12 - L'art d'être le piège sous un masque de piégé
Je me tiens au milieu du campus, seul sur un banc, comme d’habitude. Tout semble si parfaitement orchestré. La rumeur court que je suis acculé, isolé, au bord de la rupture. Exactement ce que je veux qu’ils croient.
Il reste 13 jours avant le début du Paper Shuffle, et tout se met en place. Les pièces avancent sur l’échiquier.
La photo de moi avec les yakuzas a été publiée, exactement comme prévu. Nagumo n’a pas résisté à l’envie de l’utiliser contre moi. Une erreur prévisible.
Depuis, la classe B joue son rôle à la perfection. Mes camarades me mettent ostensiblement à l’écart, feignant le doute et le rejet. Ils jouent leur partition comme des virtuoses, sous les yeux attentifs de Hashimoto, qui ne manque pas d’en rapporter chaque détail à Arisu.
Nagumo, lui, observe de loin, chaque geste, chaque mot, prêt à bondir sur la moindre faiblesse apparente. Il pense que je vais céder.
Et bien sûr, il y a Ryuen.
Je sais qu’il surveille la situation, mais contrairement aux autres, il ne se précipite pas. Son instinct est trop affûté. Il sent que quelque chose cloche. Il ne sait pas encore quoi, mais il hésite à se jeter dans la mêlée.
Il est prudent. Et c’est pour ça que je le respecte.
Mais les autres ?
Ils se laissent emporter.
Ils m’attaquent.
Les élèves de la classe D, des sous-fifres de Nagumo, veulent ma tête, espérant que cela leur ouvrira les portes de la classe A. Ils me harcèlent, me provoquent, cherchant à me faire réagir.
Mais ils ignorent une chose.
J’ai grandi avec ça.
Le harcèlement ? Le racisme ? C’est mon quotidien depuis longtemps.
Je sais comment naviguer ces eaux troubles. Je sais comment extorquer ces idiots tout en restant invisible. Ils pensent me manipuler, me dominer…
Mais je suis le piège sous le masque du piégé.
— "Allez-y ! Détestez-moi ! Enviez-moi ! Laissez-vous consumer par votre propre arrogance," je murmure à moi-même, un sourire en coin.
Ils ne voient que ce que je veux bien leur montrer. Ils ignorent que chaque attaque, chaque provocation, ne fait que renforcer ma position.
Soudain, je sens une présence.
Arisu.
Elle arrive, élégante et calculée, comme toujours. Son masque est parfait. À première vue, elle semble calme, amicale, presque bienveillante. Mais je sais qu’elle est ici pour évaluer la situation, pour m’évaluer.
Elle s’assied à côté de moi, le regard fixé droit devant elle.
— "Wilfried," commence-t-elle doucement. "Comment vas-tu ?"
Je tourne lentement la tête vers elle, affichant un sourire poli, mais distant.
— "Comme tu peux le voir, Arisu… Je vais parfaitement bien."
Elle esquisse un léger sourire, mais je peux voir les rouages tourner dans son esprit. Elle analyse chaque mot, chaque expression.
— "Tu es très calme, malgré… tout ce qui se passe," dit-elle d’un ton faussement préoccupé. "La situation avec Nagumo, la classe B qui te rejette… Tu n’as pas peur d’être… isolé ?"
Je ris doucement, un rire contrôlé, presque froid.
— "La solitude est parfois une bénédiction, Arisu. Elle permet de réfléchir. De… planifier."
Son sourire vacille un instant, mais elle le reprend aussitôt.
— "Je vois. Mais tu sais, la solitude peut aussi être dangereuse. Surtout dans un endroit comme celui-ci."
Je la fixe, plongeant mon regard dans le sien. Elle tente de m’intimider, de me tester.
— "C’est vrai. Mais tu devrais le savoir mieux que quiconque, non ?"
Elle ne répond pas immédiatement. Le silence s’installe, pesant, rempli de sous-entendus.
Je sens qu’elle essaie de trouver une faille, de percer à jour mes intentions. Mais elle ne verra rien.
Elle finit par se lever, ajustant sa veste avec élégance.
— "Prends soin de toi, Wilfried. L’isolement peut être… dévastateur."
Je me lève à mon tour, la dépassant d’une tête.
— "Ne t’inquiète pas pour moi, Arisu. Je sais très bien ce que je fais."
Elle me regarde une dernière fois avant de s’éloigner, ses pas résonnant doucement sur le sol.
Elle est venue pour observer.
Elle repart avec des doutes.
Parfait.
Je retourne m’asseoir, le sourire aux lèvres.
Le piège est en place.
Et bientôt, ceux qui pensent m’avoir acculé découvriront qu’ils ont eux-mêmes marché droit dedans.
La nuit tombe doucement sur le campus, enveloppant les lieux d’une atmosphère calme, presque paisible. Un calme trompeur, bien entendu.
Je me dirige vers un coin discret du campus, là où peu de gens passent à cette heure. Hishida m’y attend déjà, appuyé contre un mur, son téléphone à la main.
— "Wilfried." Sa voix est posée, mais teintée d’une certaine impatience. "Tu es prêt ?"
Je hoche la tête, le visage sérieux. Nous sommes à la veille d’un mouvement décisif.
— "Prêt ? Je le suis depuis bien plus longtemps que tu ne le penses," dis-je en m’approchant de lui. "Mais nous devons revoir les derniers détails. Rien ne doit être laissé au hasard."
Hishida me fixe un instant, scrutant mes traits pour y déceler une hésitation, une faiblesse peut-être. Mais il n’y a rien. Il finit par sourire légèrement.
— "Comme toujours. Tu es trop méticuleux. Mais c’est sans doute pour ça que tu es encore debout après tout ce qui s’est passé."
Je croise les bras, le regard tourné vers l’horizon.
— "Nous n’avons pas le droit à l’erreur, Hishida. Arisu est trop intelligente. Chaque faux pas, chaque décision impulsive, elle l’exploitera."
Il acquiesce.
— "Elle est déjà en train de le faire. Hashimoto me rapporte qu’elle t’observe de plus en plus."
— "Elle peut observer autant qu’elle veut. C’est exactement ce que je veux. Laisser croire que je suis à bout… C’est le cœur de notre stratégie."
Hishida hausse un sourcil.
— "Et Nagumo ? Ce type n’a jamais été aussi intéressé par toi qu’en ce moment. La publication de la photo des yakuzas… Il pourrait devenir dangereux."
Un sourire narquois se dessine sur mon visage.
— "Nagumo est prévisible. Il veut me faire chanter, me forcer à rejoindre son camp. Mais il ne comprend pas que je l’ai conduit exactement là où je voulais qu’il soit. Cette photo ? C’était ma carte maîtresse pour le distraire et semer la confusion. Il croit avoir une arme contre moi, alors qu’en réalité… il ne détient rien."
— "Donc tu comptes laisser Nagumo publier l’article sans réagir ?" demande Hishida, intrigué.
Je secoue la tête.
— "Non. Il l’a déjà publié. Mais l’impact ne sera pas celui qu’il attend. Au contraire, cela va agiter Arisu et Ryuen. Ils croiront tous que je suis en difficulté, que je pourrais quitter la classe B à tout moment. Ils vont essayer de me manipuler, de m’attirer à eux…"
Je me tourne vers lui, le regard froid et calculateur.
— "C’est là qu’ils tomberont dans le piège."
Hishida sourit à son tour.
— "Tu es vraiment un monstre quand il s’agit de stratégie."
— "Un monstre, peut-être. Mais un monstre nécessaire."
Nous restons silencieux quelques instants, l’atmosphère devenant plus lourde. La dernière phase approche.
— "Et la classe B ?" demande-t-il finalement. "Ils jouent toujours leur rôle ?"
— "Oui," je réponds sans hésiter. "Ils savent ce qui est en jeu. Horikita est suffisamment intelligente pour comprendre que tout cela est temporaire. Nous devons maintenir l’illusion jusqu’au dernier moment."
Hishida croise les bras, pensif.
— "Tu sais que ça reste risqué. Arisu pourrait découvrir la vérité avant que tu ne frappes."
Je souris.
— "C’est pour ça que nous avons un atout supplémentaire. Okita."
Hishida arque un sourcil.
— "Okita ? Tu comptes vraiment l’impliquer davantage ?"
— "Elle est déjà impliquée," je corrige. "Elle est mon équilibre. Et elle est plus perspicace qu’ils ne le pensent. Hashimoto essaie de la manipuler, mais elle l’a déjà compris. Elle va jouer son propre jeu, et cela va perturber Arisu."
— "Elle ne montrera aucune pitié," murmure Hishida avec un sourire.
— "Exactement. Et c’est ce dont nous avons besoin."
Je me redresse, prêt à partir.
— "Tout est en place, Hishida. Dans 13 jours, nous frapperons. Arisu, Nagumo, Ryuen… Ils ne verront rien venir."
Hishida acquiesce une dernière fois.
— "Alors, tout est prêt. La partie peut commencer."
Je tourne les talons, prêt à quitter les lieux. Chaque pas me rapproche de l’objectif.
Bientôt, le masque tombera.
Et ils découvriront que l’art d’être le piège sous le masque du piégé n’est pas seulement une stratégie. C’est une philosophie.
Je marche lentement dans les couloirs de l’académie, chaque pas résonnant doucement contre le carrelage froid. Les ombres des lumières tamisées dansent sur les murs, suivant ma trajectoire comme des spectres silencieux. Je sais que, quelque part, tout le monde m’observe. Ils attendent que je tombe, que je m’effondre, et je leur donne exactement ce qu’ils veulent.
Depuis quelques jours, tout est millimétré. Je me suis délibérément mis en position de faiblesse. Chaque action, chaque parole, chaque décision prise avec soin pour donner l'impression que je perds pied. Mais la vérité, c’est que je me manipule moi-même.
Je laisse volontairement des failles.
Je feins des hésitations.
Je fais croire à des erreurs grossières.
Hishida lui-même s’est inquiété. "Wilfried, t’es sûr que tout ça est sous contrôle ?" m’a-t-il demandé hier. Évidemment, il s’inquiète. Qui ne s’inquiéterait pas en voyant quelqu’un jouer avec sa propre chute ? Mais ce qu’il ne sait pas, ce que personne ne sait… c’est que je suis à la fois le manipulateur et la victime de cette mascarade.
Je pousse la porte du toit, où l’air froid de la nuit m’accueille. Le ciel est dégagé, parsemé d’étoiles scintillantes. Ce silence, ce calme, c’est l’instant avant la tempête.
La tempête que je vais déclencher.
Je m’appuie contre la rambarde, réfléchissant aux dernières pièces du puzzle. Ils sont tous là, dans cette partie d’échecs. Arisu, Nagumo, Hashimoto, Ryuen… Ils pensent tous que je suis acculé. Nagumo a déjà commencé à diffuser des rumeurs sur mon prétendu passé avec les yakuzas. Ryuen m’observe de loin, prêt à bondir sur la moindre faiblesse. Hashimoto, quant à lui, joue l’opportuniste, tentant de manipuler Okita pour me déstabiliser.
Mais ils ne comprennent pas.
Ils ne voient pas le vrai piège.
Ils croient que le Wilfried qu’ils voient vaciller est réel. Qu’il est le véritable moi. Ils ne savent pas que ce Wilfried n’est qu’une façade, un leurre conçu pour attirer leur attention.
— "Quand on met en place un piège, on doit être prêt à être pris dedans," murmuré-je pour moi-même. "Mais seulement brièvement. Juste assez pour qu’ils croient avoir gagné."
Je me manipule volontairement dans des situations où mes propres actions semblent contraires à ma nature :
Je prends des décisions inconsidérées.
Je montre des signes d’épuisement.
Je laisse des failles évidentes que je n’aurais jamais laissées avant.
Et eux ? Ils tombent dedans. Lentement, mais sûrement. Ils s’engouffrent dans ces brèches, persuadés que c’est leur chance de me briser.
Le plan est simple : les attirer dans le faux confort de la victoire. Leur laisser croire que, cette fois, ils ont enfin trouvé comment me battre. Mais en réalité… ils ne se battent que contre un fantôme.
Mon téléphone vibre. Un message de Hishida.
“Hashimoto bouge. Arisu a mordu à l’hameçon. Elle pense que tu vas quitter la classe B pour rejoindre la sienne. Ils planifient une confrontation imminente.”
Je souris. Parfait. Tout se met en place.
— "Ils veulent me briser ?" murmuré-je en fixant l’écran. "Ils ne savent pas qu’ils dansent sur un fil tendu au-dessus du vide."
Je me redresse, le vent glissant sur mon visage. Je dois encore tenir quelques jours. Laisser la tension monter, les pousser à devenir impatients, imprudents. Plus ils croiront que je faiblis, plus ils s’exposeront.
Je marche à nouveau, descendant les escaliers. Cette fois, je me dirige vers la salle commune, où quelques élèves de troisième année se regroupent, discutant à voix basse. Je passe à côté d’eux, feignant l’indifférence. Je sais qu’ils m’observent, qu’ils chuchotent déjà sur ma prétendue chute.
C’est exactement ce que je veux.
Je suis à la fois le piège et celui qui tombera dedans en premier.
Mais lorsque je me relèverai… il ne restera plus personne pour me défier.
Le vrai Wilfried…
Celui qui les observe depuis l’ombre, celui qui manipule ses propres faiblesses pour les transformer en armes… lui frappera d’un seul coup.
Un coup unique, parfait, qui les anéantira tous.
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