut, encore plus haut. Il se demanda rapidement s'il ne s'était pas trompé de chemin. Son intuition se confirma lorsqu'il déboucha dans la tourelle, où pendait le beffroi, qui ne s'était d'ailleurs pas encore tu. Il en était au septième coup. Le jeune homme soupira, lassé, et épuisé par sa montée, qui s'était révélée inutile. Bon, il n'avait qu'à redescendre.
Soudainement, lorsqu'il s'apprêta à faire marche arrière, une dague vint se planter juste à l'endroit où il allait poser son pied. Surpris, il recula vivement. D'instinct, il regarda autour de lui, cherchant qui avait bien pu lancer l'arme avec autant de précision.
-Où est Egon ? tonna une voix, qui se voulait forte, mais qui, en réalité, avait un timbre plutôt fluet.
Alexander reprit ses esprits. Sans bien faire attention, il avait réussi à trouver le point de rendez-vous. Ne restait plus qu'à découvrir qui était le mystérieux instigateur de tout ceci.
-Répond ! Où est-il ?
Le ton était pressant, impulsif. Cela le sortit de ses divagations.
De qui parlait-on ? Un type du nom d'Egon. Dans un éclair lui revint un souvenir d'un peu plus tôt dans la soirée. Il revit la façade décrépie de ce vieux magasin, celui dans lequel il avait fait cette effroyable découverte. Egon et fils. Qui était-il ? Celui à qui on avait adressé le mot, pour sûr. Mais était-ce le même que l'individu qu'Alexander avait tué ? A cette autre pensée, son estomac se contracta. Il tenta d'oublier ce dont il venait de se rappeler, pour le moment. L'important était d'en savoir plus.
Ainsi, tentant de paraître assuré, il parla :
-Egon ne viendra pas.
Silence.
-Il devait pourtant m'apporter ce qu'il a accompli la nuit dernière.
Alors on parlait bien du même homme, pensa-t-il.
-Qui es-tu, alors ? recommença la voix. Il m'en a encore envoyé un autre ?
A l'énonciation de cette dernière phrase, une boule se forma dans la gorge d'Alexander. Se pouvait-il qu'ils soient plusieurs ? Le « et fils » laissait bien cette piste ouverte. Cet Egon pouvait possiblement être le chef.... Et les autres, ses sous-fifres.
-Un autre quoi ? se risqua-t-il à demander.
Rire. Plutôt charmant, pour celui d'une personne ne voulant pas se montrer. Des pas. On approchait, mais restait à une distance assez sécuritaire. Timidement, le bout de chaussures cirées pointa hors de l'obscurité.
-Tu ne sais pas ? Eh bien, ce vieux bougre a vraiment une drôle de manière de renseigner ses envoyés. Oui, tu as bien entendu, il en a une bonne dizaine, d'autres comme toi. Egon n'aime pas beaucoup parler en-dehors de chez lui, alors il envoie des messagers, comme toi, faire le boulot, prévenir qu'il ne viendra pas.
Alexander fut surpris d'entendre à quel point cette personne était pipelette.
-Enfin, ça ne l'empêche pas de bien faire sa besogne.
Ce mot chatouilla sa curiosité. Faire quoi, au juste ?
-Et... quel est ce travail dont il est chargé ?
Après tout, si elle parlait autant, pourquoi ne pas jouer avec cette corde pour soutirer certains renseignements ? Savoir si sa découverte de plus tôt soit confirmée, qu'on le lui affirme de vive voix. Il voulait être certain de ne pas s'être trompé... ou alors au contraire, cela serait heureux qu'il n'ait pas visé juste.
Nouveau gloussement.
-Ma foi ! En voilà un bien bête, pour une fois.
Elle fut interrompue par un miaulement. De loin, il vit des doigts fins et osseux, de porcelaine, soulever une bête aux yeux verts, et fourrager dans un poil noir.
-Dommage pour toi, c'est l'une de ces seules choses sur lesquelles je ne puis rien dire ! Enfin, avant de m'éclipser, dis à Egon de passer à la boutique de cristaux et de miroirs, dans la grande rue. Qu'il t'emmène. Il semblerait que tu aies de très grosses lacunes.
Une silhouette, svelte, reposa le chat, sauta, et atterrit, dos à lui. Se penchant pour ramasser la dague n'ayant pas bougé, elle murmura ce qui semblait être un mantra :
-Longitudo dierum in filios.
Il ne trouva rien à répondre. Et elle se volatilisa.
Il n'avait pas pu l'identifier. Seule s'était offerte à lui une longue tignasse. D'un noir de jais. Du moins, il le croyait. Car, en fin de compte, tout devenait noir sous la lune.
La cloche s'arrêta.
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