Chapitre Quatorze

Un rayon de soleil transperce le feuillage et vient chatouiller mon visage. J'ouvre un œil puis un autre, je souffre encore à cause de l'entaille à mon arcade. La croûte est moins épaisse que la dernière fois que je l'ai touchée.

    Je m'étire dans le matin frais. Des nuages blancs recouvrent le ciel mais laisse l'astre filtrer sa lumière. En me redressant je retiens un grognement. J'avais oublié cette blessure. La coupure ondule sur ma peau offrant un affreux contraste entre le rouge sang et le blanc de ma jambe. Je me penche au dessus.

    Le vide s'installe en moi. Prête à libérer mon énergie, je commence par éveiller le bracelet puis enroule la longue tige qui en nait autour de mon membre blessé. J'en appelle à mon pouvoir de guérison, une fois, deux fois, trois fois et à la quatrième fois, je m'impatiente... Je serre le poing droit, agacée, et l'abat sur la plus proche des branches. J'entends un geignement et voie Morgan émergé du sommeil. Il m'examine puis ses yeux s'arrêtent sur ma jambe et la plante qui la zèbre. Sa voix encore endormie retentit :

-    Que faites vous ?

-    Je n'y arrive pas. Cette plante n'en fait qu'à sa tête. Elle ne veut pas soigner ma plaie !

-    Ce n'est pas cette tige qui commande, c'est vous. Peut-être vous est-il impossible de vous soigner vous même ?

-    Sûrement... Mais c'est très embêtant...

    Il se redresse et pose sa main chaude sur ma jambe. Sa proximité provoque quelques frissonnements chez moi, il n'y fait pas attention. Il l'examine et émet un verdict :

-    Laissez la. Je ne crois pas que vous n'avez besoin de points de sutures pour le moment, mon action a limité les dégâts. Avec le temps elle cicatrisera. Mais faites attention quand même.

Il ajoute en retirant sa main :

-    Nous devrions nous mettre en route si nous voulons rejoindre la base ce soir...

    Nous mangeons un peu de pain dur avec une pomme. C'est le meilleur repas de tous parmi nos deniers voyages. "Tu n'exagères pas un peu ? " Je ne réponds pas à la voix. Tom a dû piocher au hasard le plus de choses dans la cuisine et le plus vite possible pour éviter de se faire prendre. C'est grâce à lui qu'on a quelque chose dans l'estomac alors pourquoi se plaindre ? "Oui, bon d'accord... Tu as raison." fini-t-elle.

    Après le maigre casse-croûte, je commence à descendre de l'arbre mais arrête quand la balafre me fait souffrir. Elle n'est certes pas profonde mais traverse presque entièrement ma jambe en dessous du genou et me tire douloureusement.

-    Je vais vous portez, propose Morgan.

-    Non, je...

-    Ce n'est pas une option.

    Je m'agrippe à son cou et y cale ma tête, mes jambes se retrouvent comme la dernière fois accrochées à ses hanches. Être si proche de lui, me gêne. Je ne le supporte pas mais le laisse me porter quand même. "Ironique, non ? " chuchote la voix.

    Il descend en s'accrochant à l'écorce et dérape. Je resserre mes prises et relève la tête, je rencontre ses yeux, si près que je peux en voir chaque traînée de couleur. Le vert est plus clair vu de près et parsemé de tâches plus foncées. Nous restons un moment à nous dévisager puis il reprend sa descente en baissant le regard sur ses mains agrippées au tronc.

    Nous arrivons à terre.

    La route se passe plutôt bien. J'arrive à marcher sans aide mais souffre un peu en boitant. Nous avançons lentement, je nous ralentis. Un jour de marche en plus est à prévoir.

   

    Le deuxième jour en plein après-midi, nous longeons une large rivière que nous n'avions pas vue à l'aller puisque nous étions en voiture. L'eau coule tranquillement. Elle a des reflets bleus imitant le ciel qui s'est dégagé. Je me stoppe pour admirer son faible courant, il n'y a pas de poissons mais des plantes recouvrent son fond et ses rives.

    Morgan dit d'une voix moqueuse :

-    Vous avez raison de la contempler. Ce serait un très bon remède pour votre puanteur! Il se pince le nez pour accompagner ses paroles.

    Je me retourne à peine pour lui lancer une réplique cinglante que je suis poussée et fait un plongeon fracassant dans l'eau. Elle me rentre dans les narines et mes yeux se ferment. Je refais surface le plus vite possible pour respirer. Je crache et me tords le nez pour en faire sortir toute l'eau. Les narines pincées, j'articule :

-    Vous me revaudrez ça !

-    Je ne crois pas, en tout cas pas tout de suite, vous êtes... comment dire... en posture inconfortable pour le moment.

    Il rit et je rétorque ayant repris mes moyens :

-    Dit celui qui ne sais pas nager !

-    Vous allez voir si je ne sais pas nager !

    Morgan laisse tomber la sacoche et se met en position pour sauter. Il plonge avec aisance dans le liquide et ressort avec des cheveux mouillés, lui tombant dans les yeux. Il se passe une main dans ces derniers devenus noirs.

-    Je n'aime peut-être pas l'eau mais je ne suis pas un incompétent !

-    Peut-être, mais un lâche, ça oui !

-    Lâche ?! Ne me dites pas que vous prenez cette farce comme telle ?

    Je prends un air à la fois moqueur et mystérieux :

-    Peut-être ou peut-être pas, qui sait ?

    Je lui lance des rafales d'eau dans le visage pour prendre ma revanche.

-    Je vous avais prévenu ! Je ris comme je ne l'ai pas fait depuis des jours.

-    Vous allez voir ! Moi aussi je peux le faire ! affirme-t-il alors que j'ai arrêté de l'éclabousser.

    Je n'ai même pas le temps d'esquiver qu'il se jette sur moi, me bloque les jambes en les emprisonnant dans le creux de ses genoux et me plonge la tête sous l'eau. Je rêve ou il veut me noyer ? Je me défends. Mes yeux sont ouverts dans l'eau et les siens aussi. Nos regards se croisent, une étincelle de malice s'est installée dans celui de mon professeur. Je prends ce court instant à mon avantage et me libère puis remonte à la surface. J'inspire une grande goulée d'air. Mes cheveux emmêlés et trempés me gâchent la vue. Je les écarte et les plaque en arrière. Des gouttes d'eau arrivent sur moi et m'indiquent que Morgan a aussi sorti sa tête de l'eau. Je me retourne et anticipe sa prochaine attaque mais il ne fait rien à part me fixer. Cet intermède me permet d'enrouler les algues du fond de la rivière autour de ses chevilles. Elles le tirent vers le bas. Un air surpris se dessine sur son visage, les plantes aquatiques le font couler. Je met la tête sous l'eau et esquisse des grimaces silencieuses sous ses yeux. "Une vraie gamine ! " fait remarquer la voix dans ma tête. Je lui réponds : Exactement.

Morgan essaye de m'imiter mais il ouvre sa bouche et avale de l'eau. Je renvoie les algues dans leur milieu. Lorsqu'il refait surface, il s'étouffe et crache.

-    Ce n'était pas très malin, m'annonce-t-il.

-    Surtout d'ouvrir sa bouche sous l'eau !

    Je ris à en avoir des crampes. Morgan finit par me rejoindre. Son rire est grave et musical à l'oreille. Il rompt le charme en concluant :

-    Il faut sortir avant que vous n'attrapiez froid.

    Je me hisse en haut, dégoulinante d'eau. Ma combinaison est trempée et je commence à trembler.

-    Enlever votre tenue, je vais la sécher.

Je me tourne vers lui, gênée :

-    Je n'ai pas très envie de me montrer en sous-vêtements.

-    Ah oui, j'avais oublié. Et bien enfilez la robe grise en attendant, ça ne prendra pas longtemps.

    Il sort le tissu terne du sac et me le tend.

-    Vous pouvez vous tourner le temps que je...

-    Vous les filles vous êtes d'un compliqué, se plaint-il d'un ton blasé en se tournant.

    J'ôte la combinaison. Le vent me transperce les os. De l'eau glisse jusqu'au sol. Je suis gelée et seulement couverte d'un soutien-gorge et d'une culotte. À la minute où mon corps rentre en contact avec le tissu, la robe s'imbibe d'eau sur ma peau mouillée.

    J'ai l'impression qu'avec ou sans c'est la même chose. L'humidité la rend transparente et offre un spectacle quasi identique, comme si je n'avais rien enfilé. Mais heureusement Morgan n'y prête pas attention et me rend ma combinaison à peine quelques minutes plus tard. Elle est chaude presque brûlante et me réchauffe une fois sur mon dos.

-    Il faudrait jeter cette chose, dis-je en exposant le vêtement grisâtre qui tient plus de l'éponge qu'autre chose.

    Morgan ne répond pas et jette le tissu mouillé dans un buisson, sans autre intérêt.

-    Partons.

    Son ton efface les derniers instants que nous venons de passer. Il est redevenu un bloc de glace froid, non, un iceberg. "Les bons moments ne durent jamais..." chantonne la voix. Elle m'agace et je crie :

-    Arrête ! Laisse moi tranquille !

Morgan m'observe, les yeux écarquillés :

-    C'est à moi que vous parlez ?

-    Non !

    Je n'ai pas pu m'empêcher de crier, agacée par cette satanée voix dans mon crâne ! Comment la faire taire ? Ça fait déjà deux fois que je lui parle et deux fois qu'on me regarde avec le même air, comme si j'étais aliénée. Le suis-je ? Je ne sais plus quoi penser et fourre cette idée dans un coin de ma tête pour me concentrer sur le trajet. D'un coup tout m'énerve !

    Morgan a repris ses airs distants sans rien répondre à mon "Non !".

Je désespère. Comment dois-je faire pour le percer à jour ? Je n'aime pas ne pas connaître les gens avec qui je fais équipe. C'est tellement perturbant de ne pas savoir comment il peut agir.

    Mon pied rencontre une pierre. Cela m'arrache un cri. Saleté ! La blessure me tire encore plus qu'avant. Le pire c'est que mon compagnon ne se retourne pas. Je suis obligée d'accélérer le pas alors que cette plaie ne veut pas cesser de me faire mal. Au bout d'une quinzaine de minutes, épuisée, je le hèle à quelques pas de lui :

-    On peux faire une pause ?

-    Non, nous sommes presque arrivés.

-    Ce n'était pas une proposition.

-    Vous ne pouvez pas tenir encore une heure ?

    Il est contraint de me rejoindre près d'un rocher devant un petit bosquet.

Morgan marmonne quelque chose qui doit ressembler à :

« Ah, les filles... »

-    Pardon ?

-    Non, rien, finit-il.

    "Un vrai machiste de première !" Je suis d'accord avec elle. Cette voix est la meilleure pour formuler mes plus profondes pensées.

    Je masse le haut de ma jambe pour me soulager mais rien n'y fait et je souffre jusqu'à notre arrivée. La base a le même système de camouflage que les précédentes mais il ne s'ouvre pas.

-    Mais, qu'est ce qui... commence Morgan.

    Il se penche sur la plaque qui devrait s'abaisser, s'accroupit et glisse ses doigts sur ses extrémités. Il appuie et saute même sur le sol mais rien ne réussit à la bouger.

Résolu, il revient et annonce :

-    Elle nous a menti.

-    Qui ?

-    Daphné. Cette entrée est bouchée depuis longtemps, le mécanisme a même eu le temps de rouiller.

-    Qu'allons nous faire ? demandé-je, inquiète.

-    Bonne question...

-    Nous pouvons rebrousser chemin et...

    Il me coupe dans mon élan :

-    Non. Non, il ne faut surtout pas aller en arrière. On aurait plus de mal à rejoindre une ancienne base qu'à rester ici en pleine nuit.

    Je lève la tête. Au dessus de nous, le crépuscule pointe déjà à travers les nuages pelucheux. Le orange et le rose se mêlent au bleu ciel.

-    Nous restons là, alors ?

-    Non, continuons pour trouver un endroit un peu plus sûr.

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