Arisu Sakayanagi referme la porte de la salle vide derrière elle, s’éloignant du couloir où Okita lui a littéralement arraché Wilfried sous les yeux. Chaque pas qu’elle fait résonne dans le silence, mais son esprit, lui, est tout sauf calme.

"Tsk…" Elle serre légèrement les dents, chose rare chez elle. D’habitude, elle maîtrise ses émotions à la perfection, mais cette fois… cette fois, elle n’a pas pu contenir un léger agacement.

Le plan était parfait. Wilfried, seul, dans une salle à l’écart, vulnérable à ses mots. Il aurait suffi de quelques phrases bien placées, un pari calculé, et elle aurait eu l’atout maître de la classe B entre ses mains. Un pari qu’il ne pourrait refuser. Si la classe B perdait lors du prochain examen, il aurait été contraint de quitter ses camarades pour rejoindre la classe A… sous sa direction.

Mais Okita…
Arisu serre la poignée de sa canne un peu plus fort.
Cette fille l’a littéralement arraché à elle.

Et pire encore, Horikita, Ayanokoji, et Hishida sont intervenus presque immédiatement après. Ils étaient là, prêts. Comme si tout avait été orchestré pour contrecarrer ses plans.

Elle s’arrête près d’une fenêtre donnant sur le campus plongé dans l’obscurité. Le reflet de son visage dans la vitre est impassible, mais son esprit est en ébullition.

— "Wilfried…" murmure-t-elle.

Il n’est pas seulement une pièce maîtresse dans cette école. Il est une variable imprévisible, un joueur qui défie les attentes, même les siennes. Pourtant, ce soir, elle avait ressenti quelque chose d’étrange chez lui. Il n’a pas refusé son offre directement, mais il n’a pas mordu à l’hameçon non plus. Il a attendu… comme s’il savait que quelqu’un viendrait le chercher.

Arisu ferme les yeux, analysant chaque détail.
Pourquoi ? Pourquoi cette fille ? Pourquoi Okita ? Elle aurait compris Horikita ou même Hishida, mais Okita…

Son regard se rouvre, plus froid.
"Elle est plus qu’une simple camarade pour lui."

Elle se redresse légèrement, la silhouette droite et élégante malgré la douleur qui traverse parfois sa jambe.

— "Ils ne m’ont pas seulement empêchée de conclure un marché. Ils ont protégé leur pilier."

Wilfried n’est peut-être pas le leader officiel de la classe B, mais il est devenu leur centre de gravité, celui autour duquel ils se regroupent. Sa capacité à naviguer entre les alliances, sa force mentale, sa popularité grandissante… Tout cela le rend dangereux. Si elle l’avait isolé, affaibli, la classe B aurait vacillé.

Mais ce soir, elle a échoué.

— "Un échec temporaire," murmure-t-elle en ajustant le ruban de ses cheveux. "Ce n’est qu’une partie d’un jeu plus grand."

Elle sait que le prochain examen spécial sera déterminant. La classe B veut renverser la classe A, et Horikita l’a dit clairement. Mais Arisu n’est pas du genre à perdre facilement. Chaque mouvement sera calculé, chaque faiblesse exploitée.

Elle esquisse un sourire glacial.
— "Vous pensez avoir gagné une bataille, Okita, Horikita… mais la guerre est loin d’être terminée."

Puis, ses pensées reviennent à Wilfried.
Il voulait fuir le défi… ou peut-être tester ma patience. Peu importe. Ce soir, elle a perdu une occasion de le lier à elle, mais elle sait que d’autres opportunités se présenteront.

Son père lui a toujours enseigné que les génies véritables surpassent ceux qui sont façonnés artificiellement. Et elle, Arisu Sakayanagi, battra non seulement Ayanokoji, ce génie factice de la White Room, mais aussi Wilfried, ce prodige qui se démarque naturellement.

— "La prochaine fois, Wilfried… je ne te laisserai pas t’échapper."

Arisu reste immobile devant la fenêtre, ses doigts fins toujours serrés sur le manche de sa canne. Le campus, plongé dans la pénombre de la soirée d’Halloween, est pourtant vibrant de vie au loin. Les festivités battent leur plein, mais son esprit demeure absorbé par une seule chose : Wilfried.

Elle ferme les yeux un instant, reconstituant la scène. Okita, arrivée à temps, l’arrachant littéralement de ses mains avec une autorité qu’Arisu n’avait pas anticipée. Horikita et les autres, surgissant comme si tout était planifié.

"Était-ce vraiment une coïncidence ?"

Elle rouvre les yeux, son regard d’un calme glacial. Non. Il n’y a pas de place pour les hasards ici.

Elle se redresse, ajustant sa posture, et tourne lentement pour quitter la salle. Chaque pas est calculé, chaque mouvement délibéré. Sa démarche est élégante, même si chaque foulée lui rappelle la douleur permanente de sa jambe. Mais ce soir, cette douleur n’est rien comparée à l’aiguillon d’une autre blessure : celle de son égo.

Elle traverse un couloir vide, croisant quelques élèves déguisés qui la saluent respectueusement. La reine intouchable de la classe A. Mais ce soir, elle ne prête attention à aucun d’eux.

Son esprit est trop focalisé sur Wilfried.

"Tu n’as pas seulement esquivé mon offre, Wilfried. Tu as déplacé la balance de ce jeu… Et tu l’as fait sans même lever la voix."

Elle s’arrête à l’intersection menant à la salle de classe A, où Hashimoto l’attend patiemment.

— "Sakayanagi-san," commence-t-il avec son sourire habituel. "Tout s’est passé comme prévu ?"

Elle le fixe un instant. Hashimoto est efficace, intelligent, et pourtant… il ne comprend pas encore l’envergure de ce qui vient de se produire.

— "Presque," répond-elle avec un sourire délicat. "Mais les pièces continuent de se déplacer. Wilfried est plus imprévisible que prévu."

Hashimoto arque un sourcil, intrigué.

— "Wilfried ? Celui qui est toujours entouré de cette Okita ? Vous pensez qu’il va poser problème ?"

Arisu tourne son regard vers lui, et pour la première fois ce soir, un éclat de véritable détermination brille dans ses yeux.

— "Wilfried ne pose pas problème, Hashimoto. Il est le problème."

Elle commence à marcher à nouveau, et Hashimoto, légèrement surpris, la suit.

— "Expliquez-moi, Sakayanagi-san."

— "Il aurait pu devenir un simple allié, un pion sur mon échiquier." Sa voix est douce, presque mélodieuse, mais chaque mot est acéré. "Mais il refuse de se laisser manipuler. Il comprend la valeur de son indépendance… et il sait jouer avec la perception des autres."

Elle marque une pause, réfléchissant. "Ce soir, il m’a montré quelque chose d’inattendu. Il ne cherche pas à dominer comme moi, ni à se cacher comme Ayanokoji. Il est…"

Hashimoto l’observe, attendant la fin de sa phrase.

— "Il est une anomalie," conclut-elle finalement. "Et les anomalies, Hashimoto, sont celles qui renversent les certitudes."

Ils arrivent devant la porte de la salle de classe A, et Arisu s’arrête.

— "Je veux que tu surveilles Wilfried de plus près. Ses alliances, ses déplacements, ses faiblesses potentielles… Tout."

Hashimoto acquiesce, son sourire devenant plus sérieux.
— "Considéré comme fait."

Arisu, satisfaite, tourne légèrement la tête vers lui.

— "Et une dernière chose."

Hashimoto incline la tête, attentif.

— "Okita. Trouve ce qui la motive vraiment. Si elle est la clé de son équilibre, alors nous devrons la comprendre… et la briser, si nécessaire."

Elle entre dans la salle sans attendre de réponse, laissant Hashimoto seul dans le couloir.

Il la regarde s’éloigner, un mélange d’admiration et de prudence dans les yeux. Sakayanagi Arisu ne laisse jamais rien au hasard. Si elle considère Wilfried comme une menace, alors les prochains jours promettent d’être mouvementés.