11 - Doute

Point de vue de Shomegaku Okita

Quelque chose ne va pas.

Depuis quelques jours, Wilfried agit bizarrement. Ce n’est pas seulement une impression fugace, c’est une évidence qui me colle à la peau. Je le connais mieux que quiconque. Chaque sourire, chaque silence, chaque regard. Tout chez lui est calculé, mais dernièrement, il y a une tension, une dissonance.

Et je ne suis pas la seule à le remarquer.

Les regards échangés dans la classe, les murmures étouffés… Ils savent quelque chose.

Mais pas moi.

Est-ce que je suis la seule à être laissée dans l’ignorance ? Ou est-ce parce que, ces derniers temps, le Conseil des Élèves me prend tout mon temps et mon énergie ? Avec les responsabilités du BDE, les journées s’enchaînent sans répit, et je n’ai plus le luxe d’observer Wilfried comme avant.

Hashimoto. Il vient me voir de plus en plus souvent. Toujours avec cette attitude nonchalante, comme s’il passait juste pour discuter. Mais je ne suis pas stupide. Je sais qu’il est proche d’Arisu, et que derrière ses airs détendus, il cherche quelque chose.

Aujourd’hui encore, il s’est présenté au moment où je finissais de classer des dossiers du Conseil.

— "Salut, Okita. Tu travailles trop, tu sais ? Tu devrais te détendre un peu."

Je lui réponds avec un sourire poli. Mais à l’intérieur, je sens cette pointe de méfiance. Pourquoi est-il toujours là ? Que cherche-t-il exactement ?

Quelques heures plus tard, alors que je termine enfin ma journée, Nagumo Miyabi arrive à son tour. Cette fois, il est seul. Ce qui, en soi, est déjà étrange.

Il m’adresse un sourire qu’il veut amical, mais il y a quelque chose de trop calculé dans son expression.

— "Okita, j’aimerais te montrer quelque chose. C’est important."

Je fronce légèrement les sourcils, mais je le suis sans un mot. Je sens que cela ne présage rien de bon.

Dans une salle vide, il sort son téléphone et ouvre un article. Une photo.

Je sens mon souffle se couper.

Wilfried.

Il est plus jeune sur l’image, mais il n’y a aucun doute. C’est bien lui. Il est entouré de trois hommes tatoués, leur présence imposante et menaçante. Des yakuza, cela ne fait aucun doute.

Je regarde Nagumo, cherchant une explication.

— "C’est une vieille photo," dit-il calmement. "Mais tu sais comment sont les choses dans cette école. Une réputation peut se faire ou se défaire en un instant. Imagine ce que cela ferait si cette image devenait publique."

Je serre les poings. Je ne peux pas croire que Nagumo essaie de me manipuler.

— "Wilfried n’a rien à voir avec ça. C’était il y a longtemps."

Il hausse les épaules.

— "Peut-être. Mais tu sais mieux que quiconque que Wilfried aime jouer avec les limites. Qui sait s’il n’a pas recommencé ? Peut-être que cette fois, il a franchi une ligne."

Je veux lui répondre, lui dire qu’il se trompe, que Wilfried n’est plus ce garçon imprudent. Mais quelque chose m’arrête.

Je regarde à nouveau la photo. Cette fois, je remarque un détail que je n’avais pas vu auparavant. Le doigt d’une femme, à peine visible sur le bord de l’image.

Une femme prenait cette photo.

Mon cœur se serre. Une intuition sombre me traverse. Cette femme… était-elle yakuza elle aussi ?

Et soudain, la réalité me frappe.

Cette photo est vraie. Il ne s’agit pas d’un montage, ni d’une manipulation. C’est une image authentique de Wilfried, à une époque où il testait les limites, où il jouait avec le danger.

Et si Nagumo a cette photo… il va s’en servir.

— "Nagumo," je dis d’une voix plus ferme. "Tu n’as pas l’intention de garder ça pour toi, n’est-ce pas ?"

Il esquisse un sourire.

— "Tout dépend. Peut-être que Wilfried sera… raisonnable."

Je sens une vague de colère monter en moi. Cette femme sur la photo, ce regard froid… Tout cela m’énerve au-delà de tout.

D’abord Arisu, toujours prête à manipuler les autres. Et maintenant, cette inconnue liée à Wilfried.

Je ferme les yeux un instant, essayant de calmer cette colère sourde. Je suis une empathe, je ressens les émotions des autres, mais parfois… ces émotions me submergent.

Et là, ce que je ressens… c’est une obscurité qui me ronge.

Nagumo pense avoir trouvé une arme contre Wilfried. Il veut le faire chanter, l’affaiblir, le forcer à se plier à ses volontés.

Mais je le sais.

Je le ressens.

Wilfried attendait exactement cela.

Cette photo, cet article… Tout cela fait partie d’un plan. Un piège soigneusement orchestré pour manipuler Nagumo, Arisu, Ryuen, et tous ceux qui voudraient le voir tomber.

Wilfried ne joue pas avec les règles.

Il les réécrit.

Je croise Hashimoto dans les couloirs.

Son sourire est toujours là, ce masque de fausse légèreté qu’il porte si bien. Pour beaucoup, Hashimoto semble inoffensif, un garçon charmant, sociable, quelqu’un de facile à apprécier.

Mais moi, je sais.

Derrière ce sourire, il y a un calcul constant. Un opportuniste, pur et simple. Un homme qui ne prend jamais parti par conviction, mais par intérêt. Il observe, il jauge, et quand il pense avoir trouvé le camp gagnant, il s’y glisse avec aisance.

Il n’est ni loyal, ni fidèle. Il est un marchand de pouvoir, vendant ses services au plus offrant.

Aujourd’hui, il est avec Arisu. Demain, il pourrait être avec quelqu’un d’autre. Et c’est exactement pour cela qu’il est dangereux.

— "Okita, toujours aussi concentrée ?" me lance-t-il en approchant, d’un ton faussement léger.

Je le regarde. Mes yeux plongent dans les siens, et je ne réponds pas immédiatement. Je sens qu’il essaie de lire quelque chose en moi, de trouver une faille, un point faible.

Il veut comprendre mon équilibre.

Et le briser.

Mais il a commis une erreur.

Je ne suis pas une simple élève.

— "Hashimoto, toujours à observer les autres sans qu’ils s’en aperçoivent ?" je réplique, mon ton calme, presque neutre, mais avec une pointe d’acidité.

Son sourire vacille légèrement, mais il le reprend aussitôt.

— "Je ne fais qu’observer. C’est un monde compétitif, après tout. Tout le monde veut être du côté des gagnants, pas vrai ?"

Là, il vient de tout avouer sans s’en rendre compte.

Il n’est pas là par hasard. Il cherche. Il veut savoir ce que je sais, ce que je pense, comment je pourrais être utilisée. Mais moi, je ne suis pas à vendre.

Je le fixe un instant de plus, puis je laisse un léger sourire effleurer mes lèvres.

— "Tu sais, Hashimoto… ceux qui ne prennent jamais position finissent par tomber. Parce qu’ils n’ont jamais de véritable allié."

Il hausse un sourcil, intrigué.

— "Peut-être. Mais ceux qui choisissent le mauvais camp tombent aussi, non ?"

Je ris doucement. Un rire contrôlé, presque froid.

— "Oui, mais toi… tu n’auras même pas le temps de choisir. Parce que tu auras déjà été dépassé."

Il me regarde, son regard se durcit légèrement, mais il reste impassible.

Je le sens. Derrière cette façade, il est déstabilisé.

Hashimoto pense qu’il peut manipuler les gens à sa guise, mais il est tombé sur la pire adversaire.

Je le connais déjà. Je sais qu’il n’a aucune loyauté, qu’il vend son intelligence et ses réseaux à ceux qui lui garantissent sécurité et profit. Mais il ignore que je suis capable de bien plus.

Je ne vais pas simplement me défendre. Je vais utiliser ses propres armes contre lui.

Mon don d’empathie, cette capacité à ressentir et influencer les émotions des autres… Je vais l’utiliser pour pénétrer ses défenses. Lentement, sans qu’il ne s’en rende compte, je vais le modeler.

Lui faire croire qu’il est toujours en contrôle. Qu’il est toujours celui qui dirige la danse.

Mais en réalité…

Je vais en faire un cheval de Troie.

Un espion infiltré dans son propre camp, sans même qu’il sache qu’il agit pour moi.

Car je comprends désormais le véritable plan d’Arisu.

Elle veut Wilfried.

Elle veut le séparer de la classe B, le séparer de moi. Et maintenant, il y a aussi cette fille, cette inconnue qui tourne autour de lui.

Je sens la colère monter en moi. Personne ne me prendra Wilfried.

— "Bonne journée, Okita," me dit Hashimoto, feignant l’indifférence.

Je le regarde partir, et un froid déterminé envahit mon regard.

Arisu.

Nagumo.

Hashimoto.

Ils pensent pouvoir manipuler Wilfried, mais ils oublient une chose essentielle :

Je ne suis pas là pour jouer.

Et à partir de maintenant, je n’aurai aucune pitié.

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