Chapitre Soixante

J'appréhende ce moment. Celui où je vais revoir mon frère. Je m'imagine déjà nos retrouvailles, remplies de bonheur et de larmes de joie. J'ai hâte de le retrouver. Une crampe me noue le ventre mais pourtant je n'ai plus peur. Au contraire l'excitation se fait une place plus importante à chaque seconde.

    Je pourrais sourire, j'en ai très envie mais je préfère rester sérieuse le temps qu'on le localise. Je sais que nous n'avons pas encore gagner mais je ne peux pas m'empêcher de croire que nous réussirons. Nous allons sans doute échouer...
Mais, je n'ai même pas peur de la défaite.

    C'est assez étrange, mais j'ai tant penser au mal, aux horreurs et à tout mon malheur au cours de ces derniers mois que maintenant je préfère penser au meilleur. L'optimisme n'a jamais été mon ami mais je commence à l'apprivoiser ces derniers temps.

    Mon pied a beau me faire souffrir, nous ralentir et ce sera peut-être cette faiblesse qui nous fera perdre tout ce qu'on cherche mais cela n'a aucune importance. Je pourrais même marcher et souffrir le martyre, j'avancerai quand même. Cette douleur est tellement minime après tout ce que j'ai traversé que j'en ressens un certain bonheur.

    Morgan s'amuse toujours à me taquiner en bougeant sa main, posée sur ma taille, à chacun de mes pas. Ça pourrait presque me chatouiller. Mais ce qui me titille à cet instant c'est son regard qui me scrute depuis tout-à-l'heure. Je ne veux pas tourner la tête, autrement il aurait gagné. Je ne veux pas qu'il voie le plaisir ou la gêne qui apparaissent dans mes yeux. Je ne veux pas lui donner raison même s'il n'a pas tort. Tout à l'heure, il m'a seulement donné un chaste baiser sur la joue que j'étais déjà dans tous mes états. Je n'ai déjà pas les idées claires et son comportement n'arrange rien du tout.

    Il souhaite entendre de ma bouche tout ce que je pense de lui mais je ne céderai pas.

Nous gagnons un escalier et j'ai encore plus de mal avec mon pied.

-    Tu veux que je te porte ? me demande Morgan avec un éclair de malice dans les yeux.

    Je décline sa proposition et m'éloigne de lui pour m'accrocher à la rambarde et descendre doucement chacune des marches. Je ne suis pas une incapable, je sais me débrouiller toute seule. J'ai cru voir une moquerie légère dans ses iris et rien que ça m'a convaincu de refuser son offre.

    Je maudis mon pouvoir de ne pas réussir à me guérir. Pourquoi pas moi ? J'en ai besoin en plus ! Je souffre et pourtant cette saleté de plante ne bouge pas d'un pouce !

" Dans la vie, il ne faut pas être égoïste." cite Rose.

À ce moment là, j'ai envie de l'étriper. Je ne suis pas égoïste ni égocentrique ni ce que vous voulez ! Je ne vais pas utiliser mon pouvoir seulement pour me soigner. Derrière il y a une raison bien plus importante, j'ai envie de sauver mon frère et handicapée comme je le suis je ne pourrais pas ! Vous ne comprenez donc pas stupides végétaux !

" Ce n'est pas de cette façon que tu vas réussir à invoquer ton don. Crois-moi." insiste-t-elle.

    Je sais que je n'arriverai à rien énervée comme je suis. D'un instant à un autre, je bascule dans l'angoisse ou l'euphorie. Cette attente est tellement intense qu'elle doit m'avoir un peu déréglé niveau sentiments. J'ai l'impression d'être invincible mais en même temps totalement inutile. C'est affreux.

-    On est presque arrivé, faites attention, nous avertit Tom.

    Ses paroles me stressent encore plus. J'ai mis des semaines à chercher Jules et maintenant je vais avoir ma récompense : je vais pouvoir le serrer dans mes bras.

    Morgan a repris sa place près de moi quand l'escalier à laisser place à un long couloir. Cette fois tout est éclairé. On y voit presque comme en plein jour. Il n'y a rien à part de grands murs immaculés. Au bout du corridor se trouve une immense porte métallique qui doit renfermer la prunelle de mes yeux. Tom sort un trousseau d'une poche de son uniforme. Pendant un moment, j'ai l'impression de revoir le Dirigeant. Dans les souvenirs de Rose, je le voyais faire le même geste et à peine une seconde j'ai cru revivre la scène de son assasinat.

    Le mécanisme du panneau est très complexe. Tom commence par rentrer une petite clé qui actionne une manivelle sur le côté puis une nouvelle clé est tournée, la serrure s'enclenche et emporte une autre série de cliquetis avec elle. On sent les vibrations des différents engrenages à travers la parois. Pour finir, notre compagnon tourne une grosse roue. Mais n'y arrive finalement pas. Morgan lui prête alors main forte et là, la porte s'ouvre enfin.

Le panneau en métal laisse place à une pièce aussi blanche que le couloir. Tout est vide à part un minuscule lit posé dans un coin. Une maigre silhouette est assise dessus face à la seule fenêtre de la chambre. Pourtant ce n'est pas elle qui apporte toute cette lumière aveuglante. Non. Le rôle revient à des dizaines de néons fixés au plafond qui ne sont là que pour rendre cette vision encore plus réaliste. La seule obscurité qui aurait pu atténuer tout ça est celle de la fenêtre mais bientôt la nuit laissera place à l'aube et rien ne sera plus comme avant...

    La personne ne bouge pas alors que nos pas résonnent dans la pièce. Le bruit aurait dû la faire réagir. Est-ce vraiment Jules ? Ne nous sommes pas trompés de cellule ? D'ailleurs cette pièce n'a aucune des caractéristiques d'une cellule à part le manque de meubles et l'urinoir présent dans le fond.

    Le mélange de sueur et de renfermé mêlé à l'urine est vraiment désagréable mais je me réjouie en ne décelant aucune trace de sang. Je m'avance en lâchant le bras de Morgan pour rejoindre mon frère. Mon frère !

    Une fois arrivée au lit, je le contourne pour voir son visage.

Je retiens mon souffle. Et là... horreur.

    Ses yeux sont vides, éteints. Il a la peau sur les os, je peux constater l'état de sa maigreur rien qu'avec la tunique jaunie qu'il porte, bien trop grande pour lui.

Aucune blessure n'est présente sur sa peau diaphane. Je remarque juste les petites lignes bleues, que forment ses veines, qui ressortent étrangement sous son épiderme.

    Ses cheveux ont poussé et arrivent sous ses oreilles. Leur blond qui était si éclatant autrefois n'est plus qu'une vaste couleur grisâtre mêlé à un jaune sale.

    Quand je m'approche, il n'esquisse aucun geste. C'est bien Jules mais en même temps ce n'est plus lui. Il a disparu et je n'ai pas été là à temps pour le rattraper. Je jure intérieurement.

Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas moi qui ai fait ça ! Si ? Non ? Je ne sais pas...

     Des larmes de rage coulent le long de mes joues alors que je passe une main réconfortante dans ses cheveux. Je m'agenouille devant lui et m'agrippe à sa blouse pour y noyer mon chagrin. J'essaye de le prendre dans mes bras mais j'ai l'impression de serrer un cadavre froid alors je m'écarte. En me relevant, j'essuie les traînées de sel sur mon visage. Je le fixe, tentant de retrouver un semblant de chaleur dans ses yeux bleus qui étaient si pétillant de son vivant. Oui, de son vivant, parce que pour moi, à cet instant il est plus du côté des morts que du notre. C'est horrible de penser ça mais mon frère est partit en même temps que moi ce fameux soir.

    Que lui ont-ils fait ? L'ont-ils torturé ? Je ne peux pas le savoir. Pourtant ces réponses m'aideraient grandement ! Pourquoi ? Pourquoi s'acharne t-on sur moi et mes proches !?!

-    Pourquoi ! crié-je.

    Le néant me répond et je continue en m'adressant cette fois à mon frère, immobile :

-    Jules, je suis désolée. Tu ne peux pas savoir comme t'abandonner m'a coûté. C'est la plus grosse erreur que je n'ai jamais commise ! Jules, reviens...

    Mes sanglots remplacent mes paroles. Je me fiche de sentir ses os quand je me jette dans ses bras cette fois. J'ai juste envie de m'accrocher à lui.

-    Ne... pars... pas, le supplié-je, d'une voix nouée par les larmes.

    Il ne me répond toujours pas.

-    S'il te plait, Jules ! Ne me laisse pas ! Je suis venue te chercher ! Tu ne dois pas partir alors que je suis revenue ! Tu n'as pas le droit ! Jules...

    La colère et la tristesse s'emmêlent et se démêlent dans mon esprit. Je ne différencie plus les deux. Ils se sont invités dans mes pensées, dans mes mots et maintenant dans mes gestes.

    Je serre Jules ou ce qu'il en reste, le plus fort possible.

-    Jules... chuchoté-je, près de son oreille. Reste avec moi. Maman est partie mais tu ne dois pas l'imiter...

    Je pensais mourir après le sauvetage de mon frère et non l'inverse. Il devait vivre et moi partir, au lieu de ça c'est moi qui suis présente alors qu'il est absent.

    Il ne doit pas gagner l'au-delà sans moi. Je vais tous les retrouver si je meurs. Maman et Jules sont déjà là-bas alors pourquoi je suis toujours là, à supplier mon frère de rester alors que je peux l'accompagner ? Je dois mourir. Cette vérité s'impose à moi comme une nécessité et non un sacrifice. J'imaginais ça différemment il y a à peine quelques minutes. La joie a été remplacée par un vide abyssal qui anéantit tout. Je vais être aspirée par ce trou noir et pourtant je n'en ressens aucune libération. J'avais pensé mourir en l'honneur de mon frère sauvé. Mais comme je l'ai souvent appris au cours de mon voyage, rien ne se passe comme je le prédis. Le sort en a contre moi et me le fait comprendre en s'acharnant sur ma famille. Il n'a pas finit de me punir c'est donc moi qui vais mettre fin à son petit jeu.

    Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter ça mais ça doit cesser. Morte, il n'aura plus aucune emprise sur moi. Plus rien ne s'accrochera à moi, plus personne. Je serais délivrée de tous mes maux.

    Il n'y a personne pour me retenir.

"Si. Tu as pensé à Morgan ?" me rappelle Rose.

    Pendant un moment, Morgan m'était complètement sortis de l'esprit. Certes nous avons passé de bons moments mais nous avons rien commencé alors je ne mettrais fin à aucune relation en m'éteignant. Il n'est pas amoureux de moi, il pourra s'en remettre contrairement à moi. Je dois penser avant tout à ceux qui en ont besoin, mon frère et ma mère. Les vivants doivent le rester mais pour une famille comme la nôtre qui est au bord du gouffre, la vie ne sert plus à rien.

    Ses pensées macabres tournent dans ma tête et plus j'y pense plus l'évidence se concrétise. Il faut que je le fasse. Je n'ai pas envie de porter le poids de leur mort pour toujours. Rose a beau dire que je suis égoïste en voulant aller mieux grâce à mon pouvoir mais dans ce cas là, elle ne peux rien dire. J'offre ma vie en échange d'une belle mort accompagnée de ceux que j'aime. Et c'est tout ce qu'il y a de plus désintéressé. Je me sacrifie pour ne pas les laisser seuls pour leur montrer que je suis revenue. C'est décidé, ce soir je meure.

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