Chapitre Vingt-cinq {2}

J'attends que mon compagnon paye l'écuyer. La bête qu'il nous apporte est haute sur ses longues pattes. Sa robe brune est constellée de tâches blanches et ses muscles saillent sous sa peau.

Dès que je m'avance, le cheval souffle par ses naseaux révélant sa contrariété. Ça commence bien. Si je n'arrive même pas à l'approcher, je me demande comment je vais faire pour monter sur son dos et y rester pendant tout le voyage.   

J'entame une seconde tentative mais l'équidé souffle de plus en plus fort. Il ne m'aime pas mais je ne vais pas le laisser faire la loi ! Ce n'est pas lui qui va m'empêcher d'aller sauver mon frère ! Ma main se pose rapidement sur sa selle pour qu'il n'ait pas le temps de réagir. Je pose mon pied sur l'étrier et pousse avec mon autre jambe. J'arrive à me hisser sur son dos. Mais je ne devrais pas me réjouir trop vite car la seconde suivante, je me retrouve projetée en l'air. Mon derrière atterrit sur la terre et laisse un petit nuage de poussière s'élever. La douleur remonte dans ma colonne vertébrale. J'en ai marre ! Ce cheval m'obéira quoi qu'il arrive. J'ai besoin de lui pour arriver au manoir. 

Je me relève faisant abstraction de la douleur et de la saleté de ma tenue pour me diriger vers l'animal. Bien décidée à lui faire comprendre qui est le chef, ici.

Je prends la bride et tire pour l'obliger à me regarder. Ses grands yeux noirs me fixent méchamment. Je le défis du regard pour le calmer. Une fois que j'ai toute son attention, je commence à le caresser. Il renifle toujours d'indignation. En le regardant de plus près, je remarque ses côtes sous sa peau, sa maigreur. Ce cheval est mal en point, j'imagine qu'il a été récupéré dans la nature. J'ai affaire à un cheval sauvage avec un mauvais caractère mais je sens déjà qu'il commence à se détendre.

Je comprends la peur qu'il peut avoir face à moi, il arrive dans le monde des humains et n'accepte pas qu'on le monte, surtout si c'est une fille.

Morgan s'approche et l'équidé ne se soustrait même pas à sa caresse, au contraire, il en redemande.

Je ne saisis plus rien. Il l'accepte lui et pas moi ? Je lui lance un regard mauvais et  me toisant de haut, il se tourne vers son nouveau cavalier.

Cette bête se moque de moi. Elle veut jouer alors jouons !

J'enjambe sa haute carrure et me campe sur son dos de façon à ne pas tomber une nouvelle fois. Mes pieds entourent son ventre et forment une attache pour me maintenir sur lui s'il recommence avec son mauvais caractère.

Je voie dans ses yeux un étonnement mais aussi une irritation dévoilée. Je t'ai eu, ai-je envie de lui lancer. Mais ce n'est qu'un animal, il ne me comprendrait pas. Le scruter est le meilleur moyen pour communiquer avec une tête de mule pareille !

"Quel jeu de mot ! " Je ne réponds rien.

Je peux avoir l'air d'une folle en me fâchant avec lui mais je ne veux pas qu'il me rejette. Je ne lui ai rien fait. Je voudrai seulement qu'il m'accepte et me conduise à mon frère. Je n'ai pas envie de perdre du temps avec lui. Ce cheval est une embûche de plus sur le chemin qui me mènera à ma famille. Tout ce que je souhaite c'est de le retrouver. La culpabilité me ronge depuis que je suis partie au beau milieu de la soirée. J'ai laissé mes sentiments entravés mon jugement. Maintenant la raison est la seule que j'écoute et elle me dicte d'agir le plus rapidement possible. Et pour ça, il me faut une monture. Et je sais que si je n'arrive pas à rester plus longtemps sur son dos, je ne pourrais pas aller plus vite.

Je ne sais rien sur les relations humaines, je viens d'arriver. La petite nouvelle doit s'adapter et c'est moi. Si je n'y arrive pas avec les humains, je doute d'y parvenir avec les animaux et pourtant j'espère. Ce foutu espoir qui m'accompagne va me détruire ! Il l'a fait plus d'une fois. Il m'abandonnera un jour et je ressentirai vraiment ce que j'ai fait à ma mère et Jules.

À ma plus grande surprise, le cheval détourne la tête pour se pencher sur Morgan qui n'a pas arrêté ses caresses. Ce dernier me considère comme pour me dire : « Regarde comme c'est facile ! »    

Faux ! Rien est facile quand je suis de la danse. Je fais tout de travers. Je suis une maladroite chronique. J'en suis sûre. Tout ce que j'entreprends ce finit en drame. Toutes mes expériences sont des échecs.

"À part avec ton pouvoir" me souffle la femme.

Oui, elle a raison. Je n'ai jamais échouer aux exercices de mon professeur. En tout cas pas encore.

"Arrête d'être aussi pessimiste ! Tu vas me faire déprimer ! Secoue toi un peu au lieu de penser ! "

J'ai du mal à avouer qu'elle n'a pas tort. Mais je n'y arrive pas. Je ne suis pas une aventurière. Je n'en ai aucune qualité et pourtant je me suis emportée dans une longue quête.

Depuis un mois, toutes les choses que je n'aurais jamais cru faire se sont réalisées. Toutes mes certitudes sont bousculées et je ne suis pas sûre de les retrouver.

- Tu es prête  ?

- On part quand tu veux !

La détermination dans ma voix est palpable. Je veux retrouver Jules et m'excuser. Me faire pardonner pour tout ce que j'ai fait sans en savoir les conséquences. Je n'ai plus été une sœur quand il est rentré à l'école. Je n'étais plus qu'une inconnue vivant sous le même toit. J'aurais pu rester proche de lui... Mais la jalousie m'en a empêché. Je voulais être comme lui. Avoir les mêmes droits. Ce caprice m'a éloigné de tout et de tout le monde. Je me suis prise pour plus intelligente, plus méritante que certains. Mais je ne vaux pas mieux.

- Tu crois qu'il voudra me revoir après tout ce que j'ai fait ? demandé-je à Morgan.

- Je ne sais pas.

J'ai toujours apprécié sa sincérité quand il ne la cachait pas. Je le trouve changé depuis... Vous voyez ce que je veux dire ? Enfin bon, je l'apprécie de plus en plus. Mais il ne faut pas. Je ne peux pas. La volonté de m'éloigner de lui est si faible qu'à tout moment je pourrai sombrer.
Comme tout à l'heure. Quand je pense à lui de cette façon tout est différent. Mais ça ne doit pas l'être.

J'ai besoin de l'avoir près de moi mais en tant qu'ami.

"Pour l'instant..." ricane-t-elle.

- Tais-toi !

Je n'ai pas voulu le dire à voix haute et je ne le découvre que quand le vendeur tourne vers moi des yeux horrifiés. Il doit me prendre pour une aliénée. Je lui souris pour le rassurer mais ça doit plus se rapprocher de la grimace que d'autre chose. Le pauvre doit se dire qu'il a accueillit des fous dans son établissement !

Je me racle la gorge et reprends :

- On doit partir. Merci monsieur, pour tout.

- Mais... mais c'est nor...mal made...moi...selle...

Il bégaie et me jette toujours le même regard troublé.

Morgan se délecte de ma situation. Je vois bien qu'il se retient de rire et je suis de son avis.

Nous sortons de la boutique, moi, les deux pieds à terre et Morgan avec le cheval.

Une fois hors d'atteinte nous rions à nous en faire mal au ventre.

Morgan se calme et me questionne avec tout son sérieux :

- Encore cette voix ?

- Oui.

- Elle est agaçante ?

- Pas autant que toi.

Il ne rit plus du tout. Ma remarque l'a perdu. Ma tactique a fonctionné, il doit penser que je le rejette.

Au moins je n'aurais pas à m'en faire au sujet de lui et de tous ses atouts, notamment de sa bouche. Il baisse la tête puis enfourche la monture. En me désignant l'espace derrière lui, je comprends qu'il faut que je monte.

Je fais bien attention, mais aucun besoin, le cheval se contrefiche de moi quand il y a Morgan. Je me demande si c'est une femelle ? Peut-être aurait-elle craqué sur lui ? Ce serait comique, non ?

"Je dirais même un peu plus !"

Je m'installe et ne sais pas quoi faire de mes mains. Mais Morgan y remédie en les posant de chaque côté de sa taille. Quand il ordonne à l'animal d'avancer, je sens ses muscles travailler sous son t-shirt. C'est une sensation assez bizarre.

Nous entamons notre longue route dont on ne verra pas le bout avant longtemps.

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