Chapitre Soixante-cinq

Je l'aperçois. Il n'est plus celui que j'ai vu plutôt. Une balafre fraîche gâche son beau visage, s'étendant du haut de son front à sa tempe et ses cheveux sont collés par le sang. Malgré moi, je ne peux détourner les yeux de sa personne.

    Son image est tellement égratignée par rapport à ce que j'ai l'habitude de voir. Morgan, celui qui surmonte tout en ne disant rien n'est plus celui qu'il était. Nous ne le sommes plus. Nous avons changé. En le voyant dans cette posture, la fureur monte en moi comme un doux remède. Je lève les yeux vers son persécuteur.

Lui.

Celui que j'ai toujours vu comme mon ennemi est en face de moi. Je ne peux me retenir de pousser un cri de rage pur. Des larmes de colère noire brouillent ma vue mais je les en empêche. Je veux voir et me remplir de cette sensation. Je veux le détester comme jamais. Maintenant j'ai la possibilité d'en finir. Enfin ! Après tant de recherches infructueuses, je l'ai trouvé. Lui et son sourire suffisant.
Ses yeux verts sont acides, mauvais et m'empoisonnent. Je désire tant les voir vides. Lui faire subir ce qu'il a fait à tous mes proches. À Juliette, à maman, à ma tante. Il va payer. Je le sais, je le sens.

    Mes bras me démangent. J'y jette un oeil et découvre avec émerveillement et joie que Rose est avec moi.

"Je le suis mais je ne fais rien. Toi seule détiens ce pouvoir."

    Étrangement, je la crois car je sens toute la puissance déferler en moi comme un torrent. Le pouvoir se délecte de chacune de mes cellules. Il les embrasent comme un feu. Ce feu, je le contrôle. Mes bras ne mettent pas longtemps à être zébrer de lignes vertes. Les tiges s'agrandissent et s'enroulent autour de mes poignets. Le bracelet n'est plus qu'un lointain souvenir et il me manque.

    Contrairement à ce que je pensais, les plantes ne finissent pas leur courses sur mes coudes. Elles continuent à parcourir ma peau pâle. Elles ne s'arrêtent pas et se multiplient à une vitesse que je n'aurais jamais soupçonnée. Les doux chatouillements m'apaisent et remontent le longs de mes membres. Je sens les pousses trouver mes jambes, mon cou et mon torse et s'épanouissent telles des fleurs au printemps. Elles m'enserrent comme un seul être, comme pour me réconforter. La confiance me gagne, la peur aussi mais je connais cette peur. Elle m'est familière et j'en ai besoin. J'ai besoin de l'aide de tous pour réussir.

"Eh, bien ! Tu en as mis du temps pour retenir la leçon ! "
Je sais...

    Je suis maintenant jonchée de feuilles et de tiges naissantes accompagnées de leur petites fleurs immaculées. Leur parfum embaument le bureau. Son propriétaire ne paraît pas le moins du monde impressionné mais cette façade est trompeuse. Il cache tout, et en ce moment ce sont son effroi et sa surprise qu'il dissimule.

    Morgan me supplie du regard de ne rien tenter mais il n'a aucune chance. Il me connaît assez pour le savoir. Il sait que je suis têtu. Et tout particulièrement dans cette situation. J'ai la chance de pouvoir gagner, remporter cette bataille qui a déjà trop duré.
Mais je le sais aussi prêt à tout pour moi. Je le couve du regard pour le rassurer. Mon expression ne tarde pas à changer quand je me tourne enfin vers le Dirigeant.

    Sa figure est parfaite. Elle n'a aucune blessure ce qui m'énerve encore plus. Comment a-t-il fait pour maîtriser à ce point Morgan, un Élémentaire de feu ?

    Mes vêtements sont maintenant réduis à néant par les végétaux. Malgré mon entorse, je m'avance d'une démarche assurée, que je ne me reconnais pas, vers ce dictateur manipulateur.

    Les tiges s'élancent à ma seule pensée et viennent étrangler son cou qui vire rapidement au rouge. Dans mon élan et trop absorbée par mon action, je ne remarque pas la dague dans la main de mon ennemi. D'un coup net, il tranche les lianes. Je ressens le coup jusque dans mes os. Contrôler les végétaux était une chose mais les posséder comme je le fais maintenant est d'autant plus douloureux. Je manque de tomber mais me rattrape aux coins du secrétaire. Remise debout, je scrute l'homme qui retire les liens de sa gorge pour les balancer comme de vulgaires déchets. Je hais ce type et c'est parfaitement réciproque.

    Je puise dans mes dernières forces qui s'amenuisent à une rapidité grandissante. J'en appelle aux plantes et elles projettent le Dirigeant contre le mur en faisant tomber les livres de la bibliothèque à côté. Les pages s'éparpillent sur le sol et les ouvrages s'empilent à mesure que je l'envoie contre le mur. Toute ma frustration antérieure sort aujourd'hui me procurant encore plus de force. Le plâtre commence à s'effriter derrière la carrure imposante de mon fardeau. Les plantes sont comme un prolongement de mes bras. À chaque morsure de la part du Dirigeant, je crie mais n'abandonne pas !

    Les tiges roulent le long de ses jambes et le font basculer. Un bruit sourd retentit quand son crâne rencontre le parquet ciré. Je me penche au dessus de lui afin d'être aux premières loges pour assister à sa défaite. Il va perdre aujourd'hui. J'en suis convaincue. Mais l'être ne résoud pas tout et j'aurais dû y être préparée quand son poing finit dans ma mâchoire. Je geins face à la douleur. Un goût de sang macule ma bouche : je me suis mordue la lèvre. Je le regarde encore plus furieuse alors qu'il se redresse.

    Je n'ai jamais aimé les combats à mains nues ni même au corps à corps mais la fin justifie les moyens. Il faut que je le batte. Ce jeu est fini. J'en ai marre de me faire avoir. Aujourd'hui je vais le détruire. Des pensées rageuses envahissent mon esprit.

    Mon genou vient trouver son nez qui émet un craquement sordide. Le sang commence à couler par ses narines et j'en profite pour lui mettre un autre coup dans l'œil. Il réplique et je me retrouve avec une lèvre fendue et la paupière gauche qui commence à gonfler. À chaque impact, mon corps proteste ainsi que Morgan qui gît quelques mètres plus loin. Un liquide rougeâtre coule d'une plaie par balle à sa jambe.

    Je m'oblige à détourner la tête pour éviter d'être tenter de le sauver. Je le fais en ce moment mais d'une autre manière, en l'éloignant de ce monstre. Pourtant je brûle de l'arracher à ses souffrances et pouvoir guérir ses blessures.

    Ma brève inattention me coûte car je reçois bientôt un nouveau coup de pied dans les côtes. Je suis projetée et atterris mollement sur le sol. Mon emprise perturbée, le Dirigeant a pu se relever. Nous sommes tous deux dans un mauvais état mais je sais qu'il a l'avantage. Il est plus fort. Mes pouvoirs m'épuisent, je ne pourrais pas continuer plus longtemps. Je crois qu'il en arrive au même résultat que moi car l'éclat d'une crosse m'apparaît. Un pistolet.

    Il a trouvé la seule arme que je ne puisse pas combattre. Très intelligent quoique je n'ai jamais douté de son ingéniosité. J'enclenche le dernier processus, j'abaisse ma dernière carte et lui fonce dessus à la manière d'un boulet de canon.

    Le bruit est assourdissant au moment où la détente est pressée. Tout vibre en moi au moment où le morceau de métal me rencontre. La balle vient frôler mon épaule droite. Je m'effondre comme une poupée de chiffon. Le temps est abolit pendant un moment qui m'apparaît infini. Je ne sens rien excepté mon omoplate. J'ai senti la déchirure au moment où le projectile m'a atteinte. Heureusement il n'a pas provoqué beaucoup de dégâts. Mais ça n'empêche que je ne voudrai plus jamais ressentir ce genre de chose. C'est cette envie qui me pousse alors à me relever péniblement et à lui faire face. Je crache le sang qui obstrue ma bouche et m'approche doucement de mon ennemi. Il tient maintenant à deux mains l'arme à feu et pointe le canon sur ma poitrine, sur mon cœur. La balle ne doit pas m'atteindre. Il ne faut pas. Cette idée en tête, je me force à entraîner les plantes dans mon sillage. Elles sont plus fortes que moi et me portent jusqu'à ma cible.

    J'agis le plus vite possible mais Émeric me devance. Par miracle, j'arrive à éviter sa seconde balle qui siffle en passant près de mon oreille. Je tremble de peur, de fatigue mais je suis aussi horrifiée par ce que je serai obligée de faire. Je réussis, plutôt la plante, à faire voler l'arme à feu. Elle atterrit sur le tapis qui recouvre le sol sous le bureau. Le son mat qu'elle produit est presque inaudible. Je plonge littéralement pour m'en emparer. Le Dirigeant me saute dessus, bloquant mes jambes, je m'étale par terre. La chute est terrible et fait vriller ma tête. Je me débats mais rien n'y fait, il est trop lourd pour je réussisse à m'extirper. Le pistolet valsant dans la main, je tire maladroitement vers le plafond. Le lustre majestueux tombe sous l'impact et vient percuter le sol de plein fouet y répandant cristaux, bougies et métaux. Les bouts de verres tranchent la peau de mon bras gauche avec lequel je me suis protégée.

    J'ai tiré ma première balle. J'ai utilisé une arme à feu. Mais je n'ai pas le temps pour me laisser distraire par cet événement. Je me rends alors compte que mon pied blessé est coincé sous l'infrastructure. Le pire, je pense, c'est de se prendre dans ses propres pièges. Par contre, je positive en réalisant que le Dirigeant est dans le même état. Tout le bas de son corps repose sous le lustre. Il essaye de se détacher mais ne créé que d'avantages de dommage. Le verre s'enfonce un peu plus dans sa chair à chaque mouvement. Il me remarque et réussit à attraper un couteau à sa ceinture. En une seconde, la lame est lancée. Je vois le métal s'approcher dangereusement de moi à une vitesse affolante. Je sens ma dernière heure arrivée. Quand vous vous sentez condamnée, vous ne pensez plus à rien. Juste à la seule chose qui puisse mettre fin à votre existence. Dans mon cas, ce couteau peut m'ôter la vie.

    Je ne vois rien venir. Comme de nombreuses fois depuis que je suis rentrée dans la pièce. Un éclair vert traverse soudain le peu d'espace entre moi et l'homme et s'élance pour ensuite se ruer sur l'arme.

    Le poignard est arrêté en plein élan et va se ficher dans le bureau en chêne, à un centimètre de ma tête. J'expire brusquement. La voix familière résonne dans mon crâne :

"Cette fois, c'était moi !"

    Je suis prise d'un fou rire inimaginable. Le Dirigeant devient cramoisi face à ma réaction. Je ne sais pas d'où me vient ce rire. La pression vient d'être relâchée et j'ai perdu le contrôle. Mais il ne faut pas.

    Le dictateur sort une ultime lame de sa veste de fonction. Mais je ne me fais pas avoir. Je réagis automatiquement. Je ne me vois même pas mon index appuyer sur la détente que le projectile s'enfonce dans le ventre d'Émeric. Je l'ai eu mais il n'est pas mort et le couteau est en chemin vers mon visage.

    Je fais tomber l'arme et des larmes envahissent mes yeux. C'est fini. Tout est fini.

Je ne sais pas comment la mort sera mais je n'ai aucune hâte de le savoir. Aucune. La volonté de me battre une dernière fois me brûle mais mon corps ne répond plus. J'ai perdu trop de sang.

    La chaleur. C'est ce que je ressens. Une douce sensation... Ai-je enfin sombré ? Cette petite lumière rouge qui l'accompagne est-elle un signe, une sorte de confirmation ? Je m'imagine en enfer après toutes les choses que j'ai faite mais ce n'est pas la mort qui est venue me chercher.

    C'est lui.

    Morgan.

La flamme s'essouffle et laisse une odeur âcre de brûlé. Le couteau n'est plus qu'un lointain souvenir et les restes tombent près de moi. De la cendre, seul survivante du manche et une sorte de petit morceau de métal défiguré par la chaleur.

    Le Dirigeant n'en a pas fini et moi aussi. Alors que je veux m'emparer du pistolet, il n'est plus sur le tapis mais dans les mains de mon compagnon.

    Cette fois, ce n'est pas moi qui presse la détente. C'est lui.

    Cette fois, la balle ne touche pas son estomac mais son cœur.

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