6 - La première confrontation

Le froid de janvier s’attarde à l’extérieur, déposant une fine couche de givre sur les fenêtres de la cantine. À l’intérieur, la chaleur règne, mêlée au brouhaha des conversations et au tintement des couverts contre les assiettes. Je suis installé à ma table habituelle, un peu à l’écart, là où je peux observer sans être dérangé.

Le plateau devant moi est bien garni : poulet teriyaki, riz parfaitement cuit, légumes sautés. Je mange lentement, appréciant chaque bouchée, tout en gardant un œil sur les dynamiques autour de moi.

Rien d’inhabituel. Jusqu’à ce que je les voie entrer.

Ohona.

Accompagnée de Ryuen, Shiro et Albert. Trois noms qui, à eux seuls, feraient frémir n’importe quel étudiant. Mais c’est elle qui capte toute mon attention.

Ohona avance avec une assurance tranquille, son regard balayant la cantine jusqu’à croiser le mien. Elle sourit, un sourire poli, presque amical. Un sourire qui n’a rien d’innocent.

Mon intuition me crie qu’elle n’est pas là pour un simple déjeuner. Ce n’est pas une visite anodine. Non, elle vient pour moi. Pour une discussion amicale.

Une discussion qui n’a rien d’amical.

Je prends une bouchée de riz, impassible, tandis qu’ils s’approchent. Mes pensées tournent rapidement, chaque détail enregistré, chaque mouvement analysé.

Elle sait.

Elle sait que m’attaquer directement, que tenter de me détruire ou de mettre ma survie en péril serait un acte suicidaire. Elle n’est pas ici pour ça. Elle joue sur un autre terrain.

Je pense à mes stratégies. Celles que j’ai préparées avec soin. Cent soixante plans pour faire face à divers scénarios, pour anticiper, contrer, réagir.

Cent soixante, et pourtant…

C’est peu. Très peu.

Face à elle, cela pourrait être insuffisant.

Ils arrivent à ma table. Ohona prend place en face de moi, Ryuen à sa droite, Shiro et Albert se positionnant de chaque côté, comme deux tours silencieuses.

— Wilfried, dit-elle doucement, comme si nous étions de vieux amis qui se retrouvent par hasard.

Je lève les yeux de mon assiette, croisant son regard.

— Ohona.

Ma voix est calme, maîtrisée. Pas une once de surprise, pas une trace d’émotion.

Elle sourit à nouveau, posant ses mains délicatement sur la table.

— Cela fait un moment que je voulais te parler. Mais tu es toujours… occupé.

— Effectivement. L’occupation maintient l’esprit en alerte.

— Et le tien l’est constamment, n’est-ce pas ?

Son ton est léger, presque détendu. Mais chaque mot est une corde tendue sur laquelle elle danse avec précision.

Je ne réponds pas tout de suite. Je prends une autre bouchée, mastiquant lentement, lui laissant l’initiative. Elle est venue ici pour un but précis. Je préfère l’écouter d’abord.

— J’admire ta position, continue-t-elle. Diriger, protéger, anticiper. Ce n’est pas donné à tout le monde.

— C’est un choix, dis-je simplement. Certains choisissent de suivre. D’autres, de guider.

Elle incline légèrement la tête, un geste d’approbation.

— Mais les choix ont des conséquences, n’est-ce pas ?

Je repose mes baguettes, croisant mes mains devant moi.

— Inévitables.

Un silence s’installe. La cantine continue de vivre autour de nous, mais à cette table, le temps semble suspendu.

— Je vais être directe, reprend-elle. Ce que tu as construit ici… c’est impressionnant. Mais fragile.

Je ne cille pas.

— Fragile ?

— Oui. Parce que, contrairement à ce que tu pourrais penser, ta force ne repose pas uniquement sur toi. Elle repose sur eux. Ta classe. Ceux qui te suivent.

Je sens Albert et Shiro se tendre légèrement, comme s’ils attendaient ma réaction. Ryuen, lui, reste impassible, observant.

— Tu veux dire que ma force dépend de ma capacité à rassembler ?

— Exactement. Et c’est là que je vois une opportunité… pour nous deux.

Elle joue la carte de l’alliance. Classique. Prévisible.

— Une opportunité ?

— Oui. Pourquoi ne pas… unir nos forces ?

Je laisse un léger sourire flotter sur mes lèvres.

— Une alliance ?

— Une collaboration, corrige-t-elle. Nous avons des objectifs qui pourraient se rejoindre, si tu y réfléchis bien.

Je prends une inspiration lente, réfléchissant à ses mots. Chaque fibre de mon instinct me hurle qu’elle tente de me faire baisser ma garde.

— Et qu’est-ce qui te fait croire que nos objectifs pourraient s’aligner ?

Elle se penche légèrement en avant, ses yeux fixant les miens avec une intensité calculée.

— Parce que tu sais aussi bien que moi que, dans ce jeu, personne ne peut gagner seul.

Je reste silencieux, mais mes pensées s’emballent. Chaque phrase, chaque mot qu’elle prononce est une pièce du puzzle qu’elle essaie de m’imposer.

Une alliance avec Ohona serait une décision lourde de conséquences.

— Tu as réfléchi à beaucoup de stratégies, n’est-ce pas, Wilfried ? continue-t-elle. Mais parfois, la meilleure stratégie, c’est de savoir choisir ses alliés.

Je croise les bras, fixant toujours son regard.

— Et que proposes-tu exactement ?

Elle sourit, satisfaite de ma question.

— Une trêve, pour commencer. Une neutralité bénéfique. Nous restons indépendants, mais nous partageons certaines… informations.

Une trêve. Une trêve avec celle qui pourrait, à tout moment, devenir ma plus grande menace.

— Et si je refuse ?

Elle hausse légèrement les épaules, toujours sereine.

— Alors tu continues seul. Mais rappelle-toi que l’isolement… peut être dangereux.

Le message est clair.

Je prends une dernière bouchée de mon repas, mastiquant lentement, le regard toujours fixé sur elle.

Puis je repose mes baguettes, m’appuyant légèrement contre le dossier de ma chaise.

— Je vais y réfléchir.

Elle semble satisfaite de ma réponse, même si elle espérait probablement plus.

— Prends ton temps, Wilfried. Mais pas trop. Le temps, lui, ne nous attend pas.

Elle se lève, suivie par ses trois acolytes.

— À bientôt.

Je la regarde s’éloigner, chaque pas calculé, chaque mouvement contrôlé.

Le jeu vient de commencer.

Cent soixante stratégies. Et il est temps d’en préparer une de plus.

La cantine reprend son rythme habituel après le départ d’Ohona et de ses acolytes. Je reste assis quelques instants de plus, le regard fixé sur mon plateau vide, réfléchissant à ses paroles. Une trêve, une collaboration… Elle pense que je suis isolé.

Elle se trompe.

Je me lève et quitte la cantine, traversant les couloirs bondés de l’académie. Chaque élève vaque à ses occupations, inconscient des jeux d’influence qui se déroulent en coulisses. Moi, je ne peux me permettre cette insouciance.

Horikita et Hirata m’attendent déjà dans une salle vide, à l’écart des regards indiscrets. La pièce est baignée par la lumière froide de janvier, mais la tension y est palpable.

Horikita Suzune, droite et imposante par sa seule présence, croise les bras en me voyant entrer. Ses yeux sombres brillent d’une intelligence froide et méthodique. À ses côtés, Hirata Yosuke, toujours calme et posé, l’incarnation de la stabilité.

Ils sont les délégués de notre classe, ceux en qui je peux avoir confiance pour guider en mon absence. Et aujourd’hui, leur rôle va devenir crucial.

— Wilfried, commence Horikita, son ton direct comme à son habitude. Que s’est-il passé ?

Je referme la porte derrière moi et m’installe face à eux.

— Ohona. Elle est venue me voir à la cantine.

Hirata fronce légèrement les sourcils.

— Ohona ?

— Oui, accompagnée de Ryuen, Shiro et Albert.

Je marque une pause, laissant l’information s’imprégner.

— Elle m’a proposé une trêve. Une collaboration.

Horikita arque un sourcil, intriguée.

— Une trêve ? Pourquoi maintenant ?

Je croise les bras, mon regard passant de l’un à l’autre.

— Parce qu’elle sait que m’attaquer directement est inutile. Elle connaît ma force, ma capacité à survivre. Ce n’est pas là qu’elle frappera.

— Alors où ? demande Hirata, les yeux légèrement plissés.

Je prends une profonde inspiration.

— Là où je suis le plus vulnérable. Dans un combat où ma survie personnelle n’est pas en jeu… Je dois m’en remettre à vous.

Un silence s’installe. Horikita et Hirata comprennent immédiatement la portée de mes paroles.

— Tu veux dire que c’est notre classe qu’elle vise, conclut Horikita.

— Exactement. Si elle ne peut me détruire directement, elle cherchera à m’affaiblir en s’attaquant à ce qui me soutient. À vous.

Hirata serre les poings, mais son expression reste calme.

— Et comment comptes-tu nous préparer ?

Je sors un carnet de ma poche, contenant des notes, des observations, des stratégies inachevées. Cent soixante scénarios, et probablement encore trop peu pour ce qui nous attend.

— En vous donnant tout ce que je sais sur Ohona. Sa manière de penser, ses alliés, ses points faibles… et ses forces.

Horikita hoche la tête, déjà en train d’analyser chaque mot que je dis.

— Parle. Nous t’écoutons.

Je commence à expliquer.

— Ohona n’est pas comme Ryuen ou les autres leaders que nous avons affrontés. Elle n’est pas impulsive. Chaque mouvement qu’elle fait est calculé. Elle ne frappe jamais là où on s’y attend.

Je tourne une page du carnet, révélant une liste de profils.

— Ses alliés sont aussi importants qu’elle. Ryuen est un stratège brutal mais efficace. Shiro est une manipulatrice, capable de semer le doute et la confusion. Albert… un exécutant silencieux, mais redoutable.

Hirata écoute attentivement, les sourcils froncés.

— Et quels sont leurs objectifs ?

— Ils cherchent à nous affaiblir de l’intérieur. À semer la discorde, à nous diviser. Leur but est de briser notre unité, car c’est là que réside notre force.

Je les regarde tous les deux, conscient de l’importance de ce moment.

— C’est pour ça que je dois vous préparer. Vous serez en première ligne. Si je ne peux pas intervenir directement, c’est à vous de tenir la classe ensemble.

Horikita fixe le carnet, réfléchissant à ce que cela implique.

— Très bien. Que devons-nous faire ?

Je pointe trois points essentiels sur la page.

— D’abord, renforcer la communication entre tous les élèves. Aucun malentendu, aucune rumeur ne doit diviser la classe. Vous devez être transparents et fermes.

Hirata acquiesce.

— Ensuite, identifier les faiblesses que Ohona pourrait exploiter. Chaque élève a ses vulnérabilités. Il faut les connaître avant elle.

Horikita prend une note mentale, son esprit déjà en train de cartographier la classe.

— Et enfin…

Je les regarde avec sérieux.

— Ne jamais sous-estimer Ohona. Elle est plus dangereuse qu’elle ne le laisse paraître.

Le silence s’installe à nouveau, lourd de sens.

— Nous comprenons, dit finalement Hirata.

— On tiendra la classe, ajoute Horikita.

Je hoche la tête.

— Alors, préparez-vous. Parce que ce n’est que le début.

La bataille ne sera pas physique. Ce sera une guerre d’influence, de manipulation. Une guerre où chaque erreur pourrait être fatale.

Mais ensemble, nous avons une chance.

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