19 - Lueur brune

La chaleur de mi-juin plane sur le campus, et avec elle, l’agitation dans la classe D. La division entre les trois factions est maintenant bien ancrée. D’un côté, Meifuka, mon groupe, organisé, discipliné et prêt à tout pour avancer. De l’autre, Akirame, dirigé par Shomegaku Okita, plus idéaliste et centré sur la transformation des individus. Enfin, il y a le camp neutre, où Kiyotaka et Koenji se tiennent en retrait, observant les manœuvres des deux camps sans s’impliquer.

Bien que les alliances soient fixées, quelque chose me trouble. Je connais Okita, et je sais qu'elle a toutes les compétences nécessaires pour redresser une classe en un rien de temps, surtout avec son don et ce que je lui ai appris. Pourtant, ses progrès sont lents. Cette anomalie est le premier point qui me taraude.

En observant de près les élèves qu'Okita a recrutés dans son camp, un schéma émerge.

Premièrement, ceux qui l'ont rejointe semblent être des élèves en difficulté ou ayant des problèmes personnels importants. Ils ont besoin d'elle, non seulement pour leurs études, mais aussi pour retrouver une certaine stabilité mentale et sociale. Si elle les abandonne, ils risquent de sombrer à nouveau.

Deuxièmement, bien qu'Okita ait une influence indéniable sur ces élèves, cette dépendance limite leur progression réelle. Sans elle, ils ne peuvent pas se maintenir. En d'autres termes, son groupe repose davantage sur sa personnalité que sur une structure durable.

Troisièmement, mes informateurs de deuxième année, Shota et Lorita, que j’ai aidés auparavant, m’ont récemment fourni des informations cruciales sur Nagumo et son fonctionnement. Nagumo ne s’intéresse pas seulement à la domination des classes ; il teste les limites de ce système en créant le chaos. Ces renseignements m’aident à anticiper ses mouvements, mais aussi à comprendre comment il pourrait exploiter des failles dans Akirame pour déstabiliser Okita et, par extension, moi-même.

Aujourd’hui, à la cafétéria, je décide de ne pas me mêler à mes camarades. Au lieu de cela, je me concentre sur un objectif précis : obtenir des informations auprès d'une personne-clé, Akagami Hakurei, grande sœur d'Akami, que j'ai évincée plus tôt. Hakurei est en troisième année, dans la même classe que Manabu. Si quelqu'un connaît les subtilités des tensions entre Nagumo et Manabu, c’est elle.

Je repère Hakurei à une table isolée. Avec son air stoïque et ses longs cheveux noirs attachés en une queue de cheval, elle dégage une aura imposante. Lorsqu’elle remarque mon approche, elle lève un sourcil, intriguée.

— Okoda Wilfried Pascal, dit-elle calmement. Que me vaut cet honneur ?

— Vous connaissez déjà la réponse, Hakurei-san, dis-je en posant mon plateau en face d'elle. J’ai des questions sur Nagumo et sur la façon dont il gère les choses.

Elle sourit légèrement, un sourire calculé.

— Nagumo, hein ? Vous jouez un jeu dangereux.

Je hoche la tête.

— Ce n’est pas un jeu. Je veux survivre.

Elle croise les bras, prenant le temps de me scruter.

— Très bien, dit-elle finalement. Je vais vous dire ce que je sais.

Hakurei commence par expliquer comment Nagumo utilise les points privés pour manipuler et contrôler les élèves. Ce n’est pas seulement une question de richesse, mais de pouvoir psychologique. Il s’assure que personne ne puisse s’opposer à lui sans en subir les conséquences.

— Mais ce n’est pas tout, continue-t-elle. Il teste les limites des règles. Il joue avec les failles du système pour obtenir ce qu'il veut. C’est un manipulateur brillant, mais il sous-estime souvent ses adversaires.

Je réfléchis un instant avant de poser ma question suivante.

— Pourquoi Manabu le tolère-t-il alors ?

Hakurei esquisse un sourire.

— Parce que Manabu veut le vaincre, mais dans le respect des règles. Il considère que si Nagumo dépasse les bornes, il prouvera que Manabu avait raison depuis le début.

Cette information est précieuse. Elle me confirme que Nagumo est un ennemi potentiel, mais également un danger pour tout le système.

Alors que je remercie Hakurei pour son aide, elle ajoute quelque chose d’inattendu.

— Une dernière chose, dit-elle en fixant mes yeux. Faites attention à Okita.

Je fronce les sourcils.

— Pourquoi dites-vous ça ?

Elle pose ses coudes sur la table, son regard devenant plus sérieux.

— Je connais les gens comme elle. Trop idéalistes. Ils finissent par attirer les pires ennuis à ceux qui les entourent.

Je hoche la tête, mais je garde mes pensées pour moi. Les paroles de Hakurei résonnent en moi alors que je quitte la cafétéria.

De retour avec mes alliés, je convoque une réunion. Igor, Yinghua, Hirata, Chiaki, et plusieurs membres de la majorité silencieuse sont présents. Je partage avec eux ce que j'ai appris sur Nagumo, ainsi que mes observations sur le groupe d’Okita.

— Ce que nous savons maintenant, c’est que Nagumo cherche à nous diviser, dis-je en les regardant un à un. Si nous nous affaiblissons mutuellement, il n’aura qu’à récolter les morceaux.

Igor prend la parole, son ton grave.

— Et Okita ? Si elle continue à s’opposer à toi, cela pourrait nous exposer.

Je réfléchis un instant avant de répondre.

— Okita n’est pas notre ennemie directe. Pas encore. Mais ses méthodes, bien que nobles, sont risquées. Si elle tombe, nous ne pourrons pas la sauver.

Chiaki intervient, son ton plus froid.

— Alors que proposes-tu ?

Je souris légèrement, un sourire sans chaleur.

— Nous restons concentrés sur notre objectif. Nous utilisons ce que nous savons pour nous protéger. Et si nécessaire, nous nous assurerons qu’Okita ne mette pas en péril notre survie.

Alors que la réunion se termine, je m’assieds seul, réfléchissant à la situation. Les factions sont claires, les ennemis se dessinent, mais une question demeure : jusqu’où devrais-je aller pour protéger Meifuka et ma philosophie ?

Le soleil se couche à l’horizon, projetant une lueur brune dans le ciel. Une lueur incertaine, comme l’avenir de cette classe.

Je m'installe sur un banc isolé, le regard perdu dans le lointain, mais mes pensées tournent à une vitesse fulgurante. Pourquoi ? Pourquoi Okita, celle qui, au collège, était à mes côtés, partageant ma vision du monde, est soudainement devenue mon adversaire ? Pourquoi cette obsession de vouloir me sauver, de m’extirper des "ténèbres" où je vis soi-disant ?

Ce n’est pas une simple divergence de philosophie. Elle connaît des choses que seule une personne profondément connectée à mon passé pourrait deviner. C’est alors que les souvenirs me reviennent. Les émotions étouffantes de la White Room, ce gouffre froid et implacable, et la peur viscérale qui m’a envahi lorsque j’ai enfin réussi à m’échapper.

Okita sait.

Je sens une froideur m’envahir alors que la vérité se dessine devant moi. Quelqu’un a parlé à Okita. Quelqu’un lui a raconté ce que j’ai ressenti, ce que j’ai traversé. Elle n’est pas arrivée à cette conclusion seule. Sa soudaine croisade pour me sauver a forcément été déclenchée par une influence extérieure.

La question qui me hante maintenant est : qui ?

Je revois chaque interaction, chaque détail. Mes actions des mois d’avril et mai, mes stratégies pour protéger mon groupe, mes manœuvres pour piéger ceux qui tentaient de nous nuire... tout cela aurait pu renforcer ses craintes. Mais qui a semé la graine ?

La réponse m’atteint comme une gifle.

Ayanokoji Atsuomi.

Je ne perds pas une seconde. Je me lève d’un bond et me dirige droit vers l’endroit où je sais que je trouverai Ayanokoji Kiyotaka. S’il y a une personne qui pourrait me confirmer mes soupçons, c’est lui.

Quand je le croise, il est, comme toujours, calme et stoïque, occupé à observer la cafétéria avec un détachement presque irritant.

— Ayanokoji, dis-je sèchement, je dois te parler.

Il lève un sourcil mais ne montre aucune surprise.

— Oui ?

Je m’assois en face de lui, le fixant intensément.

— Réponds-moi honnêtement. As-tu vu Okita avant d’arriver dans ce lycée ?

Il reste silencieux un moment, probablement en train d’évaluer mes intentions.

— Non, répond-il finalement. Je ne l’ai jamais rencontrée avant d’arriver ici.

Je le scrute un instant. Ayanokoji est un menteur hors pair, mais cette fois, je sais qu’il dit la vérité. Pourtant, ma colère ne faiblit pas.

— Alors c’est ton père, dis-je en serrant les poings. Atsuomi lui a parlé. Il lui a transmis ce qu’il savait de moi.

Kiyotaka me regarde sans aucune émotion.

— Peut-être, dit-il enfin. Mais pourquoi ça te perturbe autant ?

Je le fixe, mon regard s’assombrissant.

— Parce que c’est le début de cette mascarade. C’est lui qui a donné à Okita cette idée qu’elle pouvait me sauver.

Je quitte la cafétéria, mon esprit bouillonnant. La lumière dorée du jour commence à disparaître, laissant place à une lueur brune à l’horizon. Elle reflète exactement ce que je ressens : une rage froide et calculée, prête à tout engloutir.

Quand j’arrive à notre base, le groupe Meifuka est déjà là, rassemblé autour de la table centrale. Igor, Yinghua, Hirata, Chiaki, et les autres membres de la majorité silencieuse me regardent avec attention.

— J’ai compris, dis-je d’une voix dure. J’ai compris pourquoi Okita agit ainsi.

Ils échangent des regards interrogateurs, mais personne n’ose interrompre.

— C’est Atsuomi, continué-je. C’est lui qui lui a planté cette idée dans la tête. Il veut qu’elle me ramène à lui, qu’elle détruise tout ce que j’ai construit ici.

Le silence est pesant. Je les observe, un par un, laissant mes mots s’infiltrer dans leurs esprits.

— Nous ne pouvons plus rester passifs, dis-je en me levant. Si elle veut m’écraser avec sa lumière, alors nous ferons l’inverse. Nous la réduirons à néant.

Igor hoche la tête, une lueur dangereuse dans ses yeux.

— Et que proposes-tu ?

Je prends une grande inspiration, sentant l’aura sombre m’envahir.

— Nous ne sommes plus Meifuka. À partir d’aujourd’hui, nous sommes Meitanjo – la naissance des ténèbres.

L’annonce tombe comme un couperet. Je ressens l’énergie changer dans la pièce. Une détermination froide et implacable s’installe dans les regards de mes alliés.

— Meitanjo, murmure Chiaki, un sourire énigmatique sur le visage. Ça sonne bien.

— Alors c’est décidé, conclut Hirata. Mais quelle est notre prochaine étape ?

Je fixe l’horizon, où les ombres s’allongent.

— Nous allons nous préparer. Observer chaque mouvement d’Okita. Et, quand le moment viendra, nous frapperons.

Un silence grave s’installe, puis Igor se lève, serrant les poings.

— Pour Meitanjo.

Les autres répètent son cri, une voix unanime portée par une noirceur grandissante.

Le jour se termine, et avec lui, une nouvelle phase commence. Plus question de compromis. Plus question de lumière. Seules les ténèbres règnent désormais.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top