La première, pourtant la dernière.

La jeune femme était morte. Elle en était presque sûre. Elle l'avait su à l'instant où elle avait ouvert les yeux, allongée sur un sol froid et mou, le regard fixé sur le ciel qui ondulait. Les étoiles clignotaient et changeaient de place dans un délicieux chaos, la voute céleste même se froissait et se défroissait et des lumières colorées dansaient. Elle avait déjà vu tout cela, quelques années auparavant et ce lieu lui était familier. Alors elle se leva doucement, épousseta son jean et son chemisier bleu avant de repousser en arrière sa longue chevelure blonde. Le monde semblait infini, et il se réinventait dès qu'elle tournait la tête. Ici, un désert de sable, là des montagnes enneigées et plus loin, une dense forêt tropicale. Asha savait pertinemment ce que cela signifiait mais elle n'y prêtait guère attention. Cet endroit majestueux cachait bien des secrets qu'elle avait déjà percé. La jeune femme aimait dénouer les intrigues et milles autres secrets pour faire éclater des vérités. Une douce brise vint caresser son âme et jouer avec ses cheveux. Un sourire enfantin, pourtant plein de mystères éclaira son visage, ses yeux d'émeraude brillèrent de joie. Un petit rire lui échappa lorsqu'elle aperçut au loi, un oiseau prendre son envol.

Dès que les vents portèrent ce son enchanteur à ses oreilles, il frémit. Il avait si peu l'occasion d'entendre des rires et le sien, celui d'Asha, sonnait pour lui la plus douce des mélodies. Il l'observait à son insu, dissimulé dans le paysage miroitant. Il tira sur les bords de sa capuche par habitude et raffermit sa prise sur sa faux. Il ne savait pas sourire mais ses yeux le faisaient pour lui alors qu'il regardait Asha courir et danser dans les hautes herbes. Il mémorisait ses petites manies, comment elle rejetait en arrière ses cheveux d'un geste impatient, comment est-ce qu'elle fronçait le nez alors qu'elle riait. Il savait qu'il ne devait pas s'attacher à elle, mais c'était plus fort que lui. Tout dans son être désirait ardemment la jeune femme et son âme si lumineuse.

C'était pour ça qu'il l'avait sauvé. Les années défilèrent devant ses yeux, longues monotonie de chiffres qui, pour un immortel, ne signifiaient pas grand-chose. Une poignée d'an en arrière, alors qu'Asha n'avait que quatre ans. Elle était tombée violemment de sa chaise haute et son petit crâne avait heurté le sol dans un bruit écœurant. Ses parents avaient hurlé et Asha s'était réveillée dans son antichambre. Son adorable visage rond s'était émerveillé devant le ciel étoilé et devant cette candeur, il n'avait pas pu résister. Elle avançait avec gaieté, les hautes herbes la dissimulant, aussi il ne l'avait pas vu s'approcher discrètement et il eut un frisson de surprise lorsqu'elle lui avait sauté dessus en hurlant,

— Boouuhh ! le cri de la petite fille et le contact de ses petites mains sur son dos, tout ça était nouveau pour l'immortel qui ne s'était habitué qu'à des pleurs.

— Bonjour toi, lui avait-il répondu, attendri par ce bout de chou.

— Je t'ai fait peur hein ! avait-elle rit, comment tu t'appelles ? avait-elle demanda en levant vers sa capuche ses yeux émeraudes.

Il était resté silencieux quelques secondes, perplexe. Jamais personne ne lui avait nommé, ou du moins, pas depuis des milliers d'années. Il avait plissé les yeux avant de se décider, d'un ancien nom qu'il avait apprécié. "— Thanatos, et toi ?"

— Je m'appelle Asha ! avait pépié la gamine, qui cherchait désormais à baisser la capuche de son interlocuteur. Pourquoi t'as une capuche ? l'avait-elle questionné, curieuse. Sa curiosité était touchante, tout comme ses boucles blondes qui, hors de sa petite tresse, ornaient ses tempes en délicieux chaos. Thanatos avait sentit qu'elle allait bientôt partir, sa silhouette avait commencé à s'effacer et à trembloter comme une fragile flammèche.

— Pour ne pas t'effrayer, avait soufflé l'immortel avant de lui insuffler une parcelle de vie, suffisante pour qu'Asha rejoigne son monde.

— Tu es gentil, avait sourit la gamine avant de disparaitre.

Thanatos ne pensait pas revoir Asha, avant de longues années, mais elle avait frôlé la Mort plus qu'une fois. Il se souvenait de sa surprise quand, à peine douze ans plus tard, il l'avait revu. La jeune fille, âgée de seize ans, avait observé les lieux avec attention. C'était évident qu'Asha s'en souvenait parfaitement et il avait ressenti tant de reconnaissance envers elle que le monde s'était troublé. Asha rejeta sa tresse en arrière et, formant de ses mains un porte-voix, cria,

— ll y a quelqu'un ?

Thanatos avait du se faire violence pour ne pas se dévoiler, son visage caché par sa sempiternelle capuche noire. Elle était très jolie, avait-il songé, et les tâches de rousseur qui maculaient ses pommettes faisaient ressortir l'éclat vert de son regard perçant. Intrépide et déterminée, Asha avait commencé à explorer sous le ciel étoilé, il était manifeste qu'elle cherchait quelque chose. En réalité, la jeune fille cherchait quelqu'un, mais ça même l'immortel ne pouvait le savoir. Il avait brusquement sursauté lorsqu'il s'était rendu compte qu'elle se mourrait, son corps devenait translucide et, sans même y penser, il lui avait envoyé une bouffée de vie. Thanatos avait réalisé la gravité de son action au moment où Asha s'était évanouie, retournant dans le monde des vivants. Alors, pour la première fois de sa vie, il avait hurlé. Hurlé si fort que son monde s'était effondré. Debout, dans le vide le plus total, incapable de voir ne serait-ce que ses mains. L'immortel avait du faire face à une dure réalité. Il désirait ardemment savoir ce que devenait Asha. Thanatos avait alors brisé des règles, étiqueté depuis l'aube des temps et il s'était rendu dans le monde qui lui était interdit.

Le monde des vivants. Il observait Asha de loin, l'aidait dans ses moments durs sans qu'elle sache qu'il était là. Thanatos remplissait pourtant toujours sa fonction, il ramassait toujours les âmes et les accompagnaient dans leurs voyages, six pieds sous terre. Mais la Faucheuse était incapable de penser au jour où il devrait amener Asha, sa chère Asha, devant les Portes de la Mort. Malheureusement, tout mortel meurt un jour. Et aujourd'hui était le tour d'Asha. Elle était jeune, une vingtaine d'années au compteur et la promesse de longs jours heureux. Mais un camion avait surgit sur sa route et Thanatos n'avait pas pu la protéger.

— Thanatos ? murmura Asha, le concerné tressaillit à ces mots. La jeune femme se tenait tout près de lui. Si près qu'il sentait son souffle s'échouer sur ses joues.

— Tu t'en souviens, constata-t-il, estomaqué. Il espérait qu'elle n'entendait pas son coeur battre à tout allure dans sa cage thoracique.

— Évidemment, je ne t'ai jamais oublié, sourit doucement Asha avec un sourire si tendre que Thanatos apprit, lui aussi, à sourire. Asha aperçut le frémissement de ses lèvres et, prenant ce geste comme une invitation, retira sa capuche. Il se figea et ferma les yeux. Il savait qu'elle allait être écoeurée, apeurée. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il discerna la chaleur de sa peau sur sa joue. Il rouvrit les yeux et, pour la première fois depuis des millénaires, oublia comment respirer. La douceur et tendresse d'Asha était telle que ses yeux se mouillèrent de larmes. La jeune femme caressa du regard, les pommettes hautes, les lèvres pleines, les yeux noirs sans pupilles. Sans hésiter une seule seconde, elle passa sa main dans les cheveux noirs nuit de Thanatos. Suivant son geste, l'immortel caressa sa chevelure blonde et passa sa main sur sa joue.

— Tu es la Mort n'est-ce pas ?

— Oui, avoua-t-il, quelque peu honteux.

— Je m'en doutais, pouffa Asha, tu vis ici ? lui demanda-t-elle.

— Oui, seul.

— Seul ? Ou sont donc les personnes mortes ?

— Dans le monde souterrain, ou le monde des morts. Nous ne sommes que dans l'antichambre de la Mort. Personne n'y vit, expliqua Thanatos en souriant tristement. Il savait pertinemment que ce moment, aussi parfait soit-il, ne durerait pas.

— Et moi ? avança timidement Asha.

— Tu dois aller dans le monde des morts, je ne peux plus te sauver, soupira-t-il.

— Me sauver ? la jeune femme se mut doucement, et s'assied juste devant l'immortel.

Il lui conta donc comment, par le passé, il l'avait empêché de passer de l'autre côté. Il était égoïste pensa-t-il, mais il ne voulait pas qu'elle meure. Le choc agrandit les yeux d'Asha et il craignit de l'avoir blessé. Il détourna la tête mais avant de pouvoir détacher son regard de sa bien-aimée, la jolie blonde passa ses bras autour de son cou et plaqua ses lèvres sur les siennes. Ils tombèrent à la renverse et Asha posa son front sur celui de Thanatos et lui chuchota à l'oreille.

— Merci, merci infiniment...

Thanatos éclata d'un rire surpris et plein d'innocence. Le coeur débordant d'affection, il serra la jeune femme contre lui. Asha, elle, souriait contre son épaule, ravie d'avoir réussi à faire rire la Mort. Elle sentait qu'elle s'effaçait, qu'elle n'en avait plus pour longtemps, mais elle refusa de se laisser abattre. Asha resta heureuse jusqu'au bout et susurra,

— Je t'aime...

L'immortel se tendit en entendant ces mots. Ils étaient emplis certes, d'un amour sincère, mais d'une tristesse qui lui brisa le coeur. Thanatos comprit soudain. La jeune femme croisa son regard une dernière fois avant de disparaitre. Sous le choc, son antichambre vacilla et disparut elle-aussi. La Mort se retrouva seule, terriblement seule, dans le noir absolu. Une douleur insoutenable le faucha de plein fouet et il tomba à genoux. Un cri inhumain jaillit de ses poumons, il l'avait l'impression qu'on abattait un millier d'épingles acérés dans son coeur. Des larmes, amères, dévalèrent ses joues pâles et flottèrent dans le vide. Il hurla, encore et encore, le nom d'Asha lui lacéra les lèvres. Il ne sait combien de temps il resta prostré ainsi, accablé de douleur.

La Mort devait faire face au Deuil.

Mais un immortel peut-il réellement s'en remettre ?

Thanatos se releva et fixa son regard sur les étoiles qui réapparaissent lentement.

— Je t'aime Asha, ad vitam æternam...

*

Bonjour à tous !

J'espère que cette histoire courte vous plait, qu'en pensez-vous ?

Je l'ai écrite pour le concours de Wildfictions qui propose d'écrire un One-Shot sur de la romance pour l'approche de la Saint-Valentin.

Bisous, bisous !

P-S : ad vitam æternam signifie "pour la vie éternelle" ou "pour l'éternité" en latin.

P-S°2 : Thanatos est le dieu grec de la mort, il est au service d'Hardés, dieu des Enfers. Les grecs considéraient la mort souvent plus douce que l'amour.

P-S°3 : Asha est un prénom indien qui signifie espoir.

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